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— Je vais encore te demander un service, Françoise.
Elle me regarde amoureusement. Ses yeux sont emplis d’une telle chaleur qu’ils feraient fondre une glace à la vanille.
— Tout ce que tu voudras, mon chéri.
— Il faudrait que tu ailles me poster cette lettre, ça urge.
Elle s’habille et prend la missive.
— Affranchis-la suffisamment, c’est pour la France.
Elle a un signe approbateur et s’éloigne. Le gars bibi allume une cigarette. Quelques bouffées voluptueuses me dégagent les éponges. Je songe que la vie est bonne à gober. A condition d’avoir du vase, of course ! Et moi — touchons du bois —, j’en ai. Vous me direz pas que l’intervention de cette petite vicelarde de Françoise n’a pas été miraculeuse, hein ? Ç’aurait pu être une vieille renaudeuse qui m’ait aperçu. Ou un ancien gendarme ! Je vous parie un cercle polaire contre un cercle vicieux qu’une personne sur mille seulement l’aurait bouclé, comme l’a fait la chérie. Toutes les autres se seraient mises à trépigner en se faisant péter les cordes locales (comme dit Mme Bérurier).
J’en suis là de mes considérations rose-praline lorsqu’un bref coup de sonnette me fait sursauter. C’est le premier depuis que je suis l’hôte de Françoise. Il me fait l’effet d’une vrille s’enfonçant dans mon crâne. J’hésite. Et soudain je pense à Mathias. C’est sans doute lui qui répond à mon appel. Je vais à la porte, mais, au moment de déloqueter, un doute me saisit.
Je me dis : « Et s’il s’agissait de quelqu’un d’autre ? D’une visite pour Françoise, par exemple ? »
Je rive mon œil au trou de la serrure, dans la plus pure tradition des larbins de vaudeville. J’ai une contraction au plexus. Il y a sur le palier deux messieurs en imperméable, avec des physionomies pas commodes. Ce serait des poulardins que ça ne me surprendrait pas.
J’observe leur comportement en retenant mon souffle. L’un d’eux s’avance et actionne une nouvelle fois la sonnette. Puis il dit quelque chose à son aminche dans une langue que je ne comprends pas.
L’autre tire de ses vagues un passe-partout. J’en ai le trouillomètre à zéro. Est-ce que ces deux Chinois verts vont s’amuser à forcer la porte ? Ils ont des façons cavalières, les bourdilles bernois !
C’est juste ce qui se produit. Le trou de la serrure est obstrué par une clé qui se met à fourgonner là-dedans… S’ils entrent et qu’ils me dénichent, mon compte est bonnard. Je vais jouer Prison sans barreaux d’ici peu…
Je bats en retraire (ce qui vaut mieux que de battre sa femme) jusqu’au studio. Mais c’est inefficace. Il n’y a pas de planque pour moi dans cette pièce coquette.
Je reviens à l’entrée. Ça fourrage toujours dans la serrure. Ils s’impatientent, les matuches ! Et ne m’ont pas l’air doués pour la serrurerie. Ce serait San-Antonio qui s’expliquerait avec son sésame, il y a longtemps qu’il serait entré. L’homme qui met les serrures K.O. en leur chuchotant des mots tendres !
