Bien qu’ayant des pensées on ne peut plus philosophiques sur la question, je m’amadoue (comme disait une pierre à briquet de mes amies).
— C’est triste. Et vous vivez depuis dans le culte du souvenir ?
— Oui.
Mais je la sens prête à donner des coups de pied au culte.
— Voulez-vous faire la dînette avec moi ?
— J’en suis !
Elle roule une petite table à jeu près du divan et y dispose deux couverts.
Le repas est charmant. J’ai l’impression d’être marida à une gentille bergeronnette. Ça ne doit pas être désagréable, au fond, lorsqu’on est malade. Seulement, je le suis rarement et je doute de mes qualités de mari ailleurs que dans un plume.
J’avais plus grands yeux que grand ventre, comme dit Félicie. Je grignote un cœur de côtelette et quelques fraises à la crème.
— J’espère que je pourrai partir dès demain, fais-je, lorsqu’elle a desservi.
Elle s’arrête pile, les yeux cernés par la surprise.
— Dès demain ! Mais vous êtes fou… Vous ne tenez pas debout…
— Je récupère vite, vous savez !
— Ne dites pas de folies !
Elle va pour sortir, mais se ravise.
— Vous vous ennuyez, chez moi ?
— Quelle idée ! J’ai des scrupules, voilà tout !
— Alors, chassez-les !
Elle sort. Je ferme les châsses : je suis bien.
4
Le lendemain, quoi qu’elle en dise, je me sens assez costaud pour me tenir sur mes flûtes. Je sors du lit et je noue une serviette autour de mes reins. Il est de bonne heure. Le réveil doré posé sur une commode indique cinq plombes. Je n’entends rien, ne vois personne et, inquiet, je me dirige vers la cuisine. J’aperçois un matelas pneumatique sur le carrelage et, lovée dessus, ma petite Françoise. Elle en écrase. Elle est chouette à voir dormir. C’est une gentille môme qui a besoin de se dévouer, besoin de libérer le trop-plein d’affection rentré, d’amour refoulé qui la ronge.
Le bruit de la porte la réveille. Elle se dresse sur un coude et se frotte les yeux.
— Ça n’est pas possible !
— Qu’est-ce qui n’est pas possible, Françoise ?
— Debout ! Justement je rêvais de vous…
Elle se dresse. Elle porte un pyjama blanc qui moule ses formes appréciables.
— Allez, au lit ! Ça n’est pas le moment de prendre froid !
— Ça me fait mal au cœur de vous voir coucher par terre alors que je joue les pachas dans votre propre lit !
Elle me guide jusqu’à mon divan. Je m’y laisse glisser, épuisé par ce bref trajet. Elle s’assied près de moi. Il y a une étrange luminosité dans son regard.
— A propos, Françoise, avez-vous lu la presse, ces derniers jours ?
— Bien sûr…
— Que dit-on de mon affaire ?
— La police croit que vous avez pris un avion clandestin et que vous avez quitté le territoire helvétique.
— Bon…
Je réfléchis. Il me faut encore deux ou trois jours pour me rebecqueter. Lorsque j’irai mieux, je palperai le chèque et je rentrerai en France… Seulement, est-ce prudent d’encaisser moi-même, après que mon signalement a été diffusé, une somme de cette importance ? Je vais me faire repérer, c’est recta. Il faudrait, d’autre part, prévenir le Vieux de ce qui m’est arrivé. Il doit ligoter la presse suisse en se demandant ce qu’il est advenu du fameux commissaire San-Antonio.
Je pourrais lui passer un mot… Peut-être même joindre le chèque à la missive et il se décarcasserait pour le faire palper. Ce serait toujours ça d’engrangé… Une récupération normale en somme !
Françoise est à portée de la main. Je réalise soudain la chose. J’avance une dextre mal assurée vers sa nuque fragile. Le contact la fait frissonner. Je la tire doucement à moi et elle se renverse en travers du divan. Mes lèvres sèches se posent sur les siennes et c’est le gros patinuche de la Happy End.
Je ne sais pas si c’est son défunt fiancé qui lui a appris à embrasser, toujours est-il qu’elle ne donne pas sa part aux cadors, ma gentille infirmière. Peut-être que les carabins suisses sont aussi salaces que les carabins français et que, pendant les nuits de garde, ils donnent des cours d’anatomie comparée aux petites infirmières de service ?
En moins de temps qu’il n’en faut à un ministre des finances pour voter un train d’impôts nouveaux, je la retrouve dans les draps, en tenue d’Eve. Elle se presse frénétiquement contre moi. Voilà un bout de temps qu’elle attend cette minute, Françoise !
Le Prends-moi-toute, ça la connaît ! Elle est aussi sensuelle qu’elle est gentille. J’ai compris maintenant. Le côté agent français traqué et mal en point, ça lui portait à la peau. En me soignant, elle travaillait pour sa satisfaction personnelle.
C’est inouï ce que les nanas sont compliquées. Elles ne refusent rien à leur plaisir. Elles sont capables d’élever un zigoto au lait Guigoz pour se le mettre au dodo le jour où il sera à point.
Mais elle fait l’amour à l’infirmière. C’est-à-dire qu’elle ménage le partenaire. C’est tout juste si elle ne me fait pas bouffer de l’Aspirisucre pendant la gymnastique. Elle dose l’effort, calme les trop grands élans et vous oblige à reprendre souffle lorsqu’elle le juge utile.
Seulement, malgré ses soins, ses initiatives et son art consommé (que je consomme du reste), après ce grand steeple, je suis plus vanné que si je venais de traverser l’Atlantique à bord d’un pédalo et en poussant le radeau de Bombard.
Il faut croire que mes états de services lui ont paru satisfaisants car elle me couvre de baisers passionnés en me disant des trucs tellement corsés qu’à mon avis c’est ce qui a fait décéder le fiancé.
Puis, comme tous les amoureux du monde, nous nous endormons.
Une horloge de ville proche lâche douze coups bien timbrés. Je les compte à travers un songe. Comme j’ai peur de m’être gouré, l’horloge, pas fière, remet ça. Oui, c’est bien midi qui carillonne. Je suis douillettement zoné près de Françoise. Son corps brûlant insuffle dans mes veines une jouvence merveilleuse. Je n’ai plus de fièvre. Je me sens fort.
Tout en caressant sa belle épaule lisse, je me dis cyniquement :
— Une de plus, gars !
Je n’ai pas la vanité du calcif, croyez-le, pourtant mon orgueil de mâle biche lorsque j’enregistre un nouveau succès féminin. C’est à ça qu’un homme reconnaît qu’il reste un homme.
Je la sens roucouler contre moi et je suis heureux. D’ordinaire, quand je viens de faire le coup du chaud lapin à une jeune fille de la bonne société, j’ai envie d’aller fumer une cigarette à l’autre bout de la planète ; mais, sans doute à cause de mon mauvais état de santé, j’ai envie de la cajoler un peu.
Elle se dresse et m’embrasse.
— Je t’aime…
— Moi aussi, Françoise.
J’ajoute, un peu hâtif dans mes transitions :
— Et ça me colle une faim d’ogre !
— Je vais aller acheter de quoi déjeuner. Qu’est-ce qui te ferait envie ?
— Du jambon et des œufs au plat…
— Tu n’es pas difficile.
— Et puis une bouteille de champagne. Prends de l’argent dans mon portefeuille, c’est moi qui régale.
Je suis obligé d’insister. Elle consent enfin.
— Pendant que tu y seras, tu m’achèteras un pantalon neuf et une chemise, parce que je crois que mes fringues sont hors d’usage après leur bain prolongé…