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Le visage de Kandin s’empourpra et il baissa les yeux :

— Je… je suis désolé, Alan… je ne voulais pas… enfin…

Le silence tomba entre eux. Alan reporta son attention sur son petit déjeuner, tandis que Kandin, l’air maussade, laissait son regard se perdre dans le vague. Finalement, le premier officier reprit la parole :

— Tu sais… je pensais à Steve. Et le fait que tu ne puisses plus le considérer comme ton jumeau m’a soudain frappé. C’est une des plus amères bizarreries du voyage spatial enregistrée jusqu’ici.

— J’y ai déjà réfléchi. Il a vingt-six ans. Et pourtant nous étions jumeaux. Mais la Contraction Fitzgerald nous fait parfois de drôles d’embrouilles.

— Sûr ! fit Kandin. Bon… eh bien, je crois qu’il est temps que j’aille me reposer un peu.

Il donna une amicale bourrade dans le dos d’Alan, décoinça ses longues jambes de sous le banc et s’en alla.

« Oui, la Contraction Fitzgerald nous fait parfois de drôles d’embrouilles », se répétait Alan qui termina son repas en mastiquant comme un automate. Puis il se mit à la queue pour porter sa vaisselle usagée dans la hotte béante d’où elle atterrirait dans les cuves du purificateur moléculaire. « Vraiment de drôles d’embrouilles. »

Il tenta d’imaginer à quoi Steve pouvait bien ressembler à présent, avec neuf ans de plus. Sans y parvenir.

Plus la vitesse se rapproche de celle de la lumière, plus le temps se rapproche de zéro.

C’était ça, la clef de l’Univers : le temps se rapproche de zéro. L’équipage d’un astronef reliant la Terre à Alpha du Centaure à une vitesse voisine de celle de la lumière, remarquerait à peine la durée du voyage.

En réalité, il était bien entendu impossible d’atteindre la vitesse de la lumière. Mais certains grands vaisseaux la frôlaient et plus ils flirtaient avec elle, plus grande était la contraction temporelle à bord.

Une banale histoire de relativité : le temps est subordonné à l’observateur.

C’est pourquoi les voyages interstellaires étaient réalisables. Si la Contraction Fitzgerald n’avait pas existé, les hommes d’un bâtiment vieilliraient de cinq ans avant de toucher Alpha C, de huit ans pour Sirius et de huit ans pour Procyon. Plus de deux siècles s’écouleraient avant qu’ils ne joignent une étoile aussi lointaine que Bellatrix.

Grâce aux effets de la Contraction, Alpha Centauri n’était qu’à trois semaines de croisière, Sirius à un mois et demi. Même Bellatrix ne représentait plus qu’un voyage de quelques années. Bien sûr, lorsque les équipages revenaient sur Terre, ils trouvaient la vie complètement transformée : des années s’étaient écoulées et le monde avait tourné.

Pour l’instant, le Valhalla regagnait la Terre pour une courte escale. Là, les Spacios se réunissaient dans les Enclaves, véritables villes-dans-les-villes, qui grandissaient autour de chaque astroport. Ils formaient une société parallèle, sans faire la moindre tentative pour participer à un monde extérieur aussi déroutant.

Parfois, l’un d’eux désertait. Son unité, alors, l’abandonnait et il devenait un Terrien. C’était précisément le cas de Steve Donnell.

La Contraction Fitzgerald nous fait parfois de drôles d’embrouilles. Alan se remémora le frère qu’il avait connu quelques semaines auparavant, si jeune, gai, son jumeau, son autre lui-même… et se demanda ce que neuf années de plus avaient bien pu en faire.

CHAPITRE II

Alan laissa tomber la vaisselle de son petit déjeuner dans la hotte et sortit du mess à grands pas. Son objectif était le central de contrôle, cette longue et large salle, véritable centre nerveux de la vie du vaisseau, comme le hall commun d’agrément était le foyer où s’établissaient toujours les rapports sociaux au sein de l’équipage.

