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— Je suis aussi étranger que toi, ici ! Mais j’ai bien l’impression qu’il s’agit d’une espèce de maison de jeu ou de casino.

Alan fit sonner la monnaie au fond de sa poche.

— Si nous avions le temps, j’aimerais bien aller y faire un tour, tiens ! Mais…

— Vas-y, l’ami ! Vas-y ! psalmodiait le robot qui arrivait presque à donner à sa voix ferraillante des intonations humaines, tant son plaidoyer était pressant. Allez ! Rentre ! Pour un crédit, tu peux en gagner dix ; avec cinq crédits, c’est cent que tu peux empocher.

— Une autre fois, fit Alan.

— Mais l’ami, pour un crédit tu peux en gagner…

— Oui, oui, je sais !

— Dix, poursuivit le robot, imperturbable. Avec cinq crédits, c’est cent que tu peux empocher !

Tout en parlant, le robot s’était avancé dans la rue et empêchait Alan de passer.

— Tu ne vas pas, toi aussi, nous créer des problèmes, quand même ! On dirait vraiment que dans cette ville, tout le monde a quelque chose à vendre !

Mais le robot tendait le bras vers la porte, en un geste d’invite.

— Pourquoi ne pas essayer ? babillait-il. C’est le jeu le plus facile qu’on ait jamais inventé ! Tout le monde gagne, entre donc, l’ami !

Alan, impatienté, fronça les sourcils. Plus le robot le harcelait de slogans accrocheurs et plus il sentait la colère monter en lui. À bord d’un astronef, personne n’usait de ce genre de flagorneries d’entraîneuses pour vous faire faire quelque chose : si c’était une affectation, on faisait le travail sans rechigner, mais lorsqu’on était de repos, chacun était son propre maître.

— Je n’ai aucune envie de jouer à ton jeu stupide d’attrape-gogos !

Le visage de ranadium inoxydé du robot ne manifesta aucun sentiment.

— Tu n’agis pas correctement, l’ami ! Tout le monde joue au Jeu.

Décidant de l’ignorer, Alan commença à s’éloigner, mais le robot décrivit une courbe scintillante pour venir à nouveau lui boucher le passage.

— Tu ne veux vraiment pas essayer… rien qu’un coup ?

— Écoute-moi bien, répondit Alan. Je suis un citoyen libre et je refuse de me laisser avoir par ce genre de trucs. Alors maintenant, tu libères le chemin et tu me fiches la paix, avant que je m’occupe de toi à l’ouvre-boîte !

— Ce n’est pas une attitude correcte ! Je te demande simplement, en tant qu’ami…

— Et je te réponds pareil ! Laisse-moi passer !

— Calme-toi, lui souffla Ratt’.

— Mais enfin, ça ne rime à rien de placer ici une de ces machines idiotes pour embêter les gens de la sorte ! répliqua Alan qui commençait à sérieusement s’échauffer.

Il n’avait fait que quelques pas lorsque le robot lui tirailla la manche.

— Est-ce un refus définitif ? (Une nuance d’incrédulité s’était fait le jour dans la voix métallique.) Tu sais, tout le monde joue au Jeu. Refuser, c’est avoir une attitude de mauvais consommateur ! C’est incivique ! C’est une sale histoire ! C’est non rotatif ! C’est…

À bout de nerfs, Alan bouscula le robot, le repoussant d’une bourrade – sans doute un peu brutale – avec une facilité déconcertante. L’engin métallique tomba sur le trottoir dans un sinistre bruit de ferrailles entrechoquées.

— Est-ce vraiment sûr…, entama-t-il…, et sa voix fit place à un bruit assourdi de mécanismes abîmés qui s’affolaient.

— Je parie que je l’ai cassé ! dit Alan, le robot couché à terre. Mais ce n’est pas ma faute ! Il refusait de me laisser passer !

— On ferait mieux de déguerpir, conseilla Ratt’.

Mais c’était trop tard. Un grand gaillard en manteau noir avait ouvert la porte de la maison de jeu à toute volée et faisait face à Alan.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qu’est-ce que vous avez fait à notre servo ?

