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— Que veux-tu dire ?

— Qu’il y a une nouvelle loi sur la quarantaine ! Ils l’ont édictée il y a deux ans, lorsqu’un vaisseau en provenance d’Altaïr s’est posé ; il s’est avéré que tout l’équipage était porteur d’une mystérieuse maladie ! Il va falloir que nous restions isolés, même des autres Spacios de l’Enclave, jusqu’à ce que nous ayons tous subi une visite médicale complète.

— Et tous les vaisseaux qui touchent Terre doivent y passer ?

— Ouais ! C’est plutôt la barbe, non ? Alors ton père a fait dire que puisque nous étions bloqués à bord tant que nous n’avions pas les résultats des examens, il y aurait bal, ce soir, pour tout l’équipage.

— Un bal ?

— Parfaitement ! Il s’est dit que cela pourrait être une bonne idée et qu’en tout cas, ça nous remonterait le moral en attendant que soit levée la quarantaine. Ce raseur de Roger Bond m’a déjà invitée ! ajouta-t-elle en haussant un sourcil, ce qu’elle considérait comme l’expression la plus sophistiquée de la grande classe.

— Qu’a donc Roger de si déplaisant ? Je viens de passer toute la matinée avec lui à emballer du dinosaure !

— Oh ! il… enfin… il m’est complètement indifférent, voilà !

« J’aimerais assez m’occuper de ton cas, pensa Alan. M’en occuper longtemps… et avec de l’huile bouillante…»

— Et tu as accepté ? s’enquit-il, se forçant à être poli.

— Certainement pas ! Enfin… pas encore… Je me suis dit que je trouverais peut-être une invitation plus intéressante, quoi, poursuivit-elle avec un petit sourire finaud.

« Oh ! toi, je te vois venir, pensa Alan. Ah, tu cherches à te faire inviter ! » Il se rallongea posément sur le dos, tout en refermant lentement les yeux.

— Eh bien !… bonne chance !

Accusant le coup, elle reste un instant bouche bée.

— Oh ! Tu… tu es détestable !

— Je sais, approuva-t-il imperturbable. En réalité, je suis un ver de vase neptunien totalement dépourvu d’émotions. Tel que tu me vois, sous mon camouflage, je suis ici pour détruire la Terre. Et si tu me dénonces, je te dévore toute crue !

Ne tenant aucun compte de sa plaisanterie, elle secoua furieusement la tête.

— Mais pourquoi dois-je toujours être la cavalière de Roger Bond ? demanda-t-elle plaintivement. Oh ! et puis… tant pis, ça ne fait rien…

Et elle s’éloigna.

Il la suivit du regard tandis qu’elle traversait le hall d’agrément puis sortait. Elle avait beau n’être qu’une petite idiote, elle avait néanmoins soulevé un des problèmes les plus épineux de la vie à bord des vaisseaux interstellaires, lorsqu’elle avait posé cette simple question : « Mais pourquoi dois-je toujours être la cavalière de Roger Bond ? »

Le Valhalla était un univers clos, pratiquement autarcique. L’équipage en était permanent, personne ne le quittait jamais, à moins que ce ne fût pour l’abandonner définitivement, comme Steve, et Steve avait été le seul Spacio de toute l’histoire de l’astronef à l’avoir fait. Les nouveaux venus étaient plutôt rares. Judy Collier, elle-même, représentait l’une des plus récentes admissions au sein de l’équipage, et sa famille avait embarqué cinq ans TS plus tôt, parce qu’on avait besoin d’un nouvel officier en chef des transmissions.

À ces rares exceptions près, les choses demeuraient immuables. Deux ou trois douzaines de familles, quelques centaines de personnes vivant les unes sur les autres, année après année. Rien d’étonnant à ce que Judy Collier dût toujours danser avec Roger Bond. L’éventail des possibilités se trouvait terriblement restreint.

Voilà pourquoi Steve avait déserté. Que disait-il, déjà ?

