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Ses hôtes – un groupe d’entreprises locales – l’hébergèrent à leurs frais. Il passa la partie officielle de son séjour à essayer d’apprendre un peu plus de leur langue… et à tenter de trouver dans les marchandises apportées par ses vaisseaux quelque chose qui puisse avoir la moindre valeur pour ses clients. Ils essayaient eux aussi tout aussi énergiquement. C’était une sorte d’espionnage industriel inversé. L’électronique locale était légèrement supérieure à tout que ce que Pham avait déjà vu, bien que les Qeng Ho puissent suggérer certaines améliorations de programmes. L’automatisation médicale était sensiblement en retard ; c’était par là qu’il pourrait s’introduire et commencer à marchander.

Pham et son équipe établirent un catalogue de tout ce qu’ils pourraient tirer de cette rencontre. Au moins de quoi payer le voyage. Or Pham entendit des rumeurs. Ses hôtes représentaient un certain nombre de « cartels ». Ils se dissimulaient mutuellement des informations. La rumeur concernait un nouveau type de localiseur, plus petit que tout ce qui se faisait ailleurs, et qui n’avait besoin d’aucune source d’énergie incorporée. Tout perfectionnement des localiseurs était rentable ; ces gadgets étaient la colle positionnelle qui rendait si puissants les systèmes intégrés. Or le bruit courait que ces « super-localiseurs » contenaient des capteurs et des effecteurs. Si c’était là plus qu’une rumeur, il y aurait des conséquences politiques et militaires sur Ytre lui-même – des conséquences déstabilisatrices.

Pham Nuwen savait maintenant comment collecter des informations dans une société technologique, même sans parler couramment la langue, même en étant constamment surveillé. Au bout de quatre semaines, il savait quel cartel risquait de posséder l’hypothétique invention. Il connaissait le nom du magnat : Gunnar Larson. Le cartel Larson n’avait pas mentionné l’invention dans ses tractations commerciales. Elle n’était pas sur la table des négociations – et Pham ne voulait pas y faire la moindre allusion en présence de tiers. Il se ménagea un entretien en tête à tête avec Larson. Le genre de chose qu’auraient comprise même les oncles et tantes de Pham sur leur Canberra moyenâgeux, même si le subterfuge technique derrière cette rencontre leur serait demeuré inintelligible.

Six semaines après son débarquement sur Ytre, Pham Nuwen marchait seul dans la rue à ciel ouvert la plus chic de Dirby. Des nuages dispersés, roses et gris dans le lumineux crépuscule, rappelaient une pluie récente. L’astre du jour venait de se coucher en plein cœur de Trygve. Près du limbe de la planète géante, une arche or et rouge gardait le souvenir de l’entrée du soleil en éclipse. L’énorme disque occupait dix degrés dans le ciel. Des éclairs bleus crépitaient silencieusement dans ses latitudes polaires.

L’air était frais et humide, la brise naturellement parfumée. Pham maintint son allure, tirant sur la laisse chaque fois que ses molosses voulaient examiner quelque chose en dehors de la promenade. Sa couverture exigeait qu’il prenne son temps, qu’il savoure le panorama, qu’il salue courtoisement de la main les gens habillés comme lui quand il en croisait. Après tout, qu’est-ce qu’un riche retraité ferait en plein air, à part admirer les lumières et exhiber ses molosses ? C’était du moins ce que son contact avait prétendu.

— La Huskestrade n’est pas vraiment surveillée de près. Mais si vous n’avez pas un prétexte valable pour y circuler, la police peut vous interpeller. Emmenez quelques molosses en laisse, des bêtes de concours. C’est une raison légitime de vous trouver sur la promenade.

