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La lumière était légèrement plus intense. Pham regarda dans le jardin. Tout apparaissait en nuances de rouge, mais il distinguait à présent plus de détails qu’à la lueur des éclairs. Les grand arbres échoués au bord de la mare s’intégraient à la chute d’eau et guidaient le ruisseau vers d’autres remous, d’autres bassins. Des nuages de créatures volantes passèrent entre les branches et chantèrent pendant quelques instants. Fred s’était hissé hors de l’eau pour de bon. Campé sur ses pattes à multiples nageoires, il agitait ses courts tentacules vers le haut, vers la clarté céleste.

Ils regardèrent le spectacle en silence. Pham avait observé Trygve avec des lunettes multibande en venant des astéroïdes. Il ne voyait à présent rien de nouveau. Tout cela était le fruit du hasard, un miracle de géométrie et de synchronisation. Et pourtant… il voyait à quel point des Clients, attachés qu’ils étaient à une planète unique dont la course échappait à tout contrôle humain, pouvaient être impressionnés lorsque leur univers choisissait de leur révéler quelque chose. C’était ridicule, mais il sentait lui-même un peu de cette terreur respectueuse.

Puis le cœur de Trygve redevint obscur et les créatures des arbres cessèrent de chanter. Le spectacle n’avait pas duré une centaine de secondes.

Ce fut Larson qui rompit le silence.

— Je suis sûr que nous pouvons faire des affaires ensemble, mon jeune-vieil ami. Nous avons effectivement besoin de votre technologie médicale, à un point que je ne devrais pas vous révéler. Mais, tout de même, je vous serais reconnaissant de bien vouloir répondre à ma question initiale : qu’allez-vous faire des localiseurs Larson ? Lorsque personne ne se doute de rien, ce sont des dispositifs d’espionnage miraculeux. Lorsqu’on en fait un usage abusif, ils conduisent à une répression universelle et à une fin rapide de la civilisation. À qui allez-vous les vendre ?

Sans trop savoir pourquoi, Pham lui répondit franchement. Tandis que le limbe oriental de Trygve s’éclaircissait, Pham lui expliqua sa vision d’un empire, d’un empire de toute l’Humanité. C’était un projet dont il n’avait jamais parlé à un simple Client. C’était un projet dont il n’informait que certains Qeng Ho, ceux qui semblaient les plus intelligents et les plus flexibles. La plupart ne pouvaient toutefois accepter le plan dans sa totalité. À l’instar de Sura, ils rejetaient l’objectif réel de Pham tout en souhaitant fortement recueillir les bénéfices d’une culture Qeng Ho authentique…

— Par conséquent, nous allons peut-être garder les localiseurs pour nous-mêmes. Ce sera autant de bénéfices en moins, mais nous avons besoin d’un atout par rapport aux civilisations Clientes. Une langue commune, des plans de transit synchronisés, nos bases de données publiques – tout cela donnera à notre Qeng Ho une culture cohésive. Mais des procédés comme ces localiseurs nous permettront de passer à la phase suivante. Finalement, nous ne serons plus les occupants aléatoires du « créneau commercial » ; nous serons la culture survivante de l’Humanité.

Larson observa un long moment de silence.

— Vous avez un rêve merveilleux, mon petit, dit-il, sans aucune trace d’amusement équivoque dans la voix. Une Ligue de l’Humanité, qui brise la roue du temps. Pardonnez-moi, mais je doute que nous atteignions jamais le sommet de votre rêve. Mais ses contreforts, ses premières pentes… sont des merveilles, et sont peut-être accessibles.

Client ou pas, Larson était une personne extraordinaire. Mais, pour une raison ou une autre, il avait les mêmes œillères que Sura Vinh. Pham se laissa choir sur le banc en bois mou. Au bout d’un moment, Larson reprit la parole.

— Vous êtes déçu. Vous aviez assez de respect à mon égard pour pouvoir espérer plus de moi. Vous voyez juste dans de nombreux domaines, commandant. Vous voyez avec une clarté extraordinaire pour quelqu’un qui vient de… Ruritanie.

