Tout en sifflotant (faux d’ailleurs !) Hawkes finit de remplir le formulaire. Lorsqu’il en arriva à la rubrique « Motif de la requête », il inscrivit : Recherche de parent disparu.
— Je crois que tout y est, dit-il enfin. C’est plutôt succinct, comme renseignements pour une demande, mais avec un peu de chance…
Il roula le formulaire pour l’introduire dans un cylindre de métal gris qu’il glissa par une fente dans le mur.
— Et maintenant, que va-t-il se passer ? interrogea Alan.
— Maintenant, il faut attendre. La demande de recherche descend au sous-sol pour y être traitée par l’ordinateur principal. Dans un premier temps, il va sortir toutes les cartes au nom de Steve Donnell. Puis il les confrontera les unes après les autres à la description physique que j’ai établie. Et dès qu’il aura repéré quelqu’un répondant aux données programmées, il en sélectionnera la carte pour nous l’envoyer ici. Nous n’aurons plus qu’à recopier son numéro de biocode, avec lequel ils se mettront à sa recherche.
— Son numéro de quoi ?
— Vous allez voir, fit Hawkes avec un grand sourire. C’est un procédé qui a fait ses preuves. Attendez, vous verrez.
Et ils attendirent. Une minute. Puis deux… trois…
— J’espère que je ne vous empêche pas de faire ce que vous avez à faire ? dit Alan pour briser le désagréable silence qui s’éternisait. Je vous suis vraiment très reconnaissant de me consacrer tout ce temps, mais je m’en voudrais beaucoup si je vous dérangeais dans…
— Si je ne souhaitais pas vous rendre service, coupa Hawkes sèchement, je ne serais pas là ! Je suis un Autonome, comprenez-vous ? Cela signifie que je n’ai personne pour me commander. Max Hawkes… M. Max Hawkes. Cela fait partie des quelques maigres compensations que m’offre l’existence, en contrepartie d’une vie presque toujours minable… Alors si cela me fait plaisir de perdre une heure ou deux pour vous aider à chercher votre frère, ne vous cassez donc pas la tête !
Un bref son de cloche s’éleva et une petite lumière rouge s’alluma au-dessus de la fente, Hawkes y introduisit la main pour en extraire le cylindre qui s’y trouvait.
À l’intérieur, était roulée une feuille de papier qu’il en retira. Il lut plusieurs fois le message qui y était imprimé, ses lèvres détachant silencieusement chaque syllabe.
— Alors ? L’ont-ils trouvé ?
— Lisez vous-même, répondit Hawkes en faisant glisser la feuille en direction d’Alan.
En capitales d’imprimerie, on pouvait lire :
LES RECHERCHES EFFECTUÉES DANS NOS BANQUES MÉMORIELLES RÉVÈLENT QU’AU COURS DE CES DIX DERNIÈRES ANNÉES, AUCUNE CARTE DE TRAVAIL N’A ÉTÉ REMISE SUR TERRE, AU NOM DE STEVE DONNELL, ÉLÉMENT MÂLE, RÉPONDANT À LA DESCRIPTION FOURNIE.
Les traits d’Alan se muèrent soudain en un masque de consternation. Il jeta le bout de papier sur la table et dit :
— Bon ! Et maintenant, que fait-on ?
— Maintenant ? Eh bien, nous allons monter jusqu’à ce trou à rats qui leur sert de fichier pour les Autonomes. Et même opération ! Pour être franc, je ne m’attendais vraiment pas à trouver ici la trace de votre frère. Mais ça valait tout de même le coup d’essayer ! En fait, il est quasiment impossible à un Spacio qui débarque de se payer l’entrée dans une corporation, et donc de se faire établir une carte de travail.
— Et si jamais il n’est pas inscrit chez les Autonomes ?
Hawkes eut un sourire patient.
— Dans ce cas-là, mon cher ami, il vous faudra rentrer vers votre astronef sans avoir rempli votre mission. S’il n’est pas fiché là-haut, rien au monde ne peut vous permettre de le rejoindre.
CHAPITRE VII
Sur la porte, une inscription annonçait : « Fichier des citoyens travaillant sous Statut Autonome. » Et en dessous : « Bureau 1104. » D’une bourrade, Hawkes poussa le battant et ils entrèrent.
La pièce n’avait vraiment rien d’imposant. Derrière un bureau de plastex plutôt délabré, un gros bonhomme au teint blafard griffonnait sa signature aux bas de formulaires qu’il prenait sur une énorme pile. Des classeurs et autres meubles de rangement de toutes sortes, dépareillées, disposés à tort et à travers, encombraient les murs. Tout était recouvert d’une bonne couche de poussière.
