— Quelle couleur ?
— Celle qui te conviendra…
Vous le voyez, c’est de l’idylle choisie sur le volet. Tu m’aimes, je t’aime, on s’aimera !
Ça fait toujours plaisir et ça ne coûte pas cher.
— Tu as de quoi écrire, ici ?
— Bien sûr…
Elle me donne une pochette de papier filigrané et un stylo à bille.
— Ça te conviendra ?
— Aux petits pois. Attends, tu vas aussi téléphoner à un de mes amis qui demeure à Berne. Je voudrais qu’il vienne me voir, ça ne t’ennuie pas ?
— Comme tu voudras…
— Tu es la plus adorable des…
— Des ?…
J’ai, parfois, un don divinatoire de femme. Je sais ce qu’un être attend de moi.
— Des fiancées !
Ça la fout aux anges ! Elle se jette sur moi, me couvre de mimis mouillés.
— Oh ! mon amour ! mon amour !
Naïve, la doudoune ! Elle rêve de folles étreintes et de bague au doigt. Qu’est-ce que je risque à lui donner de l’espoir ? C’est bien la moindre des choses, après les risques qu’elle a pris pour moi, non ?
— Va… Tu chercheras sur l’annuaire la pension Wiesler, 4, rue du Tessin.
— Bien.
— Tu te souviendras ?
— Evidemment !
— Tu demanderas M. Mathias et tu lui diras que son ami San-A. l’attend chez toi… J’ignore ton adresse, au fait.
— Bon…
— S’il te demande des précisions, n’en donne pas…
— N’aie crainte…
Je l’embrasse.
— Et n’oublie pas le jambon. Tu m’as ouvert l’appétit, ma chère Quintonine d’amour !
5
Les idées viennent mal. Je commence à dessiner un diplodocus unijambiste sur une feuille blanche, puis, trouvant qu’il lui faut un corollaire pour l’harmonie de la composition, je lui adjoins une chaise dépaillée sur laquelle est déposé un dentier.
Le tout ravirait Picasso. Je le déchire pourtant et j’écris quelques lignes bien senties au Vieux pour lui dire que je suis toujours inscrit à l’association des respireurs d’oxygène et qu’il ne se caille pas le raisin pour ma santé, vu que j’annoncerai mon lard dans son burlingue d’ici peu et peut-être avant.
Je signe d’un paraphe qui ferait vomir un graphologue et je cachette. Toutes réflexions faites, je ne lui envoie pas le chèque. Ceci pour une raison très simple : l’encaissement de cette fortune doit se faire rapidement. Voilà trois jours que l’attentat contre Vlefta a réussi, trois jours que je lui ai chouravé sa servetouze. Les pieds nickelés du réseau Mohari ont dû alerter le généreux donateur, lequel va mettre opposition sur le papelard. Il est donc indispensable que le chèque soit encaissé aujourd’hui même… Comme il y a loin d’ici les Etats, les transactions mettent du temps à s’effectuer et il se peut fort bien que la voie de l’encaissement soit encore libre.
Je crois que le mieux, c’est de le faire toucher par Mathias. Ce sera à lui de voir si cette opération peut s’opérer sans risque de le compromettre.
Françoise revient au bout d’une petite heure. Elle est chargée de colibars. Il y a des fringues et de la bouftance… La chemise qu’elle m’apporte est d’un joli bleu pastel… C’est une limace sport avec des pockets à soufflet de chaque côté. Le futal est bleu marine. Elle a itou pensé à m’acheter des chaussettes bleu marine…
Je me lève, très ramolli et je me sape.
— A propos, tu as eu la pension Wiesler ?
— Ah ! Oui… Mais je n’ai pas eu Mathias, c’est une dame qui m’a répondu.
— Sa logeuse ?
Elle secoue la tête aussi énergiquement que négativement.
— Non, la logeuse m’a d’abord répondu. Lorsque j’ai réclamé ton ami, elle m’a dit de ne pas quitter et m’a branchée sur sa chambre et c’est là qu’une femme a répondu…
V’là ma pomme d’Adam qui joue du yo-yo. On me collerait une botte de colza entre les portières, vous auriez de l’huile de table pour votre année, les potes !
