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Ma stupeur est telle que je suis obligé de m’asseoir en face d’elle sur le divan. J’ai tout le temps de contempler le désastre… C’en est un !

Françoise a changé de visage. La mort la fait ressembler à une statue. On dirait qu’elle est en cire… Elle porte des traces de brûlures de cigarettes aux joues et sur les seins, car son corsage bâille, à demi arraché.

Je réalise à quel point je me suis trompé sur le compte des deux croquants. Ce n’étaient certes pas des poultocks ! Je vois très bien ce qui a pu se passer. Lorsque Françoise a tubé à Mathias, la femme a pris la communication et a rancardé les pontes du réseau au lieu de prévenir mon ami. Ils ont adressé deux durs à titre de renseignement. Ces bonnes gens ont fouillé l’appartement, n’y trouvant personne, ils ont mis leurs pattes sales sur les documents chauffés à Vlefta. Sur ces entrefaites, Françoise a rappliqué. Ils l’ont questionnée à mon sujet. Elle n’a pas pu dire où j’étais — et pour cause — malgré les sévices qu’ils lui ont fait subir, et ils l’ont butée pour l’empêcher de parler…

C’est ce qu’un couvreur appellerait une tuile ! Voyez-vous, bande de ceci et cela, ce qui vient d’arriver à ma gosse d’amour va renforcer encore votre poltronnerie. Ceux qui sont partisans de jamais s’engager dans une sale histoire vont puiser dans la mienne des sujets de méditation en tôle galvanisée. Vivent les pantoufles ! vont-ils écrire en lettres grandes commak sur leur cheminée. Vive la tranquillité ! Et ma foi, je ne peux leur donner tort.

Je file un ultime coup d’œil au cadavre. Les yeux en sont clos. Pourtant on peut lire une intense panique sur le gentil visage.

Je murmure :

— J’aurai leur peau, Françoise, c’est juré ! Ils te le paieront, ces enfants de fumier !

Je me lève, parce que le voisinage devient impossible. On ne peut cohabiter longtemps avec un macchab, la maison Borniol vous le dira !

Je biche mon flouze dans mes poches, mon larfeuille, et je dis bonsoir à la dame. Comme j’ouvre la porte, je fais un bond en arrière qui m’envoie dinguer dans le porte-pébroques.

Il y a trois messieurs sur le paillasson, qui s’apprêtaient à sonner. Et ceux-là, pas d’erreur possible ; ce sont des vrais de vrais. Ils ont des bouilles qui ne trompent pas. Ils seraient nègres ou nains que ça ne se verrait pas davantage.

Le gnard San-Antonio se demande à la brutale si, par hasard, ça ne serait pas le commencement de la fin.

2

Il y a des flics qui pigent vite à condition de leur expliquer longtemps à l’avance. Ça n’est pas le cas des « miens ». Doux euphémisme, n’est-ce pas ?

Aussitôt qu’ils m’aperçoivent, ils me tombent dessus comme un gonocoque sur un poumon. Je suis tellement saisi (comme dirait l’huissier du canton) que je me laisse alpaguer sans avoir le moindre mouvement de défense. Clic-clac, me voici avec les poucettes. Avouez que pour un zig qui a passé sa vie à les mettre aux autres, ça ne manque pas de cocasserie.

Là-dessus, ces bons messieurs poussent la porte vitrée du studio et c’est le gros tollé d’imprécations. Ce meurtre m’est immédiatement attribué, vous le pensez bien. Quand un perdreau trouve un cadavre avec, à côté de lui, un bonhomme qui a déjà commis un meurtre, il ne se pose pas de problo.

Le plus mahousse du trio — celui à qui j’ai fait glavioter ses chailles dans le train — ne peut se contenir. Il me met un bourre-pif colossal qui me fait exploser le tarin. Je me mets à renifler du raisin et je titube mochement. Pour me réconforter, un de ses compagnons me file un coup de genou dans les joyeuses, et, instantanément, mon cœur me remonte dans la gargane, sans doute parce que je l’avais placé trop bas !

Exclamations ! Invectives ! Bonbons ! Caramels !

