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D’un air lugubre, Alan s’acharnait à observer la plaine, son humeur épousant celle du spectacle désolé qu’il contemplait en dessous de lui. Même de cette altitude, il pouvait distinguer les tourbillons de poussières qui dansaient au-dessus de ravins arides et desséchés, creusés dans la nuit des temps par quelque rivière d’on ne sait quel acide ; il voyait des dômes de roc nu, comme des crânes enchâssés dans le désert. Mais il n’apercevait pas le moindre signe prouvant que cette planète ait jamais été animée par une vie quelconque.

« Peut-être Cavour s’était-il posé à des milliers de kilomètres, songea Alan. Peut-être n’était-il même jamais arrivé jusque-là ! »

Peut-être, peut-être… Des « peut-être », il y en avait des millions…

Ce voyage sur Vénus avait été un pari complètement cinglé dès le départ. Il se demanda si Max Hawkes aurait tenu un pari sur sa réussite finale. Pour tout ce qui était intuition, Max avait été infaillible.

« Bon, se dit Alan, eh bien, maintenant, il me faut une intuition. Où que tu sois, Max, aide-moi encore un coup. Envoie-moi un peu de ta chance. Il me la faut, Max…»

Il entamait sa huitième révolution. Et il ne voyait rien.

Rien de rien.

Le « jour » vénusien durerait encore de nombreux mois terrestres ; il n’avait donc pas à craindre que l’obscurité le rattrape. De toute façon, la vague lueur perçant à grand-peine l’épaisseur des nuages ne lui était pas d’une grande utilité : la vision oculaire était sans doute le moyen d’investigation dont il dépendait le moins. En effet, son vaisseau était équipé de tout l’éventail habituel de détecteurs. Des senseurs infrarouges pouvaient distinguer n’importe quelle zone de dix mètres carrés ou plus, dont la température différait de un degré avec celle du terrain environnant. Toute information insolite de la surface était immanquablement repérée par balayage radar. Les sonars détectaient la moindre cavité souterraine. Le vaisseau émettait également cinq mille fois par seconde des gerbes de rayons qui recherchaient, par analyse holographique, les textures autres que sables et roches.

Son astronef regardait le sol par un million d’yeux perçants. Et ces yeux ne voyaient strictement rien.

Ils continuèrent à chercher pendant qu’Alan dormait. À son réveil, il interrogea l’ordinateur : réponse négative. Il s’en était douté. Et maintenant ? Que faire ? Effectuer une nouvelle révolution ? Il s’était maintenu sur l’orbite qu’avait programmée Cavour pour son approche, et il s’avérait, de toute évidence, qu’il n’en sortirait rien. Il était fort possible que Cavour ait décidé de modifier sa ligne d’approche à l’arrivée.

— On change d’orbite, annonça Alan à l’ordinateur. Dérive latérale, cinq degrés est.

Le vaisseau obéit, mais après quatre heures passées à graviter sur cette nouvelle orbite, il n’y avait toujours rien de positif.

Alan effectua une nouvelle dérive. Puis une autre. Et encore une.

Au bout de trois jours, il se trouvait à 90° de son plan initial, survolant Vénus du nord au sud. Il était persuadé, à présent, qu’il courait à l’échec ; mais il se refusait à abandonner. Pas encore. Pas déjà… Il n’avait pas fini de passer au peigne fin la surface entière de la planète. Et ne tournant qu’à peine sur son axe, Vénus ne l’aidait pas beaucoup ; c’est lui qui devait se déplacer de région en région pour observer le sol. L’un des écrans de l’ordinateur affichait en permanence une carte des deux hémisphères de Vénus, où un quadrillage gris indiquait les zones déjà explorées. Il restait si peu de surface à inspecter !…

Ding !

C’était le détecteur de masse métallique proclamant fièrement qu’il avait découvert quelque chose.

Une fraction de seconde plus tard, les écrans du sonar et du radar s’illuminaient, l’analyseur reproduisait une image holographique clignotante, les infrarouges émettaient leur signal et une demi-douzaine d’autres détecteurs confirmaient la trouvaille.

— Lecteur analytique des informations ! (Alan avait presque crié en direction de l’ordinateur.) Qu’est-ce que c’est ? Visualise-moi ces données, vite !