Pham prit note des palais visibles çà et là dans les brèches du feuillage le long de la promenade. Dirby semblait être un endroit tranquille. Il y avait certes une surveillance policière… mais si assez de gens voulaient tout démolir, ce serait l’affaire d’une seule nuit d’incendies et d’émeutes. Les cartels s’adonnaient à un jeu commercial sans pitié tandis que leur civilisation vivait tranquillement son âge d’or… Peut-être que « cartels » n’était même pas le terme exact. Gunnar Larson et certains des autres magnats affectaient des airs d’anciens sages. D’accord, Larson était un patron, mais le mot qui désignait son rang signifiait plus que cela. Pham connaissait le terme de « roi philosophe ». Mais Larson était un homme d’affaires. Peut-être que son titre voulait dire « magnat philosophe ». Hmm.

Pham arriva devant la résidence Larson. Il obliqua dans une voie privée presque aussi large que la promenade. L’éclat de son afficheur tête haute s’atténua ; quelques pas plus loin, il n’avait plus que la vue naturelle. Pham en fut agacé sans être surpris. Il continua d’avancer comme s’il était le maître des lieux et laissa même les molosses déféquer derrière un massif de fleurs de deux mètres de haut. Puisse le magnat philosophe comprendre le profond respect que j’ai pour le mystère.

— Veuillez me suivre, monsieur, dit une voix calme derrière lui.

Réprimant un sursaut, Pham se retourna vers son interlocuteur et acquiesça tranquillement d’un signe de tête. Dans la lumière rougeâtre du crépuscule, il ne voyait pas d’armes. Haut dans le ciel et à deux millions de kilomètres, un chapelet d’éclairs bleus scintillait sur le disque de Trygve. Pham regarda attentivement son guide et trois autres individus qui venaient de sortir de l’ombre. Ils avaient beau porter des robes de cadres supérieurs, ils ne pouvaient dissimuler leur raideur toute militaire, ni les ATH qui leur barraient les yeux.

Il les laissa prendre les molosses. Sans regret. Les quatre créatures étaient encombrantes et ne cachaient pas leur méchanceté de carnivores. Même s’il était possible de les rendre aimables par hypersélection génétique, il faudrait plus d’une promenade au crépuscule pour faire de Pham un ami des molosses.

Pham et les gardes restants parcoururent plus de cent mètres à pied. Il entrevit des branches délicatement incurvées, une mousse qui poussait précisément aux jointures des racines. Plus haut ils se situaient sur l’échelle sociale, plus ces gens-là recherchaient la nature rustique – et plus les détails devaient être parfaits. Nul doute que cette « allée forestière » était soigneusement entretenue depuis un siècle afin de saisir la nature dans son authenticité sans entraves. L’allée déboucha sur un jardin à flanc de colline, perché au-dessus d’un ruisseau et d’une mare. L’arche rougeâtre de Trygve donnait assez de lumière pour que Pham puisse distinguer les tables, et la petite forme humaine qui se leva pour l’accueillir.

— Magnat Larson.

Pham s’inclina à moitié comme il l’avait vu faire entre personnages du même rang, et il devina plus ou moins que son hôte souriait.

— Commandant d’escadre Nuwen… Asseyez-vous, je vous en prie.

Dans certaines cultures, une négociation commerciale ne pouvait commencer avant des échanges de banalités mortellement ennuyeux pour tous les participants. Pham ne s’attendait pas à cela ici. Il devait être de retour à son hôtel dans vingt Ksec, et il vaudrait mieux pour les deux interlocuteurs que les magnats des autres cartels ne sachent pas où était allé Pham. Or, Gunnar Larson ne semblait nullement pressé. La lueur occasionnelle des éclairs de Trygve révélait un Ytrien typique, mais très vieux, aux cheveux filasse clairsemés, à la peau rose pâle ridée. Ils passèrent plus de deux Ksec dans le scintillant crépuscule. Le vieillard commença par bavarder, évoquant la réputation de Pham et le passé de Trygve Ytre. Zut, peut-être qu’il se venge parce que j’ai laissé les chiens faire dans ses fleurs. Ou peut-être était-ce là une impénétrable coutume ytrienne. En revanche, il parlait un amiNeSe excellent et Pham n’était pas maladroit dans cette langue non plus.