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Leur cuisine se compose uniquement de quatre ou cinq plats. L’ordre de ces plats ne varie point.

On présente d’abord le mouton rôti en plein air. Un homme l’apporte tout entier sur son épaule au bout d’une perche qui a servi de broche ; et la silhouette de la bête écorchée, juchée en l’air, fait songer à quelque exécution du moyen âge. Elle se profile, le soir, sur le ciel rouge, d’une façon sinistre et burlesque, tenue ainsi par un personnage sévère et drapé de blanc.

Ce mouton est déposé dans une corbeille plate d’alfa tressé, au milieu du cercle des mangeurs assis en rond, à la turque. La fourchette est inconnue ; on dépèce avec les doigts ou avec un petit couteau indigène à manche de corne. La peau rissolée, vernie par le feu et croustillante, passe pour ce qu’il y a de plus fin. On l’arrache par longues plaques et on la croque en buvant soit de l’eau toujours bourbeuse, soit du lait de chamelle coupé d’eau par moitié, soit du lait aigre qui a fermenté dans une peau de bouc, dont il prend le goût fortement musqué. Les Arabes appellent « leben » cette boisson médiocre.

Après l’entrée apparaît, tantôt dans une jatte, tantôt dans une cuvette, tantôt dans une marmite antique, une espèce de pâtée au vermicelle. Le fond de ce potage est un jus jaunâtre où le piment se bat avec le poivre rouge dans un mélange d’abricots secs et de dattes pilés ensemble.

Je ne recommande pas ce bouillon aux gourmets.

Quand le caïd qui vous reçoit est magnifique, on sert ensuite le hamis ; ce mets est remarquable. Je serai peut-être agréable à quelques personnes en en donnant la recette.

On le prépare soit avec du poulet, soit avec du mouton. Après avoir coupé la viande en petits morceaux, on la fait revenir dans le beurre sur la poêle.

On se procure ensuite un très léger bouillon en arrosant cette viande avec de l’eau chaude (Je crois qu’il vaudrait mieux se servir de bouillon faible préparé d’avance.) On ajoute du poivre rouge en grande quantité, un soupçon de piment, du poivre ordinaire, du sel, des oignons, des dattes et des abricots secs, et on fait cuire jusqu’à ce que les dattes et les abricots se soient écrasés naturellement, puis on verse ce jus sur la viande. C’est exquis.

Le repas se termine invariablement par le kous-kous ou kouskoussou, le mets national. Les Arabes préparent le kous-kous en roulant à la main de la farine de façon à en former de petits grains pareils à du plomb de chasse. On cuit ces granules d’une façon particulière et on les arrose avec un bouillon spécial. Je serai muet sur ces recettes, pour qu’on ne m’accuse pas de ne parler que de cuisine.

Quelquefois on apporte encore de petits gâteaux au miel, feuilletés, qui sont fort bons.

Chaque fois qu’on vient de boire, le caïd qui vous reçoit vous dit : Saa ! (à votre santé !). On doit lui répondre : Allah y selmeck ! Ce qui équivaut à notre : « Que Dieu vous bénisse ! » Ces formules sont répétées dix fois pendant chaque repas.

Tous les soirs, vers quatre heures, nous nous installons sous une tente nouvelle ; tantôt au pied d’une montagne, tantôt au milieu d’une plaine sans limite.

Mais, comme la nouvelle de notre arrivée s’est répandue dans la tribu, on aperçoit de tous côtés, dans les lointains, dans la campagne stérile ou sur les collines, des petits points blancs qui s’approchent. Ce sont les Arabes qui viennent contempler l’officier et lui adresser leurs réclamations. Presque tous sont à cheval, d’autres à pieds ; un grand nombre montent des bourricots tout petits. Ils sont à califourchon sur la croupe, contre la queue des bêtes trottinantes, et leurs longs pieds nus traînent à terre des deux côtés.

Aussitôt descendus de leur monture, ils arrivent et s’accroupissent autour de la tente ; puis ils restent là, immobiles, les yeux fixes, attendant. Enfin, le caïd leur fait un signe et les plaignants se présentent.

Car tout officier en tournée rend la justice d’une façon souveraine.

Ils apportent des réclamations invraisemblables, car nul peuple n’est chicanier, querelleur, plaideur et vindicatif comme le peuple arabe. Quant à savoir la vérité, quant à rendre un jugement équitable, il est absolument inutile d’y songer. Chaque partie amène un nombre fantastique de faux témoins qui jurent sur les cendres de leurs pères et mères, et affirment sous serment les mensonges les plus effrontés.

Voici quelques exemples :

Un cadi (la vénalité de ces magistrats musulmans est proverbiale et nullement usurpée) fait appeler un Arabe et lui adresse cette proposition : « Tu me donneras vingt-cinq douros et tu m’amèneras sept témoins qui déposeront par écrit, devant moi, que X… te doit soixante-quinze douros. Je te les ferai remettre. »

L’homme amène les témoins, qui déposent et signent. Alors le cadi appelle X… et lui dit : « Tu me donneras cinquante douros et tu m’amèneras neuf témoins qui déposeront que B… (le premier Arabe) te doit cent vingt-cinq douros. Je te les ferai remettre. » Le second Arabe amène ses témoins.

Alors le cadi appelle le premier devant lui et, fort de la déposition des sept témoins, lui fait donner soixante-quinze douros par le second. Mais, à son tour, le second réclame, et, sur l’affirmation de ses neuf témoins, le cadi lui fait remettre cent vingt-cinq douros par le premier.

La part du magistrat est donc de soixante-quinze douros (trois cent soixante-quinze francs), prélevés sur ses deux victimes.

Le fait est authentique.

Et cependant l’Arabe ne s’adresse presque jamais au juge de paix français, parce qu’on ne peut pas le corrompre, tandis que le cadi fait ce qu’on veut pour de l’argent.

Il éprouve aussi pour les formes tracassières de notre justice une insurmontable répugnance. Toute procédure écrite l’épouvante, car il pousse à l’extrême la peur superstitieuse du papier, sur lequel on peut mettre le nom de Dieu, ou tracer des caractères maléfiques.

Dans les commencements de la domination française, quand les musulmans trouvaient sur leur passage un bout de papier quelconque, ils le portaient pieusement à leurs lèvres et l’enfouissaient dans le sol ou le fourraient dans quelque trou de mur ou d’arbre. Cette coutume amena de si fréquentes et si désagréables surprises que les mahométans s’en guérirent bientôt.

Autre exemple de la fourberie arabe.

Dans une tribu près de Boghar, un assassinat est commis. On soupçonne un Arabe, mais les preuves manquent. Il y avait dans cette tribu un pauvre homme nouvellement venu d’une tribu voisine, établi là pour sauvegarder des intérêts pécuniaires. Un témoin l’accuse du meurtre. Un autre témoin suit le premier, puis un autre. Il en vint quatre-vingt-dix avec les affirmations les plus précises. L’étranger fut condamné à mort et exécuté. On reconnut ensuite l’innocence du décapité. Les Arabes avaient simplement voulu se défaire d’un étranger qui les gênait, et empêcher un homme de leur tribu d’être compromis !

Les procès durent des années sans qu’une lueur de vérité puisse apparaître sous les affirmations des faux témoins. Alors on a recours à un moyen fort simple : on emprisonne les deux familles qui plaident, ainsi que tous les témoins. Puis on les relâche au bout de quelques mois ; et généralement ils restent alors tranquilles pendant près d’une année. Puis ils recommencent.