Alan répondit en haussant les épaules :
— Bof !… L’un ou l’autre, moi, vous savez…
Hawkes farfouilla au fond de sa poche à la recherche d’une pièce de monnaie, qu’il finit par trouver et par lancer en l’air.
— Face, on prend l’Aéro ! décida-t-il, en recevant la pièce sur le dos de la main gauche. C’est face ! fit-il après y avoir jeté un coup d’œil. Allons-y, l’Aéro, c’est par là.
Ils pénétrèrent dans le hall de l’immeuble voisin et prirent l’ascenseur jusqu’au dernier étage. Là, Hawkes interpella un homme en uniforme bleu :
— Où se trouve le plus proche Aérostop, s’il vous plaît ?
— Faut que vous preniez la passerelle du couloir nord pour la terrasse d’à côté…
— Merci !
Hawkes passa devant : ils empruntèrent d’abord un long couloir puis montèrent une volée de marches. Et soudain, après avoir franchi une porte, Alan eut la désagréable surprise de se retrouver sur l’un de ces ponts qui reliaient entre eux les gratte-ciel. Ce n’était rien de plus qu’un mince ruban de plastique que bordait, de chaque côté, une main courante et qui oscillait doucement sous l’effet de la brise.
— Je vous conseille de ne pas regarder vers le bas, avertit Hawkes. Nous sommes à une hauteur de cinquante étages.
Alan se raidit et garda les yeux obstinément braqués droit devant lui.
Une foule assez importante était déjà rassemblée sur le toit du bâtiment d’à côté, où il remarqua une sorte de quai métallique.
Un camelot s’avança vers eux et le jeune homme pensa qu’il s’agissait du vendeur de tickets. Mais au lieu de cela, il leur tendit un plateau de boissons fraîches sans alcool. Hawkes en prit une. Alan était sur le point de refuser mais le coup de pied bien ajusté qu’il reçut dans les chevilles l’en dissuada et il s’empressa de sortir sa monnaie.
Lorsque le vendeur fut parti, Hawkes lui dit :
— Faites-moi penser à vous parler du système rotatif quand nous serons à bord de l’Aéro. Tiens ! Justement le voilà…
Alan se retourna et vit un fuseau argenté qui fendait l’air en sifflant dans leur direction, puis venait accoster à la rampe du quai ; cela avait tout l’air d’une sorte d’engin à réaction. La queue se forma et Hawkes fourra un ticket dans la main d’Alan.
— Je les prends toujours par carnets mensuels, expliqua-t-il. C’est plus économique.
Ils se trouvèrent deux places côte à côte et bouclèrent leur ceinture. L’Aéro, sifflant et rugissant, bondit du quai pour se poser presque aussitôt sur un autre bâtiment.
— Nous venons de parcourir presque un kilomètre, fit Hawkes. Ces jets, ça trace vraiment !
« Un omnibus à réaction qui se balade de toit en toit, pensa Alan. C’est pas bête ! » Puis, à haute voix :
— Mais, il n’existe aucun transport de surface, en ville ?
— Aucun ! On les a tous supprimés, il y a environ cinquante ans, à cause des embouteillages. Les taxis, et tout le reste. Oh ! bien sûr, on a encore le droit d’utiliser les voitures particulières, dans certains quartiers, mais les seuls qui en possèdent sont des gens qui ne pensent qu’à épater leurs voisins. Pour nous déplacer, nous empruntons presque tous le Métro, ou bien l’Aéro…
Le jet décolla en trombe de son troisième arrêt, et déjà, les passagers qui l’attendaient au quatrième, s’engouffraient à l’intérieur. Alan jeta un coup d’œil vers l’avant et vit le pilote absorbé dans l’examen d’une grille de lecture radar très compliquée.
— Les Aéros qui vont vers l’ouest naviguent à trois cent cinquante mètres au-dessus des toits, et ceux qui volent vers l’est, à sept cents mètres. Cela fait des années que l’on a pas eu à déplorer d’accident grave. Mais revenons-en au système rotatif… Cela fait partie de la nouvelle planification économique.