Il alla se planter devant le grand tableau où étaient consignées à la craie les affectations quotidiennes des hommes et parcourut la liste à la recherche de son nom.

— Aujourd’hui, tu travailles avec moi, Alan, dit une voix posée.

Il se retourna et vit la silhouette courte et sèche de Dan Kelleher, le responsable de la cargaison. Il se rembrunit.

— Je suppose qu’on va empaqueter des trucs jusqu’à ce soir sans arrêt, fit-il d’un air contrit.

Kelleher démentit d’un hochement de tête.

— Non. En réalité, on n’a pas un boulot énorme. Mais on va être plutôt au frais. Il s’agit de mettre en caisse tous ces quartiers de dinosaures entreposés dans la soute de conservation. Ça ne va pas être de la rigolade.

Alan examina le tableau, cherchant parmi les rangées de noms, ceux qui formaient les équipes de manutention. Aucun doute, le sien s’y trouvait bien : Donnell, Alan, dans la colonne qui suivait le grand double E, pour « Équipe d’emballage ». En tant que membre d’équipage non spécialisé, il passait d’un poste à un autre, au gré des besoins.

— J’estime qu’il nous faudra environ quatre heures pour en finir, poursuivit Keileher. Si tu le désires, tu peux prendre un peu de temps libre pour l’instant. Tu te rattraperas bien assez tôt !

— Ce n’est sûrement pas moi qui dirai le contraire ! Si je me présente au travail à 09 00, ça va ?

— Pas de problème.

— Si jamais vous aviez besoin de moi avant, je suis dans ma cabine. Vous n’aurez qu’à m’appeler.

De retour dans la petite chambre carrée où il dormait, au sein de la ruche des célibataires, Alan décrocha son paquetage pour en extirper un vieux livre tout corné qu’il connaissait presque par cœur, et se mit à le feuilleter. Le dos de la reliure affichait en lettres autrefois dorées : La Théorie de Cavour. Il l’avait déjà lu de la première à la dernière page au moins une centaine de fois.

— Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi ce Cavour te passionne tant ! marmonna Ratt’, en se levant à demi de sa couchette minuscule, dans le coin de la pièce. Si par hasard tu arrivais à résoudre les équations qu’il pose, tu ne ferais jamais que scier la branche sur laquelle ta famille et toi êtes assis ! Tiens, sois un bon gars et passe-moi ma lime à dents.

Alan lui tendit le bâtonnet de chêne jovien dont se servait le Bellatricien pour garder à ses dents un tranchant impeccable.

— Mais tu ne te rends pas compte ? répondit Alan. Si seulement nous parvenons à comprendre les travaux de Cavour, et donc à trouver l’hyperpropulsion, c’est tout le handicap de la Contraction Fitzgerald qui disparaît ! Alors quelle importance, si au bout du compte, le Valhalla se retrouve complètement dépassé ? Nous pourrons toujours le modifier pour y adapter le nouveau mode de propulsion. Moi, je vois les choses ainsi : si nous pouvions découvrir le secret de la vitesse supraluminique de Cavour, nous…

— Oui ! Je sais, je sais ! Tu m’as déjà rabâché ta ritournelle des dizaines de fois ! le coupa Ratt’, dont la voix flûtée s’était teintée de lassitude. Avec la navigation en hyperespace, vous pourrez sillonner la Galaxie dans tous les sens sans subir la moindre distorsion temporelle que provoquerait la propulsion classique. Ainsi seras-tu à même de réaliser ta chère obsession : aller partout, et tout voir. Ah ! non mais, voyez-vous ce regard s’embraser ! Admirez ce sourire radieux ! Tes yeux deviennent des étoiles dès que tu t’embarques sur le chapitre de l’hyperpropulsion !

Alan ouvrit le livre à une page cornée.

— Je sais qu’on finira par y arriver. J’en suis sûr ! Je suis même certain que Cavour lui-même a réussi à construire une hypernef.