Выбрать главу

Xopi se pencha en avant et haussa le ton.

— Notez bien cela, mes amis ! Underhill vient d’avouer qu’il commet un crime contre nature !

— Pas du tout. L’évolution nous a amenés à survivre et à prospérer au sein de la Nature. Mais les temps changent…

— Les temps changent, vraiment ? dit Xopi, sarcastique. La science a fait de vous un Marcheur des Ténèbres, et maintenant vous êtes plus grand que la Nature ?

— Oh ! dit Trixia en riant, je fais encore fermement partie de la Nature. Mais même avant la technologie… saviez-vous qu’il y a dix millions d’années la durée du cycle solaire était de moins d’une année ?

— Pure fiction. Comment les créatures pouvaient-elles vivre…

— Comment, en effet ?

Trixia souriait plus franchement et parlait d’une voix triomphale.

— Mais le témoignage des archives fossiles est très clair. Il y a dix millions d’années, le cycle était beaucoup plus court et la variation de luminosité bien moins intense. Il n’y avait pas besoin de profonds ni d’hibernation. À mesure que le cycle de la clarté et de la ténèbre est devenu plus long et plus contrasté, toutes les créatures survivantes se sont adaptées. J’imagine que ça a été un processus impitoyable. De nombreux changements importants ont été nécessaires… Et maintenant…

Xopi trancha le vide de la main. Improvisait-elle ses gestes ou lui étaient-ils d’une manière ou d’une autre suggérés par l’émission des Araignées ?

— Si ce n’est pas de la fiction, ce n’est toujours pas prouvé. Monsieur, je ne veux pas débattre de l’évolution avec vous. Il y a des gens respectables qui y croient, mais c’est une hypothèse… et non le fondement de décisions impliquant la vie et la mort.

— Ah ! Un point pour papa !

De leurs perchoirs au-dessus de Brent et de Djirlib, les deux sœurs commentaient tranquillement le débat. Quand elles étaient dans l’angle mort de Didire, elles exhibaient aussi leurs pièces buccales à l’attention de l’Honorée Pedure. Après ce premier Dix, il n’y avait pas eu de réaction manifeste, mais ça faisait du bien de montrer à la vieille faucheuse ce qu’on pensait d’elle.

— T’inquiète pas, Brent. Papa va lui clouer le bec, à cette Pedure.

Brent était resté jusque-là encore plus silencieux que d’habitude.

— Ça devait arriver, je le savais. C’était déjà assez dur comme ça. Maintenant, papa doit aussi s’expliquer à cause de moi.

En fait, papa avait presque calé lorsque Pedure avait traité Brent de crétin. Viki ne l’avait jamais vu l’air aussi paumé que ça. Mais il était en train de regagner le terrain perdu. Viki avait cru que Pedure était une ignorante, mais elle semblait connaître certains des arguments que papa lui jetait à la figure. Aucune importance. L’Honorée Pedure n’était pas si savante que ça ; en plus, papa avait raison.

Et il reprenait vraiment du poil de la bête :

— N’est-ce pas bizarre que la tradition ne témoigne pas plus d’intérêt au passé le plus reculé, Dame Pedure ? Mais qu’importe. Les progrès que la science accomplit dans la génération actuelle seront si importants que je ferais mieux de m’en servir pour illustrer mon propos. La nature a imposé certaines stratégies – et le cycle des générations est l’une d’elles, j’en conviens. Sans cette stratégie forcée, nous n’existerions vraisemblablement pas. Mais songez au gaspillage, madame. Tous nos enfants sont au même stade de leur vie chaque année. Une fois ce stade passé, les outils de leur éducation doivent rester inutilisés jusqu’à la prochaine génération. Il n’y a plus besoin de pareil gaspillage. Grâce à la science…

L’Honorée Pedure émit un rire chuintant plein de sarcasme et de surprise.

— Alors, vous avouez ! Vous complotez que le hors-phase soit un mode de vie et non votre péché isolé.

— Évidemment !