— C’est-à-dire ?
— Faire circuler le fric ! On dissuade les gens d’épargner. Ce qu’il faut, à l’heure actuelle, c’est dépenser au maximum. Les corporations poussent tant qu’elles peuvent à la roue. Plutôt que d’acheter un fruit à un camelot, achetez-en deux. Dépenser, dépenser, dépenser ! Bien entendu, c’est assez dur pour les Autonomes, car comme nous n’avons rien à vendre, nous ne faisons pas de grands bénéfices !… Mais nous ne représentons que un pour cent de la population, alors qui donc se soucie de nous ?
— Vous voulez dire qu’éviter de dépenser, c’est presque subversif, c’est ça ? demanda Alan.
Hawkes acquiesça de la tête.
— Quiconque est trop ostensiblement près de ses sous, s’attire tous les ennuis possibles. Il faut être une vraie fontaine à crédits : c’est la seule manière d’être populaire, chez nous !
« C’était donc ça, l’erreur au départ », pensa Alan. Il commençait à entrevoir la somme de choses qu’il lui faudrait apprendre sur ce monde ahurissant et hostile, s’il décidait d’y séjourner un bon moment. Il se demandait s’il manquait déjà à quelqu’un de là-bas, de l’Enclave.
« J’arriverai peut-être à dénicher Steve plus rapidement que prévu. Quand même, j’aurais dû laisser un mot à papa pour lui dire que j’allais revenir. Mais…»
— Nous y sommes, fit Hawkes, accompagnant ses mots d’un coup de coude.
La porte s’ouvrit dans le flanc de l’Aéro et ils en sortirent vivement. Ils se trouvaient sur le toit d’un autre immeuble.
Dix minutes plus tard, ils se tenaient au pied d’un gratte-ciel aux murs formés de grandes plaques d’une pellucite verte qui luisait doucement en irradiant sa chaleur interne. Le bâtiment devait avoir au moins une centaine d’étages et se terminait par une longue flèche brune.
— Voilà, déclara Hawkes, le Fichier Central. Nous allons commencer par la Mémobanque des Statuts Courants.
Quelque peu éberlué, Alan lui emboîta le pas, Hawkes lui fit traverser un hall si démesurément grand qu’on aurait pu y loger le Valhalla sans encombre, où se bousculait une foule innombrable de Terriens, jusqu’à une autre salle presque aussi vaste occupée par des rangées d’ordinateurs qui s’étiraient de tous côtés.
— Prenons cette cabine, suggéra-t-il.
Ils entrèrent et la porte se referma automatiquement derrière eux avec un léger claquement. Un petit présentoir métallique y était fixé où se trouvait une pile de formulaires vierges.
Hawkes en prit un et Alan y lut.
« Recherche d’informations par mémobanque du Fichier Central n° 1067432 Catégorie : Statut Courant. » Hawkes prit un stylo dans le présentoir.
— Il nous faut remplir ça. Quel est le nom de famille de votre frère ?
— Steve Donnell.
Il épela.
— Année de naissance ?
Alan hésita.
— 3576, finit-il par dire.
Hawkes fronça les sourcils mais inscrivit le chiffre énoncé.
— Numéro de carte de travail… Bon, ça on n’en sait rien… Et ils demandent cinq ou six autres numéros, par-dessus le marché. Je crois qu’il serait utile que vous me fassiez un portrait physique détaillé de votre frère, tel qu’il était la dernière fois que vous l’avez vu.
Alan réfléchit un moment.
— Il me ressemblait énormément : 1,65 m, poids environ soixante-dix kilos, les cheveux blonds tirant sur le roux, enfin… comme moi, quoi !
— Avez-vous une fiche génétique ?
— Une quoi ? demanda Alan, effaré.
Hawkes fit la grimace.
— Ah oui ! C’est vrai, j’oubliais… Je n’arrive pas à me mettre dans la tête que vous êtes un Spacio… Eh bien, s’il n’utilise plus son vrai nom, on n’en est pas sorti ! Une fiche génétique permettrait une identification à coup sûr. Mais puisque vous n’en avez pas…