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Puis bientôt, toujours dans la direction du fort de Boghar, retentit le galop rapide d’une troupe de cavaliers ; et les deux lieutenants qui s’en allaient en mission parurent avec leur escorte, composée d’un autre spahi et d’un cavalier arabe appelé Dellis, un homme de grande tente, d’une illustre famille indigène.

Je montai immédiatement à cheval, et l’on partit.

La nuit était encore absolue, calme, on pourrait dire immobile. Après avoir remonté quelque temps vers le nord, en suivant la vallée du Chélif, nous tournâmes à droite dans un vallon, juste au moment où le jour naissait.

En ce pays, soir et matin, le crépuscule n’existe pas. Presque jamais on ne voit non plus ces belles nuées traînantes, empourprées, découpées, bigarrées et bizarres, saignantes ou enflammées, qui colorent nos horizons du Nord au moment où le soleil se lève, ainsi qu’à l’heure où le soleil se couche.

Ici, c’est d’abord une lueur très vague, qui augmente, s’étend, envahit tout l’espace en quelques instants. Puis soudain, à la crête d’un mont, ou bien au bord de la plaine infinie, le soleil apparaît tel qu’il va monter au ciel, et sans avoir cet aspect rougeoyant, comme endormi encore, qu’ont ses levers en nos pays brumeux.

Mais ce qu’il y a de plus singulier dans ces aurores du désert, c’est le silence.

Qui ne connaît, chez nous, ce premier cri d’oiseau bien avant le jour, dès les premières pâleurs du ciel ; puis, cet autre cri qui répond dans l’arbre voisin ; puis enfin cet incessant charivari de sifflets, de ritournelles répétées, de notes vives avec le chant lointain et continu des coqs ; toute cette rumeur du réveil des bêtes, toute cette gaieté des voix dans les feuilles.

Ici, rien. L’énorme soleil s’élève au-dessus de cette terre qu’il a dévastée, et il semble déjà la regarder en maître, comme pour voir si rien de vivant n’existe plus. Pas un cri de bête, sauf parfois le hennissement d’un cheval ; pas un mouvement de vie, sauf, lorsqu’on a campé dans le voisinage d’un puits, le long, lent et muet défilé des troupeaux qui s’en viennent boire.

Tout de suite la chaleur est brûlante. On met, par-dessus le capuchon de flanelle et le casque blanc, l’immense médol, chapeau de paille à bords démesurés.

Nous suivions le vallon, lentement. Aussi loin que la vue allait, tout était nu, d’un gris jaune, ardent et superbe. Parfois, au milieu des bas fonds où croupissait un reste d’eau, dans le lit vidé des rivières, quelques joncs verts faisaient une tache crue et toute petite ; parfois, dans un repli de la montagne, deux ou trois arbres indiquaient une source. Nous n’étions point encore dans la contrée assoiffée que nous devions bientôt traverser.

On montait indéfiniment. D’autres petits vallons se jetaient dans le nôtre ; et, à mesure que nous approchions de midi, les horizons se perdaient un peu dans une légère buée de chaleur, dans une fumée de terre rôtie, qui noyait les lointains en des tons à peine bleus, à peine roses, à peine blancs, mais qui avaient cependant un peu de tout cela, et qui semblaient d’une douceur, d’une tendresse, d’un charme infinis, au-delà de l’éclat aveuglant du paysage immédiat.

Enfin on arriva sur la crête de la montagne, et le caïd El-Akhedar-ben-Yahia, chez qui nous allions camper, apparut, venant vers nous, suivi de quelques cavaliers. C’est un Arabe de sang illustre, le fils du bach’agha Yahia-ben-Aïssa, surnommé le « Bach’agha à la jambe de bois ».

Il nous conduisit au campement préparé auprès d’une source, sous quatre arbres géants dont l’eau sans cesse baignait le pied, seule verdure qu’on aperçut par tout l’horizon de sommets pierreux et secs qui s’étendent à perte de vue autour de nous.

On servit tout de suite le déjeuner, auquel le Ramadan interdisait au caïd de prendre part. Mais, afin de veiller à ce que nous ne manquions de rien, il s’assit en face de nous, à côté de son frère El-Haoués-ben-Yahia, caïd des Oulad-Alane-Berchieh. Alors je vis s’approcher un enfant d’une douzaine d’années, un peu grêle, mais d’une grâce fière et charmante, que j’avais déjà remarquée quelques jours auparavant au milieu des Oulad-Naïl dans le café maure de Boukhrari.

J’avais été frappé par la finesse et l’éclatante blancheur de vêtements de ce frêle petit Arabe, par son allure noble, et par le respect que chacun semblait lui témoigner ; et, comme je m’étonnais qu’on le laissât ainsi rôder, à cet âge, au milieu des courtisanes, on me répondit : « C’est le plus jeune fils du bach’agha. Il vient ici pour apprendre la vie et connaître les femmes ! ! ! » Comme nous voici loin de nos mœurs françaises !

L’enfant me reconnut aussi et vint gravement me tendre la main. Puis, comme son âge ne le contraignait pas encore au jeûne, il s’assit avec nous et se mit, de ses petits doigts fins et maigres, à dépecer le mouton rôti. Et je crus comprendre que ses grands frères, les deux caïds, qui devaient avoir environ quarante ans, le plaisantaient sur son voyage au ksar, lui demandant d’où lui venait cette cravate de soie qu’il portait au cou, si c’était un cadeau de femme ?

Ce jour-là, l’ombre des arbres nous permit de faire la sieste. Je me réveillai comme le soir tombait, et je gravis un monticule voisin pour avoir l’œil sur tout l’horizon.

Le soleil, près de disparaître, se teintait de rouge, au milieu d’un ciel orange. Et partout, du nord au midi, de l’est à l’ouest, les files de montagnes dressées sous mes yeux jusqu’aux extrêmes limites du regard étaient roses, d’un rose extravagant comme les plumes des flamants. On eût dit une féerique apothéose d’opéra d’une surprenante et invraisemblable couleur, quelque chose de factice, de forcé et contre nature, et de singulièrement admirable cependant.

Le lendemain, nous redescendions dans la plaine de l’autre côté de la montagne, une plaine infinie que nous mîmes trois jours à traverser, bien qu’on vît distinctement la chaîne du Djebel-Gada qui la fermait en face de nous.

C’était tantôt une morne étendue de sable, ou plutôt de poussière de terre, tantôt un océan de touffes d’alfa piquées au hasard dans le sol et qui forçaient nos chevaux à ne marcher qu’en zigzag.

Ces plaines d’Afrique sont surprenantes.

Elles paraissent nues et plates comme un parquet, et elles sont, au contraire, sans cesse traversées d’ondulations, comme une mer après la tempête, qui, de loin, semble toute calme parce que la surface est lisse, mais que remuent de longs soulèvements tranquilles. Les pentes de ces vagues de terre sont insensibles ; jamais on ne perd de vue les montagnes de l’horizon, mais dans l’ondulation parallèle, à deux kilomètres de vous, une armée pourrait se cacher et vous ne la verriez point.

C’est ce qui rendit si difficile la poursuite de Bou-Amama sur les hauts plateaux alfatiers du Sud oranais.

Chaque matin, on se remet en marche dès l’aurore à travers ces interminables et mornes étendues ; chaque soir, on aperçoit venir quelques hommes à cheval et drapés de blanc qui vous conduisent vers une tente rapiécée sous laquelle des tapis sont étalés. On mange tous les jours les mêmes choses, on cause un peu, puis l’on dort, ou l’on rêve.