Papa était remonté à bloc.

— Je veux que les gens sachent que nous vivons dans une ère qui n’est pas comme les autres. Je veux que les gens soient libres d’avoir des enfants en toute saison du soleil.

— Oui. Vous avez l’intention de nous submerger. Dites-moi, Underhill, avez-vous déjà des écoles clandestines pour les hors-phase ? Y a-t-il des centaines ou des milliers d’enfants comme les six vôtres, qui n’attendent que notre acceptation ?

— Euh… non. Jusqu’ici, nous n’avons pas trouvé de camarades de jeux pour nos enfants.

Au fil des années, tous les enfants avaient voulu en avoir. Maman en avait cherché, mais toujours sans succès. Gokna et Viki en avaient conclu que les autres hors-phase devaient être extrêmement bien cachés… ou extrêmement rares. Parfois, Viki se demandait s’ils n’étaient pas vraiment condamnés à la solitude, tellement c’était difficile d’en trouver d’autres comme eux.

L’Honorée Pedure se rengorgea sur son perchoir et sourit d’une manière presque amicale.

— Voilà qui me rassure, monsieur Underhill. Même à notre époque, la plupart des gens sont respectables, et vos perversions sont rares. Néanmoins, « La Science racontée aux enfants » continue d’avoir du succès, alors même que les en-phase ont maintenant plus de vingt ans. Votre émission est un appât qui n’existait pas auparavant. Et notre échange de vues est donc terriblement important.

— Oui, effectivement. C’est aussi mon avis.

L’Honorée Pedure pencha la tête sur le côté. Manque de pot. Elle s’était rendu compte que papa était sérieux. Si elle arrivait à lancer papa dans ses élucubrations… ça pourrait très mal tourner. Pedure énonça sa question suivante sur le ton anodin de la curiosité innocente.

— Il me semble, monsieur Underhill, que vous comprenez la loi morale. La considérez-vous – peut-être – un peu comme la loi de la création artistique… une loi faite pour être violée par les plus grands penseurs, comme vous-même ?

— Les plus grands penseurs, pouah.

Mais la question avait manifestement aiguillonné l’imagination de papa et l’entraînait loin de la rhétorique persuasive.

— Vous savez, Pedure, je n’ai encore jamais vu les règles morales sous cet angle. Quelle idée intéressante ! Vous suggérez qu’elles peuvent être ignorées par ceux qui ont quelque talent inné… pour quoi ? Un talent pour la bonté ? Sûrement pas… bien que j’avoue être analphabète lorsqu’il s’agit d’un débat moral. J’aime jouer et j’aime penser. La Marche dans les Ténèbres a été une grande rigolade, tout autant qu’elle a été vitale pour l’effort de guerre. La science va créer de prodigieux changements dans le proche avenir de notre race. Ces choses m’amusent énormément, et je veux que le grand public – y compris les gens qui sont effectivement experts en pensée morale – comprenne les conséquences de ces changements.

— En effet, dit l’Honorée Pedure.

Le sarcasme n’était détectable que par une auditrice aussi soupçonneuse que Victory Junior.

— Et votre intention est en quelque sorte que la science remplace la Ténèbre comme grande purificatrice et comme grand mystère ?

Papa agita ses mains nourricières comme pour repousser cette suggestion. Apparemment, il avait oublié qu’il était à la radio.

— La science rendra la Ténèbre du Soleil aussi inoffensive et connaissable que la nuit qui tombe à la fin de chaque jour.

Dans la régie, Didi poussa un petit jappement de surprise. C’était la première fois que Viki entendait l’ingénieur du son réagir aux émissions qu’elle mettait en ondes. En bas, sur le plateau, Rappaport Digby était rivé à son perchoir, le dos aussi droit que si on lui avait enfoncé une lance dans le postérieur. Papa ne semblait pas s’en rendre compte, et la réponse de l’Honorée Pedure fut aussi anodine que s’ils étaient en train de débattre de la possibilité d’une averse :