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Les étoiles avaient disparu. La Terre s’était évanouie, emportant avec elle tous ses souvenirs des neuf dernières années, Hawkes, Jesperson, York, les Enclaves, tout.

Il flottait au cœur d’un néant gris sombre, indescriptible, où il n’y avait ni étoile ni planète. « Alors, c’est ça, l’hyperspace ? » se dit-il. Il se sentait tendu et fatigué à la fois. Il avait pénétré dans l’hyperspace : il avait déjà à moitié gagné. Mais il restait à savoir s’il en émergerait bien là où il le désirait, et même s’il en sortirait tout court.

Ce furent quatre jours de profond ennui. Quatre jours à souhaiter que l’instant de quitter l’hyperspace arrive enfin. Puis, le pilote automatique se réveilla. Le générateur Cavour fit entendre un petit carillon signalant qu’il avait rempli son rôle et se shuntait automatiquement.

Pour la deuxième fois, Alan retint sa respiration.

Il sentit à nouveau ce léger vertige… le Cavour abandonnait l’hyperpropulsion.

Les étoiles resplendirent soudain sur le noir d’encre de l’espace ; l’écran s’illumina. Alan dut fermer les paupières durant deux ou trois secondes pour réadapter ses yeux, encore pleins du vide gris de l’hyperspace, aux étendues pailletées de l’espace normal. Il en était revenu…

Et sous lui, traçant paresseusement sa route vers Procyon, se trouvait le Valhalla, dont l’énorme coque dorée brillait doucement, tranchant sur la nuit sidérale.

Il tendit la main vers les commandes radio. Au bout d’à peine quelques minutes, une voix familière lui répondit, celle de Chip Collier, le premier officier des transmissions du Valhalla.

— Ici l’astronef Valhalla. Nous vous recevons 5 sur 5. Qui êtes-vous, s’il vous plaît ?

Alan ne put réprimer un large sourire.

— Ici Alan Donnell, Chip. Comment ça va ?

Pendant un petit moment, il n’entendit plus rien dans ses écouteurs, sinon un silence surpris, ponctué de friture. Collier enfin, d’une voix mal assurée reprit :

— Alan ? Qu’est-ce que c’est que cette blague ? Où es-tu ?

— Que tu le croies ou non, je me trouve dans un petit vaisseau juste au-dessus de vous. Et si tu demandais à mon père de prendre le micro pour que nous discutions de la manière dont je vais venir à couple, hein ?

Un quart d’heure plus tard, le Cavour était solidement soudé au flanc du Valhalla, comme une puce cramponnée à un éléphant, et Alan franchissait le sas principal. C’était bon de se retrouver à bord de l’immense vaisseau, après toutes ces années.

Il se débarrassa de son spatiandre et pénétra dans le couloir. Son père était là, qui l’attendait.

— Salut, p’pa !

Le capitaine Donnell semblait complètement perdu. Il secouait la tête comme pour essayer d’en faire tomber ses cheveux.

— Alan ? fit-il enfin.

— Mais oui, Alan !

— Je ne peux pas y croire !

— Et pourtant, ce serait plus sage, p’pa…

— Mais il est absolument impossible que tu sois là ! Et… et tu… tu parais tellement plus âgé ! Comme Steve ! Il y a seulement quelques semaines…

— Pas pour moi, précisa tranquillement Alan. J’ai passé neuf ans sur Terre, pendant que vous faisiez cet aller pour Procyon. Neuf ans à travailler sur la Propulsion Cavour.

Le capitaine Donnell paraissait vaciller sous le poids de son incrédulité.

— Ce n’est pas possible, marmonna-t-il. Je ne pensais pas te revoir jamais, tu sais. Comment as-tu fait pour arriver jusqu’ici ?

— Je te l’ai déjà dit : la Propulsion Cavour.

— Cette… ce truc… existe donc vraiment ?

— Maintenant, oui !

Il s’avança vers son père et le prit fermement aux épaules.

