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Pham calma donc les larmes qui attendaient derrière son regard. Il enlaça doucement Sura et l’embrassa dans le cou.

— Oui, je sais, dit-il finalement.

Pham retarda son départ de Namqem deux ans encore, puis cinq. Il resta si longtemps que le Grand Programme lui-même fut interrompu. Des rendez-vous ne pourraient avoir lieu. Encore un retard, et c’était le Plan qui risquait d’échouer. Et lorsqu’enfin il quitta Sura, quelque chose mourut en lui. Leur association survécut, et même leur amour, d’une manière plus ou moins abstraite. Mais un abîme temporel s’était ouvert entre eux et il savait qu’ils ne pourraient jamais plus le franchir.

Lorsqu’il eut vécu cent ans, Pham Nuwen avait connu plus de trente systèmes solaires, plus d’une centaine de cultures. Certains Négociants en avaient connu plus que lui, mais ils n’étaient pas nombreux. Certes, Sura, blottie dans son activité gestionnaire sur Namqem, ne vit jamais ce que Pham avait vu. Sura n’avait que des livres et des histoires, et des nouvelles venues de très loin.

Chez les civilisations sédentaires, même spationavigantes, rien ne durait éternellement. Le fait que la race humaine ait survécu assez longtemps pour fuir la Terre tenait du miracle. Une race intelligente disposait de tellement de moyens pour assurer sa propre extinction. Culs-de-sac ou processus incontrôlables, pandémies, catastrophes atmosphériques, collisions célestes – c’étaient les dangers les plus simples. L’humanité avait déjà vécu assez longtemps pour comprendre certaines des menaces. Or, une civilisation technologique avait beau s’entourer de précautions, elle portait en elle les germes de sa propre destruction. Tôt ou tard, elle s’ossifiait et sa vie politique la conduisait à sa chute. Pham Nuwen était né sur Canberra au cœur d’un âge des ténèbres. Il savait maintenant que le désastre avait été bénin, comparé à d’autres – après tout, la race humaine avait survécu sur Canberra même après avoir perdu sa technologie de pointe. Il y avait des mondes que Pham avait visités à de nombreuses reprises pendant les premiers cent ans de sa vie. Il s’écoulait parfois des siècles entre deux de ses passages. Il vit l’utopie qu’avait été Neumars sombrer dans la surpopulation et la dictature et les métropoles océanes devenir des taudis pour leurs milliards d’habitants. Soixante-dix ans plus tard, il retrouva une planète peuplée d’un million d’habitants, un monde de petits villages, de sauvages au visage peinturluré, brandissant des hachettes et psalmodiant des mélopées à fendre le cœur. Ce voyage aurait été une perte sèche, n’étaient les Chants de Vilnios. Mais Neumars avait eu de la chance, comparée aux planètes mortes. La Vieille Terre avait été recolonisée à partir de zéro quatre fois depuis le début de la diaspora.

Il fallait trouver moyen de faire mieux, et chaque nouveau monde que Pham découvrait le renforçait dans sa conviction qu’il connaissait ce moyen. L’empire. Un gouvernement si vaste que la défaillance de tout un système solaire serait une catastrophe gérable. La culture commerçante du Qeng Ho était le point de départ. Elle deviendrait l’empire commercial des Qeng Ho… et, un jour ou l’autre, un authentique empire doté d’un gouvernement. Car les Qeng Ho jouissaient d’une position unique. À son apogée, une civilisation Cliente possédait une science extraordinaire – et apportait parfois des améliorations marginales à ce qui existait de mieux auparavant. Le plus souvent, ces améliorations s’éteignaient avec la mort de la civilisation. Les Qeng Ho, en revanche, perduraient sans solution de continuité et rassemblaient patiemment tout ce qu’ils trouvaient de mieux au gré de leurs voyages. Pour Sura, c’était là l’atout commercial majeur des Qeng Ho.