Il y avait comme un léger sourire dans sa voix.

— Vous savez, la lignée de ma famille remonte à deux mille ans. Pour un Négociant, c’est un battement de paupière… mais uniquement parce que les Négociants passent le plus clair de leur temps en sommeil. Et, au-delà de l’expérience que nous avons directement accumulée, moi-même et ceux qui m’ont précédé avons la connaissance livresque d’autres lieux et époques, de cent planètes, de mille civilisations différentes. Il y a dans vos idées des choses qui pourraient marcher. Il y a dans vos idées des choses qui sont plus plausiblement optimistes que tout ce qu’on a pu voir depuis l’Ère des Rêves Déçus. Je crois avoir des intuitions qui pourraient vous être utiles…

Ils s’entretinrent pendant le reste de l’éclipse, tandis que le limbe oriental de Trygve s’éclaircissait et que le disque solaire se matérialisait depuis les profondeurs de la planète et montait vers l’espace libre. Le ciel s’éclaira de bleu. Et ils continuaient de parler. C’était maintenant Larson qui avait le plus à dire. Il essayait d’être clair, et Pham enregistrait ce que disait le vieil homme. Mais l’amiNeSe n’était peut-être pas une langue commune aussi parfaite qu’il ne le croyait : il y avait beaucoup de choses que Pham ne comprenait carrément pas.

Chemin faisant, ils conclurent un marché pour l’intégralité de la cargaison médicale de Pham, et pour les localiseurs Larson. Il y avait d’autres articles – un échantillon génétique des créatures chantantes de l’éclipse, par exemple – mais, dans l’ensemble, la négociation fut très facile. Il y avait tellement de bénéfices à recueillir de part et d’autre… et Pham était impressionné par tout le reste de ce que Gunnar Larson avait à lui dire, des conseils peut-être sans valeur mais qui puaient la sagesse à plein nez.

Le voyage de Pham Nuwen à Trygve Ytre fut l’un des plus rentables de sa carrière de Négociant, mais c’était cette conversation en rouge sombre majeur avec le mystique Ytrien qui se grava le plus profondément dans sa mémoire. Ensuite, il était certain que Larson avait utilisé des drogues psychoactives avec lui ; autrement, il n’aurait jamais pu être aussi influençable. Mais… peut-être que cela n’avait pas d’importance. Gunnar Larson avait de bonnes idées – du moins celles que Pham pouvait comprendre. Ce jardin et l’impression de paix qui s’en dégageait – c’était des images puissantes, impressionnantes. En revenant de Trygve Ytre, Pham comprit la paix qui émanait d’un jardin vivant, et il comprit le pouvoir de la simple apparence de la sagesse. Les deux intuitions pouvaient se combiner. La biologie avait toujours été un secteur critique, commercialement parlant… mais elle allait désormais prendre de l’importance. Une éthique du vivant serait au cœur du nouveau Qeng Ho. Tout véhicule qui pourrait entretenir un parc en aurait un. Les Qeng Ho prendraient le meilleur du vivant aussi fanatiquement qu’ils prenaient le meilleur de la technologie. Cette partie des conseils du vieillard était très claire. Les Qeng Ho auraient la réputation de comprendre les êtres vivants, d’être éternellement attachés à la nature.

Ainsi naquirent les traditions des parcs et des bonsaïs. Les parcs représentaient des frais importants, mais, dans les millénaires qui suivirent Trygve Ytre, ils étaient devenus la plus enracinée et la plus aimée de toutes les traditions Qeng Ho.

Et Trygve Ytre et Gunnar Larson ? Larson était mort depuis des millénaires, évidemment. La civilisation d’Ytre lui survécut à peine. Il y avait eu une ère de répression policière universelle, et une sorte de terreur à la demande. Très vraisemblablement, les localiseurs de Larson avaient précipité cette chute. Toute sa sagesse, toute son impénétrabilité n’avaient pas tellement aidé ses concitoyens.