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— Et vous préférez éviter de les rendre trop jaloux de vous. Alors, vous vous débrouillez pour perdre suffisamment pendant la dernière demi-heure, en gros, afin de leur faire oublier la hargne provoquée par vos victoires antérieures.

— T’as pigé le truc !

Le Métro quitta son arrêt et partit comme une fusée dans son tunnel de nuit. Alan réfléchissait en silence aux enseignements de la soirée. Il se rendait compte qu’il avait encore beaucoup, énormément de choses même, à apprendre à propos de la vie sur Terre.

Hawkes avait un don : le don de gagner. Mais il n’en abusait pas. Il en tenait une petite partie cachée, faisant en sorte que ceux qui ne possédaient pas le même talent que lui, n’en viennent pas à éprouver une trop grande jalousie à son égard. La jalousie, sur Terre, semblait plus qu’ordinaire ; les gens d’ici menaient une vie sordide, courte, et on n’aurait pu y trouver la moindre parcelle de la fraternité sereine qui régnait à bord des astronefs.

Il se sentit soudain épuisé, mais ce n’était qu’une fatigue physique : son esprit, au contraire, déployait ses ailes. La vie terrienne, malgré toute sa crasse brutale, était terriblement excitante, à côté de l’existence à bord d’un vaisseau. Et ce fut avec un petit choc furtif qui ressemblait bien à du désappointement qu’il se souvint de devoir regagner le Valhalla dans quelques jours. Il lui restait tant et tant d’aspects fascinants de cette vie à découvrir !…

Le Métro s’arrêta à la station Hasbrouck.

— Nous descendons là, l’avertit Hawkes.

Ils empruntèrent un trottoir roulant jusqu’à la surface. La rue ressemblait à une gorge encaissée entre ses murs vertigineux s’étirant à perte de vue. Et parmi ces gigantesques bâtiments, certains, à la lumière des lampadaires, paraissaient tout à fait misérables et délabrés. Ils se trouvaient manifestement dans une partie beaucoup moins prestigieuse de la ville.

— Voilà Hasbrouck, quartier résidentiel, annonça Hawkes. Et c’est ici que j’habite.

Du doigt, il désignait l’entrée aux chromes ternis de l’un des immeubles les plus miteux.

— Bien sûr qu’il ne paye pas de mine, pour moi, il n’y a rien d’aussi agréable que cet immeuble « aux armes du Nord Hasbrouck ». C’est sans doute la plus mal entretenue des bâtisses de l’hémisphère Nord, mais je m’y sens merveilleusement bien. Je l’aime plus que si c’était un palace.

À sa suite, Alan franchit la grille d’entrée qui avait dû, autrefois, sembler majestueuse ; mais ce n’était plus qu’une ferraille qui grinça en s’ouvrant laborieusement lorsqu’ils passèrent dans le champ de la cellule photoélectrique la commandant. Le vestibule, à peine éclairé, sentait le renfermé.

Le jeune Spacio ne s’attendait certes pas à ce que le joueur habite dans un décor d’une telle pauvreté. Au bout d’un moment, il posa une question, et aussitôt après se rendit compte qu’elle était tout à fait désobligeante. Mais il était trop tard.

— Je ne saisis pas très bien, Max. Si vous gagnez autant au jeu, quelle raison peut bien vous pousser à vivre dans un endroit pareil ? N’existe-t-il donc aucun logement plus… enfin…

Une indéchiffrable expression déforma fugitivement le visage émacié de l’homme.

— Je comprends ce que tu veux dire. Eh bien… disons seulement que les lois qui régissent ce monde sont plutôt discriminatoires tant à l’égard des Autonomes que des gens comme toi, en fait. Nous aussi, on nous impose des résidences… assignées.

— Mais, ce coin, c’est presque la zone !

— Tu peux laisser tomber le « presque ». Ce quartier est le plus infect de la ville, le pire. C’est absolument indéniable. Mais je dois vivre ici.

Ils s’introduisirent dans la cabine grinçante d’un vieil ascenseur aux chromes surabondants, dont la plupart s’écaillaient lamentablement, et Hawkes enfonça le bouton du 106.