Pour Pham Nuwen, c’était plus que cela. Pourquoi devrions-nous remettre en circulation tout ce que nous apprenons ? Une partie, d’accord. C’est essentiellement ainsi que nous gagnons notre vie. Mais sélectionnons donc les réussites éclatantes du progrès humain – et gardons-les pour le bien de tous.

Ainsi étaient nés les localiseurs « Qeng Ho ». Pham avait débarqué sur Trygve Ytre, le monde le plus éloigné de Namqem qu’il ait jamais visité. Les autochtones avaient même des ancêtres génétiques différents de ceux des habitants des parties familières de l’Espace Humain.

Le soleil de Trygve était l’une de ces petites étoiles ternes de type M, la vermine de la galaxie colonisée. Pour une étoile comparable au soleil de la Vieille Terre, il y avait des douzaines de types M, la plupart dotées de planètes. Il était périlleux de s’y installer : l’écosphère stellaire était si ténue qu’une civilisation sans technologie ne pouvait y exister. Dans les premiers millénaires de la conquête humaine de l’espace, cette vérité avait été ignorée, et un certain nombre de ces planètes avaient été colonisées. Optimistes endurcis, ces Humains croyaient que leur technologie durerait éternellement ! Et puis, à la première Chute, des millions de gens restaient échoués sur un monde de glace – ou un monde de feu, si la planète se trouvait sur le côté interne de l’écosphère solaire.

Trygve Ytre était une variante légèrement moins dangereuse dans une configuration assez répandue : l’étoile était accompagnée d’une planète géante, Trygve, circulant sur une orbite un peu à l’extérieur de l’écosphère de l’astre principal. Cette planète n’avait que deux satellites, dont l’un avait la taille de la Terre. Tous les deux étaient habités lorsque Pham fit escale. Mais le plus gros, Ytre, était une perle. Le réchauffement des marées et la chaleur directe de Trygve complétaient le chiche rayonnement de l’étoile. Ytre avait des continents, de l’air, et des océans liquides. Les humains de Trygve Ytre avaient survécu à au moins un effondrement de leur civilisation.

Ils disposaient à présent d’une technologie aussi avancée que tout ce que l’Humanité avait jamais atteint. Pham et sa modeste escadre de vaisseaux interstellaires furent bien accueillis et trouvèrent des chantiers spatiaux convenables dans la ceinture d’astéroïdes, à un milliard de kilomètres du soleil. Laissant les équipages à bord des vaisseaux, Pham préféra utiliser les moyens de transport locaux pour aller à l’intérieur du système, vers Trygve et Ytre. Ce n’était pas Namqem, mais ces gens-là avaient vu d’autres Négociants. Ils avaient vu aussi les ramjets de Pham et sa liste préliminaire de propositions commerciales… et la plupart des articles proposés par Pham n’arrivaient pas à la hauteur de la magie indigène d’Ytre.

Nuwen resta sur Ytre un certain temps – plusieurs semaines pour employer l’unité locale –, les quelque six cents Ksec qu’il fallait au géant Ytre pour boucler son orbite autour de Trygve. Trygve elle-même mettait légèrement plus de six Msec à effectuer un tour complet autour de son soleil. Aussi le calendrier ytrien comprenait-il dix semaines.

Alors que la planète vacillait entre le feu et la glace, Ytre était en grande partie habitable.

— La stabilité climatique est meilleure que sur la Vieille Terre elle-même, se vantaient les autochtones. Ytre est au fond du puits gravitationnel de Trygve, sans corps perturbateurs significatifs. Le réchauffement dû aux marées est demeuré clément à l’échelle des temps géologiques.

Même les dangers n’étaient pas de grosses surprises. Le diamètre apparent du soleil M3 était juste supérieur à un degré. Un imprudent pouvait regarder directement le disque rougeâtre, voir les tourbillons gazeux, des taches solaires vastes et sombres. Quelques secondes d’observation dans ces conditions pouvaient causer de graves brûlures rétiniennes, puisque évidemment l’étoile rayonnait bien plus dans le proche infrarouge qu’en lumière visible. Pham veillait à porter les protections oculaires recommandées, même si elles ressemblaient à du plastique transparent.