À leur entrée, l’homme leva les yeux et salua Hawkes de la tête.
— Salut, Max ! Te déciderais-tu enfin à devenir honnête ?
— Ça, c’est pas demain la veille ! répliqua Hawkes. Non, je suis juste venu prendre quelques renseignements. Alan, voici Hines Mac Intosh, le conservateur des archives. Hines, j’ai le plaisir de te présenter un Spacio de mes amis : Alan Donnell.
— Tiens donc ! Un Spacio, hmmm… (Le visage rondouillard de Mac Intosh se fit soudain grave.) Eh bien, mon garçon, j’espère pour vous que vous savez rester longtemps l’estomac vide. Le Statut d’Autonome, ce n’est pas la belle vie !…
— Non, non, fit Alan. Vous ne…
Mais Hawkes le coupa net :
— Il est juste en ville pour un petit congé, Hines. Son astronef redécolle dans deux ou trois jours, et il a bien l’intention d’être à bord à ce moment-là. Mais pour l’instant, il tente de retrouver son frère qui a déserté il y a neuf ans.
Mac Intosh hocha la tête.
— Je suppose qu’en bas, vous avez fait chou blanc ?
— Bien sûr…
— Ça n’a rien de surprenant. Tous ces Spacios qui lâchent l’espace, c’est nous qui les récupérons : je crois bien que je n’en ai jamais vu un seul obtenir une carte de travail. Et qu’est-ce que vous avez donc là, sur l’épaule, mon gars ?
— C’est Ratt’ ! Il est originaire de Bellatrix VII.
— Espèce évoluée ?
— Plutôt, oui ! s’exclama Ratt’ indigné. Alors, il suffit d’être victime d’une vague ressemblance physique, très superficielle d’ailleurs, avec une certaine sorte de rongeur terrien, assez désagréable pour que…
— Holà ! Holà ! du calme, fit Mac Intosh, dissimulant un début de fou rire. Loin de moi l’idée de vous insulter, mon ami ! Mais il faudra demander un visa si vous envisagez de séjourner sur Terre plus de trois jours.
— Un visa ? interrogea Alan en fronçant le sourcil.
Hawkes, à nouveau, intervint :
— Je t’ai déjà dit que ce jeune homme a bien l’intention de regagner son vaisseau, Hines. Ni lui ni son copain extraterrestre n’auront besoin de visa.
— Oh ! moi, tu sais…, fit Mac Intosh. Alors, comme ça, vous recherchez votre frère, mon garçon ? Alors allez-y donnez-moi son nom, sa date de naissance et tout le fourbi…
— Il s’appelle Steve Donnell, monsieur. Né en 3576. Il a déserté en…
— Né quand ? Quelle année avez-vous dit ?
— Ce sont des Spacios, lui rappela tranquillement Hawkes.
— Bon ! Continuez, reprit Mac Intosh en haussant les épaules.
— Il a déserté en 3876… enfin, je crois. C’est tellement compliqué de s’y retrouver dans les dates, sur Terre.
— Et, son signalement ?
— Nous étions jumeaux… de vrais jumeaux.
Mac Intosh nota soigneusement tous les renseignements qu’Alan lui fournit puis les coda sur une carte perforée.
— Je n’ai aucun souvenir d’un Spacio de ce nom-là ! Mais neuf ans, c’est si long… Et nous en recevons tellement qui viennent là pour prendre le Statut d’Autonome !
— Vraiment tant que ça ?
— Oh ! facilement quinze ou vingt par an… et rien qu’ici, dans ce bureau. Ils sont en permission, et puis pour une raison ou pour une autre, leur astronef les abandonne à jamais… Tiens, une fois, à l’Enclave de Frisco, y a un gars qui s’est fait tabasser et dévaliser, et qui n’a repris conscience qu’une semaine plus tard ! Bien sûr, il avait raté son décollage et aucun autre équipage n’a voulu l’enrôler. Ben, maintenant, il est Autonome lui aussi. Mais voyons voir ce qu’il en est de ce Donnell. Steve, sexe masculin, hein ? Vous comprenez bien, j’imagine, que la loi n’oblige en aucune façon les Autonomes à venir s’inscrire chez nous ? Et donc, qu’il est très possible que nous n’ayons aucune trace de lui dans nos mémobanques ?