— La première fois que j’ai débarqué là-dedans, j’ai immédiatement résolu de me débrouiller, à coups de pots-de-vin, pour déménager et aller vivre dans un endroit plus souriant, dès que j’aurais l’argent nécessaire. Mais lorsque j’eus suffisamment économisé, je n’en avais plus envie. Je suis plutôt du genre flemmard.

C’est avec un brusque soubresaut que l’appareil s’immobilisa au 106e étage. Ils longèrent un étroit couloir piètrement éclairé et Hawkes soudain fit halte devant une porte. Il appuya son pouce sur la plaque identificatrice de celle-ci, et attendit qu’elle s’ouvre, les relais électrosensitifs ayant analysé ses empreintes digitales.

— Nous y sommes.

C’était un trois pièces qui paraissait presque aussi vétuste et minable que les chambres de l’Enclave. Mais l’ameublement en était moderne et agréable : manifestement, ce n’était pas l’appartement d’un miséreux. Un système audio-vidéo sophistiqué occupait tout un mur. Alan remarqua également un globe délicatement ouvragé contenant une sculpture lumineuse mobile dont le cœur de cristal chatoyait comme un kaléidoscope de mille couleurs qui se mouvaient en se fondant les unes dans les autres, ainsi qu’un rob’bar à l’esthétique recherchée ; partout ailleurs, il vit une grande quantité de livres de toutes sortes et de bandes magnétiques.

Hawkes fit signe de s’installer confortablement à Alan, qui choisit de s’étendre dans une chaise longue verte dont les ressorts vibrèrent. Il n’avait pas envie d’aller dormir et préférait demeurer éveillé encore une bonne partie de la nuit, à discuter.

Le joueur s’affaira un moment auprès du bar, et revint avec deux verres. Alan observa le sien pendant quelques instants : le liquide était jaune vif et pétillait. Il en sirota une gorgée. Deux ou trois goûts et consistances différents lui frappèrent successivement le palais, donnant à la boisson une saveur douce, mais surprenante.

— Hmm ! J’adore ça ! Qu’est-ce que c’est ?

— Du vin d’Antarés XIII. J’ai pu m’en procurer quelques bouteilles, l’année dernière, pour cent crédits chacune… il en reste trois. Je le ménage : le prochain vaisseau en provenance d’Antarès XIII ne sera pas là avant quatorze ans.

Alan, après avoir bu, se sentit plein d’optimisme et détendu. Ils bavardèrent un bon moment, et c’est à peine s’il remarqua qu’il était presque 03 00 ; à bord du vaisseau, il aurait été couché depuis longtemps. C’était le dernier de ses soucis. Il buvait littéralement chacune des paroles de Hawkes, avec la même délectation qu’il avait ressentie en dégustant le vin d’Antarès. Le Terrien était un personnage complexe, aux multiples facettes. Il semblait avoir tout vu et tout fait de ce qu’offrait sa planète. Pourtant, on n’aurait pu déceler la moindre trace de vantardise dans le récit qu’il donnait de ces exploits : simplement, il relatait des faits.

Manifestement, il gagnait au jeu des sommes fabuleuses ; en moyenne, presque mille crédits par nuit complète. Mais peu à peu, une note plaintive se fit jour dans sa voix ; le succès l’ennuyait, il n’avait plus aucun but à atteindre. Dans son domaine, il était le meilleur et ne voyait plus de nouveau monde à conquérir. Il se plaignait amèrement d’avoir tout vu et tout fait.

— J’aimerais bien, moi aussi, aller dans l’espace, un de ces jours. Mais bien entendu, il n’en est pas question.

Je n’ai pas du tout envie d’arracher à jamais tous les liens qui m’attachent à mon siècle… Pourtant, tu n’as pas idée de ce que je donnerais pour contempler un lever de soleil sur Albirea V ou bien les mille lunes de Capela XVI. Seulement, cela m’est impossible. (Il secoua gravement la tête.) Enfin !… inutile de rêver… J’aime la Terre, ainsi que la manière dont j’y vis. Et je suis également très heureux que nous soyons tombés l’un sur l’autre… nous ferons une bonne équipe, tous les deux, Donnell.