Je suis soulevé de terre, embarqué dans l’escalier dont on me fait descendre les marches cinq à cinq, et j’atterris dans une bagnole, entre deux poulets qui n’ont pas de la feutrine à la place des biscotos.

Mon naze plein de sang m’empêche de respirer normalement. Je suffoque… Cette fois, les amis, vous pouvez préparer le panier ! On peut considérer que j’ai terminé ma carrière.

On m’emmène à l’hôtel de police sans tambour ni trompette. Là, je ne fais pas antichambre. Je suis conduit directo dans le burlingue d’un gros ponte qui vient d’être rancardé sur mes derniers exploits et qui démarre sur les chapeaux de roue son interrogatoire.

Mon identité, pour débuter, nature ! La police commence toujours par là, depuis le plus obscur garde champêtre jusqu’au préfet. J’allonge le blaze porté sur mes faux-fafs… Les matuches reviendront de leur erreur un de ces quatre, mais en attendant je n’ai pas d’autre conduite à adopter.

Ensuite profession.

— Représentant, fais-je, d’un ton détaché.

— En quoi ?

— En tire-bouchons à pédale… C’est une invention à l’usage des manchots. Vous appelez un voisin afin qu’il enfonce le tire-bouchon dans le bouchon. Ensuite vous actionnez les pédales, celles-ci entraînent un pignon qui transmet la force imprimée à un levier situé à l’extrémité supérieure du tire-bouchon. Et hop ! Le bouchon s’enlève… Pour les bouteilles de champagne, nous avons un appareil spécial destiné à casser les goulots…

Si vous n’avez jamais vu un zig ahuri, radinez dare-dare ! Ça vaut son jeton de présence. La grosse légume policière clape à vide plusieurs fois et des points d’interrogation scintillent dans ses méchantes besicles.

C’est un homme grand et maigre, avec un crâne étroit et des yeux hostiles.

Pour l’instant, il se pose la question que j’espérais provoquer en lui. Il se demande si je suis fou. Et il se le demande en suisse-allemand, en français, en italien et en grison… Ça prend donc du temps…

Mon attitude est puérile, j’en conviens, mais comprenez qu’il m’est impossible de me défendre autrement puisque je ne dois rien dire. Vous mordez ?

Alors, le mieux c’est de jouer les cinoqués !

Le type poursuit, après que je me suis tu :

— Où habitez-vous ?

— Dans un coquillage de l’océan indien, fais-je, le plus gravement du monde… Je m’y suis fait installer le chauffage au mazout et la télévision à vapeur. J’y suis très bien.

— Je suppose que vous vous moquez de moi ? demande-t-il, non sans finesse.

Je fronce les sourcils.

— Les escargots volent trop bas pour que je puisse me le permettre !

Il se passe la dextre sur la citrouille. Ça lui file des vapeurs, à cet homme, faut le comprendre !

Il hésite, puis se lève et va à une porte qu’il entrouvre. Il appelle un bonhomme. Ce dernier est jeune, avec l’air futé et un complet prince de Galles.

Tous deux s’asseyent après avoir discutaillé en loucedé. Le supérieur poursuit :

— Pourquoi avez-vous assassiné Vlefta ?

— Parce que le grand soleil noir me l’a ordonné.

— Qui est le grand soleil noir ? bégaie l’autre tronche, de plus en plus estomaqué.

— Celui qu’a désigné le carré de l’hypoténuse !

Il dit quelque chose à son collègue. Ça doit signifier : « Vous voyez ? »

— Où vous êtes-vous procuré l’arme ?

— Le bras fort est toujours armé !

— Qu’avez-vous fait de la serviette volée à Vlefta ?

— Une selle de course pour course à pied.

Je tombe à genoux, les mains jointes, le visage fervent et, sur un ton d’oraison, je récite :

— Course à pied. Pied à terre. Terre de feu. Feu follet. Lait de vache. Vache de mouche. Mouche à miel. Miel de Narbonne. Bonne d’enfant. Enfant de troupe. Troupe de chevaux. Chevaux de Longchamp. Champ de navets. Navet blanc. Blanc d’Espagne. Pagne de nègre. Nègre noir. Noir de fumée.