L’écran s’alluma, montrant, grossi au maximum, l’endroit où se trouvait l’objet repéré. Il ne disposait que du trop bref laps de temps que mettrait le vaisseau à le survoler pour l’étudier, mais cela suffirait. Si seulement il avait pu s’agir d’un infime reflet métallique, comme celui que produirait une coque de vaisseau affleurant le sable, par exemple !…

Oui ! C’était ça !

L’ordinateur lui donna toutes les informations complémentaires. Il y avait bien un vaisseau, petit, d’après l’analyse de masse, mais un vaisseau tout de même. Ainsi qu’une caverne.

Alan ordonna une relecture de données, afin de se repasser l’enregistrement visuel du moment de la découverte. Il se trouvait déjà à plusieurs centaines de kilomètres, mais l’ordinateur lui renvoya le film, et l’image se figea sur l’écran. Il l’examina avec toute l’attention dont il était capable. Un astronef. Dans le sable, là, un astronef ! L’astronef de Cavour…

— Parfait ! dit-il. On descend ! Programme une orbite d’atterrissage qui… Non ! Efface cet ordre. J’atterrirai en manuel. Cela me revient de droit !…

Il se sentait étrangement calme. D’une main sûre, il tapa son orbite sur le clavier et entama la descente vers le cœur du désert blafard de Vénus.

CHAPITRE XVIII

Alan posa le Cavour à un peu moins d’un kilomètre et demi de l’endroit du naufrage – c’était le mieux qu’il pouvait faire en déterminant son orbite d’approche au jugé – et enfila son spatiandre. Il franchit le sas extérieur et sortit dans la bourrasque.

Il se sentit un peu étourdi. La gravité n’était plus que de 0,8 par rapport à la norme terrestre ; de plus, l’air de son spatiandre, constamment renouvelé par son générateur-recycleur Bennerman sanglé dans son dos, était un tantinet trop riche en oxygène.

Il se dit confusément qu’il devait régler la teneur en oxygène, mais avant qu’il ait pu se décider à faire le geste nécessaire, le mal était fait. Il commença à fredonner, puis entama une danse téméraire sur ce sol sablonneux. Quelques instants plus tard, il chantait à tue-tête une ballade de Spacio qu’il pensait avoir oubliée depuis des années. Mais il n’avait pas fait dix pas qu’il trébucha et s’abattit sur le sable. Il se contenta de rester étendu sur place, faisant couler le sable violet entre ses gants, tout étourdi et complètement insouciant à la fois.

Pourtant, n’étant pas encore totalement grisé par l’oxygène, il finit par réaliser qu’il courait un grave danger. Faisant alors l’effort de tendre le bras par-dessus son épaule pour atteindre le réglage du débit d’oxygène, il le baissa d’un cran. Au bout de quelques secondes, le mélange gazeux s’appauvrit et il commença à reprendre ses esprits.

Il s’avançait au sein d’un désert fantastique et baroque. Vénus était une tumultueuse orgie de couleurs, toutes en demi-teintes : verts et rouges délavés, se heurtant à un bleu fantomatique surprenant, le tout assourdi par un gris omniprésent. Le ciel, ou plutôt, le plafond de nuages nuançait l’atmosphère de son rose étrange et inquiétant. C’était un monde absolument silencieux… Un monde mort.

Alan aperçut l’épave, au loin. Le sol s’élevait jusqu’à elle, s’enflant presque imperceptiblement en une colline en pente douce, dont émergeaient d’ahurissantes formations rocheuses sculpturales. Il marchait calmement, sentant le sable crisser sous ses pas.

Il atteignit le vaisseau en un quart d’heure. Ce qu’il en restait se dressait vers les nuées, toujours soutenu par ses béquilles d’atterrissage. L’astronef ne s’était donc pas écrasé au sol. Cavour s’était correctement posé, et le vaisseau n’avait pas été endommagé. Il avait simplement pourri sur pied, sa coque métallique rongée par les vents gorgés d’acides et de sable au cours des siècles. Il n’en restait plus que la carcasse dénudée, plus quelques mètres carrés sur un flanc qui avaient dû supporter un double ou même un triple blindage. La proue de l’appareil était toujours intacte ; le reflet brillant qu’il avait détecté du ciel venait de là.