— Ce n’est pas un rêve, p’pa ! Mon vaisseau est amarré au tien, c’est la réalité ! Je suis bien là, en chair et en os. Tout cela est bien réel ! Il faut l’accepter, papa !

— Je… mais Alan… combien de choses impossibles veux-tu me faire accepter à la fois ? (Le capitaine partit d’un grand éclat de rire.) Comment tout cela a-t-il pu arriver ? Quand ?… Quoi ?…

Avant qu’Alan ait pu répondre, une autre personne apparut dans le couloir.

Steve.

Il avait l’air en pleine forme. Ces quelques mois à bord du Valhalla l’avaient transformé. Ce type empâté, en mauvaise santé, qu’il avait transporté jusqu’au vaisseau, n’était plus qu’un souvenir. Ses yeux étaient lumineux, ses épaules droites. « Regarder Steve, se dit Alan, c’est de nouveau comme se regarder dans un miroir. » Cela faisait si longtemps qu’il n’avait plus ressenti cela !…

— Alan ! Comment as-tu…

Alors, pêle-mêle, les explications jaillirent. Hawkes, Cavour, le voyage sur Vénus, Jesperson, le laboratoire, les générateurs expérimentaux, tout y passa en un seul torrent de mots se bousculant.

— Vois-tu, fit Alan pour finir, je ne pouvais pas faire remonter le temps en arrière. Je ne pouvais pas te faire redevenir aussi jeune que moi, alors… j’ai foncé dans l’autre sens et j’ai vieilli pour te rattraper, Steve… (Alan se tourna vers son père.) Mais j’ai bien peur d’avoir complètement bouleversé le cours des choses, p’pa ; pour toi, le Valhalla…, tout va être différent, dorénavant. L’Univers tout entier sera à la portée de quiconque voudra y voyager. Cela signifie la fin du système des Enclaves, la fin des angoisses provoquées par la Contraction Fitzgerald. Tous ceux qui voyageront, maintenant, le feront sur la base du temps réel. Deux semaines à bord d’un vaisseau seront exactement de la même durée que deux semaines sur Terre. Je ne sais pas ce qu’il adviendra des vieux vaisseaux.

— Eh bien, on adaptera un nouveau système de propulsion sur le Valhalla, répondit le capitaine Donnell d’une voix pesante. Je suppose qu’on en fera un transporteur rapide !

Les mots sortaient lentement de sa bouche. Il semblait abasourdi par la réapparition soudaine d’Alan, et par les conséquences de la réalité d’une propulsion supraluminique sur l’existence des Spacios en général.

— Si nous ne pouvons pas nous recycler, poursuivit-il, nous ne pourrons jamais être compétitifs par rapport aux nouveaux vaisseaux. Et il y en aura bientôt, n’est-ce pas ?

— Dès que je serai rentré sur Terre, et que j’aurai annoncé mon succès. Mes hommes sont prêts à financer le démarrage immédiat d’une ligne de transporteurs en hyperspace. L’Univers sera plein d’astronefs supraluminiques bien avant que tu atteignes Procyon (Pour la première fois, Alan ressentit l’importance considérable de ce qu’il avait accompli.) À présent qu’il existe un moyen pratique de se déplacer entre les étoiles, les confins de la Galaxie vont se rapprocher. Ils ne seront pas plus éloignés que les limites du système solaire actuellement !

Le capitaine Donnell approuva de la tête.

— Et maintenant que tu as fini par la redécouvrir, la Propulsion Cavour, quels sont tes projets ?

— Moi ? (Alan prit une profonde inspiration.) Heu… J’ai mon vaisseau à moi, p’pa. Et tout là-bas, il y a Deneb, Rigel, Fomalhaut, et des tas d’autres endroits que je veux voir.

La voix était calme, posée, mais elle ne pouvait dissimuler totalement une sorte d’exultation sous-jacente. Il avait rêvé de ce jour pendant neuf années.

— Je vais me payer un grand tour d’Univers, p’pa. Partout ! L’hyperpropulsion peut bien faire ça pour moi ! Pourtant, il y a encore une chose…