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Silipan renifla.

— Quel faux-jeton ! Il ne pense qu’au fric.

Xin et les autres lui firent signe de se taire. Trud décolla pour venir prendre place à côté d’Ezr. Ce n’était pas la première fois ; il semblait croire que si Ezr s’asseyait à l’écart, c’était pour entendre les analyses de Silipan.

Au-delà du papier vidéo mural, Broute présentait les deux invités. Silipan bloqua un ordi sur son genou et l’ouvrit d’un coup sec. Du matériel émergent, pas très fonctionnel, mais pourvu d’un accès zombie, ce qui le rendait plus efficace que tout ce que l’Humanité avait créé avant lui. Trud pressa la touche Explication et une voix minuscule lui donna des infos d’arrière-plan :

— Officiellement, l’Honorée Pedure représente l’Église traditionnelle. En fait…

La voix qui sortait de l’ordi observa une pause, le temps que ses composants fouillent quelques bases de données.

— Pedure est étrangère à l’Accord Goknien. C’est probablement un agent du gouvernement de la Parenté.

Xin se retourna vers eux, négligeant momentanément Broute-Digby.

— Pouah, ces gens prennent leur intégrisme très au sérieux. Underhill le sait-il ?

— C’est possible, répondit la voix dans l’ordi de Trud. « Sherkaner Underhill » est fortement corrélé avec les communications des services de sécurité de l’Accord… Jusqu’ici, nous n’avons pas relevé de messages militaires évoquant le présent débat, mais la civilisation araignée n’est pas encore très bien automatisée. Il pourrait y avoir des éléments qui nous échappent.

Trud s’adressa à l’ordi :

— J’ai une recherche en tâche de fond à priorité minimale pour vous. Qu’est-ce que la Parenté pourrait bien attendre de ce débat ?

Il leva les yeux vers Jau et haussa les épaules.

— Je ne sais pas si on va avoir une réponse. Il y a pas mal d’encombrement.

Broute avait presque terminé les présentations. L’Honorée Pedure allait être jouée par une certaine Xopi Reung. Xopi était une Émergente, petite et maigre. Ezr connaissait son nom uniquement parce qu’il l’avait vu sur les tableaux de service et parce qu’Anne Reynolt l’avait mentionné. Je me demande si quelqu’un d’autre ici sait comment cette femme s’appelle. Certainement pas Jau et Rita. Mais Trud devait la connaître, tout comme un éleveur de bétail des temps primitifs connaîtrait son cheptel. Xopi Reung était jeune ; on l’avait sortie du frigo pour remplacer ce que Silipan appelait « un cas de sénilité fatale ». Reung était en Veille depuis près de quarante Msec. Elle était responsable de la majeure partie des progrès réalisés dans l’apprentissage des autres langues araignées, et du « tiefien » en particulier. De plus, elle était déjà la deuxième meilleure traductrice de la langue courante de l’Accord. Il se pourrait très bien qu’un jour elle soit meilleure que Trixia. Dans un monde normal, Xopi Reung serait une universitaire de premier plan, célèbre d’un bout à l’autre de son système solaire. Or Xopi Reung avait été choisie par la Loterie des Subrécargues. Tandis que Xin, Liao et Silipan menaient des vies totalement conscientes, Xopi Reung, élément de l’automatisation intra-muros, restait invisible sauf en de rares occasions particulières.

Xopi Reung se mit à parler :

— Je vous remercie, monsieur Digby. La Radio de Princeton s’assure une fierté en nous donnant ce temps de parler.

Pendant que Broute la présentait, Reung avait fébrilement agité la tête de tous côtés, comme un oiseau. Peut-être ses ATH étaient-ils déréglés, ou peut-être préférait-elle disperser des repères importants sur toute l’étendue de son champ visuel. Mais lorsqu’elle se mit à parler, une sorte de lueur féroce brilla dans ses yeux.

— La traduction n’est pas très bonne, se plaignit quelqu’un.

— N’oublie pas que c’est une nouvelle, dit Trud.

— Ou alors, peut-être que cette Pedure parle vraiment mal. Tu as dit que c’est une étrangère.

Reung-Pedure se pencha par-dessus la table. D’une petite voix mielleuse, elle dit :

— Il y a vingt jours, nous avons tous découvert une corruption suppurante dans ce que des millions de gens ont pendant des années laissé entrer chez eux, dans les oreilles de leurs maris et de leurs enfants.