— Ce truc refusait de me laisser passer ! Il m’avait mis le grappin dessus et tentait à toute force de me faire entrer chez vous.

— Et alors ? C’est pour ça qu’il est là ! Les pubrob’s sont parfaitement légaux ! (Et soudain, l’incrédulité se peignit sur ses traits.) Vous voulez dire que vous ne voulez pas rentrer jouer ?

— Ça n’a rien à voir. Même si j’avais eu l’intention d’entrer, je ne l’aurais certainement pas fait ; en tout cas, pas après avoir été ainsi harcelé par votre ferraille !

— Fais gaffe, gamin ! Ne cherche pas les ennuis ! Ce que tu dis là, c’est non rotatif ! Allez, rentre, joue une partie ou deux et j’oublierai toute l’affaire. Je ne te ferai même pas payer la réparation de mon servo.

— Me faire payer ? Mais c’est moi qui devrais vous poursuivre pour entrave à la libre circulation ! Et je viens juste de dire à votre robot que je n’ai aucune envie de perdre mon temps à jouer chez vous !

La bouche de l’autre se tordit en un rictus, mi-sourire moqueur, mi-grimace.

— Et pourquoi non ?

— Ce sont mes affaires, s’obstina Alan. Fichez-moi la paix !

Et il partit à grands pas rageurs, pestant contre cette cité terrienne où ce genre de mésaventures pouvaient se produire.

— Fais gaffe que je ne te repique pas à rôder dans le coin ! lui cria l’homme de la maison de jeu.

Alan se perdit dans la foule mais eut le temps d’entendre ses derniers mots :

— Saloperie de Spacio !

Saloperie de Spacio… Alan tressaillit. Encore cette haine aveugle, irraisonnée des malheureux Spacios. Les Terriens étaient jaloux de quelque chose dont ils ne voudraient certainement plus s’ils pouvaient faire l’expérience des souffrances que cela entraînait.

Tout à coup, il réalisa qu’il était très fatigué.

Pendant plus d’une heure, il avait marché et il n’en avait pas l’habitude. Le Valhalla était certes un grand vaisseau, mais on pouvait le parcourir de bout en bout en moins d’une heure, et il était très rare de vivre de pleine gravité aussi longtemps. La gravité normale sous laquelle on travaillait, était de 0,93 par rapport à la norme terrestre, et ces 0,07 % d’exotisme représentaient une sacrée différence. Alan jeta un coup d’œil à ses bottes en pensant à ses pieds fatigués.

Il devait trouver quelqu’un qui pourrait le renseigner, guider sa recherche vers Steve. Car pour ce qu’il en savait, Steve aurait très bien pu être un des hommes qu’il avait frôlés aujourd’hui… Un Steve vieilli, et rendu méconnaissable en quelques semaines seulement de la vie d’Alan.

Du coin d’une rue, il aperçut un jardin public… Oh, rien qu’un petit carré de gazon, deux ou trois arbres rabougris, mais c’était un jardin tout de même. Entre tous ces immeubles géants, il avait l’air triste, presque abandonné.

Sur le banc était assis un homme, la première personne à l’aspect détendu qu’Alan ait vue jusqu’ici dans cette ville. Il pouvait avoir trente ou trente-cinq ans et portait un complet vert de mauvaise coupe aux boutons de cuivre ternis. Son visage était d’une laideur attirante : le nez un peu trop long, les joues un peu trop creuses, le menton un peu trop en galoche. Et il souriait d’un air amical.

— Excusez-moi, monsieur, fit Alan en s’asseyant à côté de lui sur le banc. Je ne suis pas d’ici, et je me demandais si vous…

— Il est là ! hurla soudain une voix qu’il connaissait. Alan se retourna et découvrit le petit marchand de fruits qui braquait vers lui un index accusateur. Et derrière l’homme, se tenaient trois autres personnages, vêtus de l’uniforme gris argent de la police.

— C’est lui, le type qui n’a pas voulu m’acheter. C’est un non-rotatif ! Un salopard de Spacio !