— Comment, tu… tu as parlé à quelqu’un d’autre ?
Elle paraît stupéfaite.
— Mais, mon chéri… Tu m’avais dit…
C’est vrai. Elle n’a pas la prudence d’un agent secret, elle ! Je soupire.
— Qu’as-tu dit ?
— Je lui ai demandé de prévenir M. Mathias que son ami San-A. serait heureux de le voir chez Mlle Bollertz, 13, Zollickerstrasse.
— C’est tout ?
— Ben… oui, voyons !
Je reprends espoir. Après tout, le message n’a rien de compromettant. Même si c’était quelqu’un du réseau qui se trouvait chez Mathias, il n’y a rien là-dedans de particulièrement alarmant.
Et puis, j’aime mieux que ce soit une voix de femme qui ait répondu plutôt qu’une voix d’homme. Je connais Mathias. C’est un beau garçon brillant, le sosie de Montgomery Clift. Les nanas, il les dégringole comme le fly-tox dégringole les mouches… Il aime ça et c’est pas votre petite tronche de San-Antonio amaigri qui lui jettera le premier robinet de lavabo !
— Bon… J’espère qu’on lui fera la commission.
Inquiète, elle s’informe :
— Je n’aurais pas dû laisser la commission ?
Je lui prends le menton et lui roule mon patin 118, breveté par le concours Lépine.
— Dans notre métier, vois-tu, on ne donne les lettres qu’en main propre, on ne laisse les messages qu’en voix propre… Mais ne te tracasse pas, va !
Elle va préparer la jaffe et je me traîne jusqu’à la cuistance pour l’aider…
Comme aide, vous repasserez ! Je la lutine vachement. A la fin nous sommes tellement agacés que nous chutons sur le matelas pneumatique. Et alors, comme je suis dans mes bons jours, je lui fais le grand super gala ! D’abord le Binocle du Percepteur, parce que c’est une mise en train (si je puis dire) de grand style ; ensuite la Machine à écrire de Maman (dix ans de pratique, clavier universel, ruban bicolore et tabulateur d’espacement) ; ceci pour passer à mon triomphe : l’Hélicoptère du Négus. Les dames qui ont eu droit à ce moment de la volupté n’en sont jamais redescendues. Sur les cent quatorze qui ont goûté à l’hélicoptère, douze sont entrées au couvent, vingt-deux dans une maison que la morale admet mais que Marthe Richard réprouve et les autres se sont logé, soit une balle dans la tête, soit dans un hôtel meublé. C’est vous dire, hein ?
En final, elle a droit à la petite Tonkinoise chez le Gouverneur… Moi, l’amour me dope, comme dit mon ami Champoing. Plus je le fais, plus je me sens en forme.
Par contre, Françoise est à ramasser avec un compte-gouttes. Si son matelas pneumatique crevait dans le col du Galibier, elle n’aurait pas la force d’y cloquer une rustine pour éviter la catastrophe.
Pour vous situer son état de déprédation, c’est le grand Mézigue qui est obligé de casser les œufs dans la poêle…
Je mets le couvert et nous becquetons à la turque[9] sur le matelas.
C’est charmant. Ça fait un peu camping… Moi, j’ai horreur du camping ailleurs que dans un appartement. Les toiles de tentes, les papiers gras, les seaux de toile qui fuient, les gogues envahis, les plats pas cuits, les gosses qui hurlent ? Ah non, merci beaucoup, madame Adrien ! Je préfère une petite auberge de cambrousse avec un lit haut de deux mètres et une table de nuit qui sent le vieux !
Quand c’est terminé, je ne me ressens plus de ma soi-disant pneumonie. J’ai idée que mon petit lot d’infirmière a exagéré un peu son diagnostic.
Les femmes veulent toujours vous donner l’impression que vous leur devez tout !
9
Je suis un homme franc. Il m'arrive de bluffer un peu quelquefois, mais c'est par poésie, pour « faire joli ». Alors je vais vous faire une confession publique, je vais vous dire la vérité dans toute son horreur : je n'ai jamais vu manger des Turcs.