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La résidence Larson était étrangement silencieuse. Dirby contenait près d’un million d’habitants, et, bien qu’aucun des immeubles ne soit d’une hauteur monstrueuse, l’urbanisation commençait à mille mètres du quartier chic de Huskestrade. Or, Pham n’entendait tout au plus que les stupides bavardages de Larson et les remous de la petite chute d’eau juste au pied de la colline. Ses yeux étaient à présent bien habitués. Il voyait l’arche lumineuse de Trygve se refléter dans la mare. Il voyait des rides à la surface lorsqu’en émergeait une volumineuse créature couverte d’écailles. Je commence vraiment à aimer le cycle lumineux sur Ytre. Trois semaines plus tôt, Pham n’aurait jamais cru pouvoir en arriver à ce stade. Les nuits et les jours étaient trop longs pour que l’alternance soit supportable, mais les éclipses de midi donnaient un certain répit. Et, au bout d’un moment, on finissait par oublier que presque toutes les couleurs étaient des nuances de rouge. Il émanait de ce monde une rassurante impression de sécurité : ces gens maintenaient une paix prospère depuis presque mille ans. Il y avait donc peut-être une certaine sagesse à l’œuvre ici…

Abruptement, sans modifier la cadence de ses banalités, Larson lui dit :

— Alors, vous comptez apprendre le secret des localiseurs Larson ?

Pham savait que son expression de surprise se limitait à son regard.

— Je voudrais d’abord savoir si pareils objets existent. Les rumeurs sont très spectaculaires… et très vagues.

Un sourire éclaira les dents du vieillard.

— Mais si, ils existent.

D’un geste vague il désigna l’espace environnant.

— Avec eux, j’ai des yeux partout. Ils changent cette obscurité en lumière du jour.

— Je vois.

Le vieil homme ne portait pas d’ATH. Pouvait-il déchiffrer l’expression sardonique sur le visage de Pham ?

Larson rit doucement.

— Mais si.

Il toucha un point de sa tempe situé juste derrière l’orbite oculaire.

— Il y en a un de posé ici. Les autres s’alignent sur lui et stimulent précisément mon nerf optique. Cela exige beaucoup d’entraînement de part et d’autre. Mais si vous disposez d’assez de localiseurs Larson, ils peuvent traiter n’importe quel volume de données. Ils peuvent synthétiser des images quelle que soit la direction choisie.

Il agita la main dans un geste obscur.

— Vos expressions faciales sont claires comme le jour, Pham Nuwen. Et, grâce aux localiseurs dont j’ai saupoudré vos mains et votre cou, je peux même voir à l’intérieur. Je peux entendre battre votre cœur, vos poumons respirer. Avec un peu de concentration – il inclina la tête –, je peux mesurer le flux sanguin dans les différentes régions de votre cerveau… Vous êtes sincèrement surpris, jeune homme.

Les lèvres de Pham se pincèrent. Il était en colère contre lui-même. L’autre avait passé plus d’une Ksec à l’étalonner. S’il s’était trouvé dans un bureau, loin de ce jardin et de cette tranquille obscurité, il aurait été beaucoup plus sur ses gardes. Il haussa les épaules.

— Vos localiseurs sont, de loin, l’aspect le plus important de la civilisation ytrienne à son stade actuel. Je suis très intéressé par l’achat de quelques échantillons… et encore plus intéressé par la base de programmation et les caractéristiques usine.

— Dans quel but ?

— Il devrait être évident, et cela n’a pas d’importance. L’important, c’est ce que je peux vous donner en échange. Votre science médicale est plus médiocre que celle de Namqem ou de Kielle.

Larson sembla acquiescer.

— Elle est dans un pire état qu’avant la Chute. Nous n’avons jamais retrouvé les anciens secrets.

— Vous m’avez appelé « jeune homme », mais, vous-même, quel âge avez-vous, monsieur ? Quatre-vingt-dix ans ? Cent ans ?

Pham et son équipe avaient soigneusement étudié le réseau ytrien pour évaluer la science médicale des autochtones.

— Quatre-vingt-onze de vos années de trente Msec, dit Larson.

— Eh bien, monsieur, j’ai vécu cent vingt-sept ans. Sommeil cryostatique non compris, bien entendu.

Et j’ai l’air d’un jeune homme.

Larson resta un long moment sans rien dire. Pham était persuadé qu’il avait marqué un point. Peut-être que ces « magnats philosophes » n’étaient pas aussi impénétrables que ça.

— Oui, j’aimerais retrouver ma jeunesse. Et des millions de gens dépenseraient des millions pour la même chose. Que peut nous donner votre médecine ?

— Un siècle ou deux, avec l’apparence physique que vous voyez sur ma personne. Deux ou trois siècles de plus, avec un vieillissement visible.

— Ah ! C’est même un peu mieux que ce à quoi nous étions arrivés avant la Chute. Mais les très vieux seront aussi laids et souffriront autant que les personnes âgées normales. Il y a des limites intrinsèques à ce qu’on peut faire avec le corps humain.

Pham observa un silence poli, mais, intérieurement, il souriait. La médecine était l’hameçon, en effet. Pham aurait ses localiseurs en échange d’une science médicale décente. Le bénéfice serait énorme pour les deux parties. Le magnat Larson vivrait quelques siècles de plus. S’il avait de la chance, le cycle actuel de sa civilisation lui survivrait. Mais dans un millier d’années, quand Larson ne serait que poussière, quand sa civilisation se serait effondrée, inévitablement, comme toutes celles basées sur une planète – d’ici mille ans, donc, Pham et les Qeng Ho continueraient de naviguer au milieu des étoiles. Et ils auraient encore les localiseurs Larson.

Le magnat émettait un bizarre chuintement amorti. Au bout d’un moment, Pham se rendit compte qu’il s’agissait d’une quinte de rire étouffé.

— Ah ! Pardonnez-moi. Vous avez peut-être cent vingt-sept ans, mais, en esprit, vous êtes toujours un jeune homme. Vous vous cachez derrière un visage sombre et sans expression. Ne vous formalisez pas ; vous n’avez pas été initié aux déguisements adéquats. Avec mes localiseurs, je vois votre pouls et la circulation du sang dans votre cerveau… Vous croyez qu’un jour vous danserez sur ma tombe, c’est ça ?

— Je…

Merde. Un expert, utilisant les meilleures sondes invasives, ne pourrait en apprendre autant sur l’état d’esprit d’un sujet. Larson avait de l’intuition, voilà tout – ou alors, ces localiseurs étaient encore bien plus précieux que Pham ne l’avait cru. Sa prudence respectueuse se teinta de colère. L’autre se moquait de lui. Alors, autant être franc :

— Si vous acceptez ce marché, comme je l’espère, vous vivrez autant d’années que moi. Mais je suis Qeng Ho. Je dors des décennies entières d’une étoile à l’autre. Pour nous, les civilisations Clientes comme la vôtre sont éphémères.

Pigé ? Voilà qui devrait vous causer un peu d’hypertension.

— Commandant, vous me rappelez un peu Fred, là-bas dans la mare. Encore une fois, je ne veux pas vous offenser. Fred est un luksterfiske.

Il devait parler de la créature que Pham avait vue en train de plonger près de la chute d’eau.

— Fred s’intéresse à des tas de choses. Depuis que vous êtes arrivé, il ne tient plus en place ; il essaie de voir qui vous êtes. En ce moment, il est perché sur le bord de la mare ; le voyez-vous ? Deux tentacules cuirassés sont en train de chatouiller l’herbe à environ trois mètres de vos pieds.