Выбрать главу

Vue de l’extérieur et du côté du nord et de l’est, cette ceinture de rochers offre l’aspect d’une agglomération de koubbas étagées, les unes au-dessus des autres, sans aucune espèce d’ordre ; on dirait une immense nécropole arabe. La nature elle-même paraît morte. Là, aucune trace de végétation ne repose l’œil ; les oiseaux de proie eux-mêmes semblent fuir ces régions désolées. Seuls les rayons d’un implacable soleil se reflètent sur ces murailles de rochers d’un blanc grisâtre et produisent par les ombres qu’ils portent, des dessins fantastiques.

Aussi quel n’est pas l’étonnement, je dirai même l’enthousiasme du voyageur lorsque, arrivé sur la crête de cette ligne de rochers, il découvre dans l’intérieur du cirque cinq villes populeuses entourées de jardins d’une végétation luxuriante, se découpant en vert sombre sur les fonds rougeâtres du lit de l’Oued-Mzab.

Autour de lui, le désert dénudé, la mort ; à ses pieds, la vie et les preuves évidentes d’une civilisation avancée. »

Le Mzab est une république ou plutôt une commune dans le genre de celle que tentèrent d’établir les révolutionnaires parisiens en 1871.

Personne au Mzab n’a le droit de rester inactif ; et l’enfant, dès qu’il peut marcher et porter quelque chose, aide son père à l’arrosage des jardins, qui forme la constante et la plus grande occupation des habitants. Du matin au soir, le mulet ou le chameau tire dans le seau de cuir l’eau déversée ensuite dans une rigole ingénieusement organisée de façon que pas une goutte du précieux liquide ne soit perdue.

Le Mzab compte en outre un grand nombre de barrages pour emmagasiner les pluies. Il est donc infiniment plus avancé que notre Algérie.

La pluie ! C’est le bonheur, l’aisance assurée, la récolte sauvée pour le Mozabite ; aussi, dès qu’elle tombe, une espèce de folie s’empare des habitants. Ils sortent par les rues, tirent des coups de fusil, chantent, courent aux jardins, à la rivière qui se remet à couler, et aux digues, dont l’entretien est assuré par chaque citoyen. Dès qu’une digue est menacée, tout le monde doit s’y porter.

Et ces gens-là, par leur travail constant, leur industrie et leur sagesse, ont fait, de la partie la plus sauvage et la plus désolée du Sahara, un pays vivant, planté, cultivé, où sept villes prospères s’étalent au soleil. Aussi le Mozabite est-il jaloux de sa patrie, il en défend autant que possible l’entrée aux Européens. Dans certaines Villes, comme Beni-Isguem, nul étranger n’a le droit de coucher même une seule nuit.

La police est faite par tout le monde. Personne ne refuserait de prêter main-forte en cas de besoin. Il n’y a en ce pays ni pauvres ni mendiants. Les nécessiteux sont nourris par leur fraction.

Presque tout le monde sait lire et écrire.

On voit partout des écoles, des établissements communaux considérables. Et beaucoup de Mozabites, après avoir passé quelque temps dans nos villes, reviennent chez eux, sachant le français, l’italien et l’espagnol.

La brochure du commandant Coÿne contient sur ce curieux petit peuple un nombre infini de surprenants détails.

À Bou-Saada, comme dans toutes les oasis et toutes les villes, ce sont les Mozabites qui font le commerce, les échanges, tiennent des boutiques de toute espèce et se livrent à toutes les professions.

Après quatre jours passés dans cette petite cité saharienne, je suis reparti pour la côte.

Les montagnes qu’on rencontre en se dirigeant vers le littoral ont un singulier aspect. Elles ressemblent à de monstrueux châteaux forts qui auraient des kilomètres de créneaux. Elles sont régulières, carrées, entaillées d’une façon mathématique. La plus haute est plate, et paraît inaccessible. Sa forme l’a fait surnommer « le Billard ». Peu de temps avant mon arrivée, deux officiers avaient pu l’escalader pour la première fois. Ils ont trouvé sur le sommet deux énormes citernes romaines.

La Kabylie — Bougie

Nous voici dans la partie la plus riche et la plus peuplée de l’Algérie. Le pays des Kabyles est montagneux, couvert de forêts et de champs.

En sortant d’Aumale, on descend vers la grande vallée du Sahel.

Là-bas se dresse une immense montagne, le Djurjura. Ses plus hauts pics sont gris comme s’ils étaient couverts de cendres.

Partout, sur les sommets moins élevés, on aperçoit des villages qui, de loin, ont l’air de tas de pierres blanches. D’autres demeurent accrochés sur les pentes. Dans toute cette contrée fertile la lutte est terrible entre l’Européen et l’indigène pour la possession du sol.

La Kabylie est plus peuplée que le département le plus peuplé de France. Le Kabyle n’est pas nomade, mais sédentaire et travailleur. Or, l’Algérien n’a pas d’autre préoccupation que de le dépouiller.

Voici les différents systèmes employés pour chasser et spolier les misérables propriétaires indigènes.

Un particulier quelconque, quittant la France, va demander au bureau chargé de la répartition des terrains une concession en Algérie. On lui présente un chapeau avec des papiers dedans, et il tire un numéro correspondant à un lot de terre. Ce lot, désormais, lui appartient.

Il part. Il trouve là-bas, dans un village indigène, toute une famille installée sur la concession qu’on lui a désignée. Cette famille a défriché, mis en rapport ce bien sur lequel elle vit. Elle ne possède rien autre chose. L’étranger l’expulse. Elle s’en va, résignée, puisque c’est la loi française. Mais ces gens, sans ressources désormais, gagnent le désert et deviennent des révoltés.

D’autres fois, on s’entend. Le colon européen, effrayé par la chaleur et l’aspect du pays, entre en pourparlers avec le Kabyle, qui devient son fermier.

Et l’indigène, resté sur sa terre, envoie, bon an, mal an, quinze cents, ou deux mille francs à l’Européen retourné en France.

Cela équivaut à une concession de bureau de tabac.

Autre méthode.

La Chambre vote un crédit de quarante ou cinquante millions destinés à la colonisation de l’Algérie.

Que va-t-on faire de cet argent ? Sans doute on construira des barrages, on boisera les sommets pour retenir l’eau, on s’efforcera de rendre fertiles les plaines stériles ?

Nullement. On exproprie l’Arabe. Or, en Kabylie, la terre a acquis une valeur considérable. Elle atteint dans les meilleurs endroits SEIZE CENTS FRANCS L’HECTARE ; et elle se vend communément huit cents francs.

Les Kabyles, propriétaires, vivent tranquilles sur leurs exploitations. Riches, ils ne se révoltent pas ; ils ne demandent qu’à rester en paix.

Qu’arrive-t-il ? On dispose de cinquante millions. La Kabylie est le plus beau pays d’Algérie. Eh bien ! On exproprie les Kabyles au profit de colons inconnus.

Mais comment les exproprie-t-on ? On leur paie QUARANTE FRANCS l’hectare qui vaut au minimum HUIT CENTS FRANCS.