« Je sens les parois du vaisseau m’emprisonner comme les barreaux d’une cellule. »

Là, dehors, c’était la Terre… Population : environ huit billions d’individus.

Et ici, le Valhalla… Population : 176 âmes, très exactement.

Il connaissait chacune des 176 personnes comme les membres de sa propre famille ; ce qu’ils étaient, en un sens. Aucun mystère ne subsistait à leur sujet, jamais rien de neuf.

Et c’était précisément ce après quoi Steve avait couru : la nouveauté. Alors, il les avait quittés. « Oui, vraiment, pensait Alan, découvrir l’hyperpropulsion changerait la donne. Si… si seulement…»

Quant à la quarantaine, elle n’était pas particulièrement à son goût non plus. Les Spacios n’effectuaient déjà que de courtes escales sur Terre, n’avaient qu’à peine le temps de descendre dans l’Enclave pour s’y mêler aux équipages des autres vaisseaux, y voir de nouveaux visages et s’échanger les derniers potins des étoiles. Aussi était-ce quasiment criminel de les en priver, ne serait-ce que de quelques heures.

Bien sûr, il y avait ce bal… « Une consolation, évidemment, mais plutôt maigre », songea Alan, en s’extirpant de son joufflu.

Son regard traversa le grand hall d’agrément. « Quand on parle du loup…», se dit-il : il venait d’apercevoir Roger Bond, qui, allongé de tout son long, se reposait sous une lampe radiothermique. Alan se dirigea vers lui.

— Tu as entendu parler de la dernière tuile, Roggy ?

— La quarantaine ? Ouais ! Roger jeta un coup d’œil à son chrono-bracelet. Je crois bien qu’il est temps d’aller se bichonner pour le bal, fit-il en se relevant.

Malgré sa petite taille, c’était plutôt un beau gars, à la chevelure sombre, âgé d’un an de moins qu’Alan.

— Tu as une cavalière particulière en vue ?

— Une cavalière particulière ? Où veux-tu que je dégotte une cavalière particulière, hein ? Où ça ? Je vais me rabattre sur cette haridelle de Judy Collier, j’imagine ! On ne peut pas dire qu’on ait grand choix, hein ?

— Eh non ! approuva tristement Alan. Vraiment pas grand choix…

Ensemble, ils quittèrent le hall. Alan se sentit soudain enveloppé par une sorte de lassitude désespérée, comme s’il s’était enfoncé dans un épais brouillard gris. Une sensation d’angoisse diffuse et profonde à la fois.

— À ce soir, fit Roger.

— Sans doute, répondit-il sombrement.

CHAPITRE III

Le Valhalla toucha Terre, tuyères d’abord, à 17 53, sans que quiconque en soit surpris outre mesure. Le capitaine Mark Donnell n’avait jamais manqué à ses horaires. Pas une seule fois en quarante années TS de navigation spatiale, c’est-à-dire l’équivalent de plus de 1000 ans d’histoire terrienne.

Le processus d’atterrissage se déroulait suivant un ordre immuable. L’équipage débarquait par familles, dans l’ordre alphabétique ; la seule exception à cette règle était Alan. En tant que membre de la famille du capitaine – le seul à part celui-ci, dorénavant – il avait le devoir d’attendre que tous les autres soient sortis. Puis, enfin, vint son tour.

— Enfin la terre ferme, Ratt’ !

Sous leurs pieds, la boue du terrain d’atterrissage était vitrifiée par la chaleur des tuyères, là où le Valhalla s’était posé. La coque dorée de l’énorme astronef se dressait sur la queue, soutenue par ses colossales béquilles d’appui qui émergeaient de ses flancs comme de monstrueuses pattes d’araignées.

— Terre ferme ? Pour toi, peut-être, répondit Ratt’. Mais pour moi, perché comme ça sur ton épaule, je suis toujours aussi chahuté !

Le sifflet du capitaine Donnell vrilla l’air et il réunit les mains en porte-voix pour crier :