Je vais à la salle de bains. Au-dessus de la baignoire, il y a une étroite fenêtre. Je grimpe sur le rebord du récipient et je passe ma hure par l’ouverture. La fenêtre donne sur l’angle de l’immeuble et de l’immeuble voisin. Un faisceau de cheneaux passe juste sous l’ouverture. Je m’engage dans l’encadrement. Heureusement que je suis souple. Je prends appui de la pointe des nougats sur les cheneaux, puis je lâche l’entablement de la fenêtre pour cramponner le tuyau de plomb de l’arrivée d’eau. Je pends dans le vide. J’ai une faiblesse et il me semble que je vais tout lâcher, mais ça passe et je serre très fort le tuyau. Heureusement que l’immeuble voisin dépasse le nôtre. Je me trouve dans un renfoncement, hors des regards indiscrets. Près de la fenêtre de ma salle de bains, il y en a une autre. En deux rétablissements, je l’atteins. Je passe un regard à l’intérieur. Il ne s’agit pas d’une autre salle de bains, mais d’une sorte de réduit qui abrite le vase d’expansion du chauffage central de l’immeuble. Un nouveau rétablissement et me voilà planqué sérieusement. Je ferme la petite fenêtre et m’assieds dessous. Je suis tranquille : on ne viendra pas me chercher là, sauf malchance…
J’attends… Je suis très emmouscaillé. J’ai laissé les papiers chouravés dans la servouze de Vlefta… Je n’ai que le chèque sur moi. Ces indices prouveront aux bignoles que je me trouvais laga et ils vont embastiller Françoise pour recel de malfaiteur ! La pauvrette va payer chérot son geste généreux… Avec ça, sa carrée sera surveillée et je vais me l’arrondir pour ce qui sera de me cacher là… Encore bien si je peux quitter l’immeuble, je vous l’annonce.
Ah ! pétoche de Zeus ! Et moi qui, au moment du coup de sonnette des bourres, nageais en plein optimisme ! Je flottais dans du sirop, je m’estimais béni des dieux… Et puis crac ! Raccrochez, c’est une erreur ! Satan conduit le bal !
Les minutes s’écoulent, interminables. Le réduit où je me trouve sent le renfermé, le vieux bois… Il y fait une chaleur molle et le silence est déprimant… Je vais à la porte qui s’entrouvre sans difficulté… Elle donne sur l’escalier de service. Je m’y engage. Entre deux étages se trouve une fenêtre. Je vais filer un coup de saveur. La fenêtre plonge sur la rue. Devant l’entrée, en bas, une auto est en stationnement… Je vois radiner Françoise. Elle marche d’un pas vif.
Je me dis qu’il faut à tout prix la prévenir de ce qui se passe. J’empoigne le loquet pour ouvrir la croisée, mais j’ai tiré trop fort et il me reste dans les pattes ! C’est la vraie pestouille, je descends à toute vibure à l’étage inférieur au risque de rencontrer quelqu’un. Mais quand j’open the window, Françoise a franchi le porche. Tout est tordu, y compris l’honneur ! Il me reste plus qu’à mettre les adjas presto avant que ces messieurs de la poule installent une agence dans la baraque.
Je continue de descendre… Arrivé en bas, je vais pour passer dans le hall de l’immeuble, seulement il y a une vieille femme qui lave le carrelage à grande eau. Et elle semble en avoir pour un bout de moment !
Je remonte. Mes mains sont agitées d’un tremblement nerveux. L’angoisse me serre le gésier… Je travaille dans les oléagineux ces temps-ci…
Je retourne à mon poste de la fenêtre… Un quart d’heure s’écoule et je vois sortir les deux malveillants. Ils montent dans leur charrette et se taillent. Je me dis que c’est impossible ! Je dois rêver ! Ils ont laissé Françoise en liberté ?
Je veux bien que les nanas soient fortiches pour le baratin, mais tout de même !
J’attends encore pour voir s’il n’y a pas un factionnaire dans la région. Non ! La rue est vide comme un poème de Minou Drouet.
Le mieux que j’ai à faire, c’est de retourner chez Françoise. Nous tiendrons un conseil de guerre pour savoir quelle attitude adopter…
Voyez Pinder !
Encore des rétablissements au-dessus du vide. Cette fois, j’ai la technique. Je me hisse jusqu’à l’encadrement de la seconde croisée et je m’insinue dans la salle de bains.
M’est avis que la môme Çoi-çoise doit se demander ce que je suis devenu. Si elle a le hoquet, je vais l’en guérir en débouchant de la salle de bains.
J’ouvre la porte, traverse l’entrée et pénètre dans le studio.
— Coucou, dis-je à ma gentille Suissesse en entrant, car elle est assise dans un fauteuil.
Mais cette tendre enfant ne sursaute pas.
Comment sursauterait-elle avec la gorge cisaillée d’une oreille à l’autre !
TROISIÈME PARTIE
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Je contourne le fauteuil et je la vois.