Et ainsi de suite pendant quelques instants : des phrases maladroites où perçait la haute opinion que Pedure avait d’elle-même. Puis :

— Il est donc approprié que la radio de Princeton nous donne maintenant l’occasion de purifier l’air de la communauté.

Un silence.

— Je… je…

Comme si elle n’arrivait pas à trouver les termes corrects. Un instant, elle redevint la zombie fébrile à la tête penchée. Puis, brusquement, elle frappa la table du plat de la main. Elle se tassa sur son siège et se tut.

— Je vous l’avais dit, elle n’est pas très bonne traductrice, celle-là.

Vingt-quatre

S’appuyant des mains et des antérieurs sur le mur, Viki et Gokna pouvaient maintenir leurs yeux principaux contre le verre. Cette position était peu confortable, et les deux sœurs dérapaient d’un bout à l’autre de la base de la vitre.

— Je vous remercie, monsieur Digby. La Radio de Princeton s’assure une fierté…

Bla-bla-bla.

— C’est drôle, comme elle cause, dit Gokna.

— Je vous l’ai déjà dit. C’est une étrangère.

Didire parlait distraitement. Occupée à peaufiner un réglage complexe, elle ne semblait pas prêter tellement attention à ce qui se disait dans le studio. Brent regardait le spectacle avec une fascination inébranlable, tandis que Djirlib hésitait entre se poster contre la vitre et se tenir aussi près que possible de Didi. Il avait beau être guéri de lui donner des conseils techniques, il aimait encore rester près d’elle. Parfois, il posait une question convenablement naïve. Lorsque Didi n’était pas occupée, cela suffisait habituellement pour l’inciter à parler avec lui.

— Non, dit Gokna en adressant un sourire à Viki. Je voulais dire que l’« Honorée Pedure » est drôle comme une mauvaise blague.

— Hmm.

Viki n’était pas convaincue. Certes, la tenue de Pedure était bizarre. Viki n’avait jamais vu de châle ecclésiastique, à part dans les livres. C’était une sorte de manteau informe qui retombait de tous les côtés, ne laissant de visible que la tête et la bouche de l’Honorée Pedure. Mais Viki pressentait une force authentique sous ce camouflage. Elle savait ce que la plupart des gens pensaient d’enfants comme elle. Pedure n’était rien qu’une militante à plein temps de cette idéologie, pas vrai ? Mais il y avait dans son discours une certaine dose de menace…

— Tu crois qu’elle pense vraiment ce qu’elle dit ?

— Bien sûr qu’elle y croit. C’est ça qui la rend si drôle. Vise un peu le sourire de papa.

Sherkaner Underhill était perché de l’autre côté du podium et caressait tranquillement ses bébés. Il n’avait pas encore dit un mot ; un mince sourire agitait spasmodiquement son aspect. Nichées dans sa fourrure, deux paires d’yeux de bébés regardaient craintivement la scène. Rhapsa et Hrunk ne pouvaient pas comprendre tout ce qui se passait, mais ils avaient manifestement peur.

Gokna s’en aperçut.

— Pauvres petits. Il n’y a qu’eux qu’elle puisse terroriser. Regardez-moi ! Je vais faire un Dix à l’Honorée Pedure.

Tournant le dos à la vitre, elle se précipita sur le mur latéral puis escalada le rayonnage à bandes magnétiques. À sept ans, les filles étaient bien trop grandes pour jouer les acrobates. Patatras ! Le rayonnage n’était pas fixé au mur. Il oscilla, les bandes et tout le bazar s’écrasèrent au bout de chaque étagère, mais Gokna atteignit le haut du meuble avant que quiconque, à part Viki, se rende compte de ce qui se passait. De là, elle bondit et s’accrocha à la moulure supérieure de la vitre du studio. Le reste de son corps retomba contre le verre avec un splatch ! bien franc. Un instant, elle s’étala sur la paroi en un Dix parfait. De l’autre côté de la vitre, Pedure en resta stupéfiée, paralysée par le choc. Les deux filles hurlèrent de rire. Ce n’était pas souvent qu’on pouvait faire un Dix aussi parfait – étaler ses dessous à la face de la victime.