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— J’ai tellement peur que ce soit la dernière émission, dit Rita Liao, l’air sincèrement catastrophée.

— Ne prends pas le deuil pour ça, Rita. On ne sait même pas si le problème est sérieux ou non.

— Mais si, c’est sérieux.

Gonle Fong descendit en planant, la tête la première. Elle distribua à la ronde des bulbes de Glace & Diamant.

— Je crois que les zombies…

Elle jeta un coup d’œil à Ezr, comme pour s’excuser.

— Je crois que les traducteurs ont fini par se paumer. Les pubs pour cette émission sont complètement décalées.

— Mais non, pas du tout. Elles sont vraiment très claires.

Un des Émergents expliqua passablement bien ce qu’était au juste la « perversion du hors-phase ». Ce n’était pas un problème de traducteurs, le problème était que l’humanité avait du mal à accepter l’insolite.

« La Science racontée aux enfants » était l’une des premières émissions radio qu’avaient traduites Trixia et les autres. La seule reconfiguration de l’audio sur les formes écrites antérieurement traduites était déjà un triomphe. Les premières émissions – quinze années objectives plus tôt – étaient des traductions imprimées. On en discutait dans la gargote de Benny, mais avec le même intérêt académique que les toutes dernières théories zombies sur l’étoile MarcheArrêt. Au fil des années, l’émission avait fini par trouver sa popularité. Très bien. Mais, à un moment ou un autre, dans les cinquante dernières Msec, Qiwi Lin avait conclu un marché avec Trud Silipan. Tous les neuf ou dix jours, Trixia et les autres traducteurs étaient exhibés dans un spectacle en direct. Depuis le début de cette Veille, Ezr n’avait pas encore échangé plus de dix mots avec Qiwi. Elle avait promis de s’occuper de Trixia. Que dire à quelqu’un qui ne tient pas une promesse pareille ? Même maintenant, il ne croyait pas que Qiwi ait trahi. Mais elle couchait avec Tomas Nau. Peut-être qu’elle utilisait cette « position » pour protéger les intérêts Qeng Ho. Peut-être. En fin de compte, tout cela semblait profiter à Tomas Nau.

Ezr avait déjà assisté à quatre « représentations ». Plus que tout traducteur humain normal, bien plus que tout système machinique, chaque zombie mettait émotion et langage corporel au service de son interprétation.

« Rappaport Digby » était le nom que les zombies avaient trouvé pour le présentateur de l’émission. (Où vont-ils chercher des noms aussi tordus ? On se le demandait encore. Ezr savait que ces noms étaient, pour la plupart, des trouvailles de Trixia. C’était l’un des rares sujets dont Trixia et lui pouvaient véritablement parler – lui, grâce à sa connaissance du Premier Classicisme. Elle lui demandait parfois de nouveaux mots. C’était d’ailleurs Ezr qui avait suggéré le patronyme « Digby », bien des années auparavant. Ce nom cadrait avec un détail relevé par Trixia dans les antécédents de cet Araignée particulier.) Ezr connaissait le traducteur qui jouait Rappaport Digby. En dehors de l’émission, Zinmin Broute était un zombie typique, irritable, obsédé et non communicatif. Mais, lorsqu’il apparaissait dans le rôle de l’Araignée Rappaport Digby, il était gentil et volubile, et avait toute la patience nécessaire avec les enfants… On aurait dit un mort-vivant brièvement animé par l’âme de quelqu’un d’autre.

Chaque nouvelle Veille voyait les enfants araignées un peu différemment. Après tout, la plupart des Veilles étaient sur un cycle à vingt-cinq pour cent seulement ; les enfants araignées vivaient quatre ans pour chaque année que vivaient la majorité des spationautes. Rita et certains autres se mirent à visualiser des enfants humains pour les apparier aux voix. Les images étaient dispersées sur le papier vidéo du bar. Des images d’enfants humains fictifs, avec des prénoms choisis par Trixia. « Djirlib » était petit, avec des cheveux bruns ébouriffés et un sourire malicieux. « Brent » était plus grand et avait l’air moins insolent que son frère. Benny avait raconté à Ezr qu’un jour Ritser Brughel avait remplacé ces visages souriants par des portraits d’Araignées authentiques : basses sur pattes, squelettiques, cuirassées – images des statues qu’Ezr avait découvertes sur Arachnia, complétées par des photos à basse résolution prises par les espiosats.

Le vandalisme de Brughel n’avait pas eu d’effet ; il ne comprenait rien à la popularité de « La Science racontée aux enfants ». Manifestement, Tomas Nau, lui, la comprenait, et était parfaitement satisfait de voir que les clients de l’assommoir de Benny pouvaient ainsi sublimer le plus grand problème de personnel qui menaçait son modeste royaume. Plus encore que les membres de l’expédition Qeng Ho, les Émergents s’étaient attendus à vivre dans le luxe. Ils s’attendaient ce qu’il y ait des ressources en expansion croissante, à ce que les mariages prévus sur leur planète d’origine puissent produire des enfants et des familles, ici dans le système de MarcheArrêt…

Maintenant, tout cela avait été remis à plus tard. Notre propre tabou du hors-phase. Il ne restait à des couples comme Xin et Liao que leurs rêves d’avenir – et les mots d’enfant et les pensées d’enfant qu’ils trouvaient dans la traduction de « La Science racontée aux enfants ».

Avant même les spectacles en direct, les humains remarquèrent que tous les enfants avaient le même âge. Ils grandissaient au fil des années araignées, mais lorsque de nouveaux enfants participaient à l’émission, ils étaient du même âge que ceux qu’ils remplaçaient. Les premières traductions étaient des cours de magnétisme et d’électricité statique sans le moindre contexte mathématique. Plus tard, les cours introduisirent les méthodes analytiques et quantitatives.

Environ deux ans plus tôt, il y avait eu un changement subtil, relevé dans les rapports des zombies – et, instantanément, instinctivement, remarqué par Jau Lin et Rita Liao : « Djirlib » et « Brent » étaient apparus dans l’émission. Ils avaient été présentés comme tous les autres enfants, mais les traductions de Trixia les rendaient plus jeunes que les autres. L’animateur Digby ne mentionnait jamais cette différence, et les sciences et mathématiques abordées dans l’émission devenaient de plus en plus sophistiquées.

« Victory Junior » et « Gokna », les dernières recrues, étaient nouvelles dans cette Veille. Ezr avait vu Trixia les jouer. Sa voix avait sautillé avec une impatience enfantine ; parfois elle avait même éclaté de rire. Les images de Rita montraient ces deux Araignées sous la forme d’enfants de sept ans hilares. C’était trop simple. Pourquoi l’âge moyen des enfants dans l’émission devrait-il baisser ? Benny prétendait que l’explication était évidente. « La Science racontée aux enfants » devait avoir changé de producteur. Le scénario des leçons était maintenant attribué à l’omniprésent Sherkaner Underhill. Et Underhill était apparemment le père de tous ces nouveaux enfants.

À l’époque où Ezr était rentré de cryo, le spectacle faisait déjà salle comble chez Benny. Ezr assista à quatre représentations – autant de supplices pour lui. Et puis… relâche. Cela faisait maintenant vingt jours que « La Science racontée aux enfants » n’était plus diffusée. Au lieu de quoi, on entendit un communiqué rébarbatif :