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— Allez, Trinli. Le spectacle est terminé.

Silipan avait l’air sinistre, le visage blafard. La cause exacte de l’épidémie galopante était encore inconnue ; c’était quelque obscure interaction entre les zombies. Le recours de Trud au réseau zombie – sa demande de renseignements au début du débat – aurait dû être une utilisation inoffensive des ressources. Mais Trud était dans le collimateur d’une malchance plutôt tenace. Même si son intervention n’avait pas déclenché la catastrophe, elle y était liée. Dans un environnement Qeng Ho, la requête de Silipan n’aurait été qu’un indice parmi d’autres. Malheureusement, les Émergents avaient tendance à confondre succession et causalité quand il s’agissait de définir le péché.

— Ça va aller, Trud ?

Silipan haussa les épaules comme s’il tremblait de peur et poussa ses compagnons vers la sortie.

— Rentrez au temp’… pas question que Vinh cavale après cette zombie.

Puis il se retourna pour suivre Reynolt.

Pham et Vinh remontèrent des profondeurs de Hammerfest, seuls – malgré la présence certaine des mouchards de Brughel. Le jeune Vinh ne disait rien. Il y avait des années qu’il n’avait pas reçu pareille gifle en pleine figure – depuis la mort de Jimmy Diem, peut-être. Ezr Vinh avait beau être un descendant éloigné de n générations, son visage était par trop familier. C’était tout le portrait de Ratko Vinh jeune : il y avait pas mal de Sura dans ses traits. C’était une pensée peu agréable. Peut-être que mon inconscient essaie de me dire quelque chose… Oui. Pas seulement à la clinique, mais pendant toute cette Veille. Souvent, le gosse le regardait… et il y avait plus de calcul que de mépris dans ce regard. Pham réfléchit et essaya de se rappeler comment au juste s’était comporté son personnage, ce Trinli. C’était certainement risqué de s’intéresser à ce point à la Focalisation. Mais il avait les magouilles de Trud comme couverture. Non, même lorsqu’ils étaient dans la clinique et que l’esprit de Pham s’était totalement concentré sur Reynolt et le mystère Trixia Bonsol – même là, il était sûr d’avoir parfaitement joué le vieux charlatan légèrement paumé, inquiet à la pensée que le désastre puisse bousiller les affaires qu’il avait montées avec Silipan. Et pourtant, d’une manière ou d’une autre, ce Vinh avait vu clair dans son jeu. Comment ? Et quelle conduite tenir à présent ?

Quittant le couloir vertical principal, ils commencèrent à descendre le plan incliné qui menait aux sas des navettes. Les frises murales Focalisées étaient omniprésentes, sur les murs, les plafonds, les sols. Par endroits, les murs de diamant avaient été considérablement amincis. Une douce clarté bleue – la lumière de la pleine Arachnia – traversait le cristal, plus ou moins brillante selon la profondeur de la taille. Comme Arachnia présentait toujours son disque complet à L1 et que l’agglomérat était maintenu dans une position relative constante par rapport au soleil, cette clarté était permanente depuis des années. À une époque, Pham Nuwen serait peut-être tombé amoureux de cette décoration, mais il savait à présent comment elle était faite. Veille après Veille, Trud Silipan et lui descendaient ce couloir et voyaient les sculpteurs au travail. Pour obtenir ce résultat, Nau et Brughel, ces deux ordures, avaient exploité les zombies non diplômés jusqu’à la limite de leur durée de vie. Pham avait cru comprendre qu’au moins deux d’entre eux étaient morts de vieillesse. Les survivants avaient disparu eux aussi, peut-être employés à terminer les sculptures de couloirs moins prestigieux. Quand je serai aux commandes, ça va changer. La Focalisation était un système vraiment ignoble. On ne devrait jamais y recourir, sauf en cas de nécessité absolue.

Ils passèrent devant un couloir latéral revêtu de bois cultivé en cuve. Les volutes du grain s’enchaînaient sans heurt en suivant la courbe qui s’infléchissait vers le bas, vers les appartements de Tomas Nau.

Et Qiwi Lin Lisolet était là. Peut-être les avait-elle entendus arriver. Plus vraisemblablement, elle les avait vus quitter la clinique. Quoi qu’il en soit, elle attendait depuis longtemps, assez pour se tenir debout, les pieds au sol, comme sous une pesanteur planétaire normale.

— Ezr, s’il te plaît. Est-ce qu’on peut se parler, rien qu’un instant ? Je n’ai jamais voulu que ces émissions fassent du mal à…

Se propulsant sans bruit, Vinh flottait devant Pham. Quand il aperçut Qiwi, il releva brusquement la tête. Un instant, il sembla vouloir croiser la jeune fille sans s’arrêter. C’est alors qu’elle parla. S’arc-boutant contre le mur, Vinh plongea droit sur elle. Le geste était aussi ouvertement hostile qu’un poing lancé en pleine figure.

— Ça va pas ! tonna Pham.

Et il se força à rester en arrière dans une apparente impuissance. Il avait déjà intercepté le gaillard une fois aujourd’hui, et, cette fois-ci, la scène serait tout à fait claire pour les mouchards. En outre, Pham avait observé Qiwi quand elle travaillait à l’extérieur. Elle était en meilleure forme que tout le monde en L1, et c’était une acrobate-née. Peut-être que ça ferait un peu de bien à Vinh d’apprendre qu’il ne pouvait pas passer sa colère sur elle.

Mais Qiwi ne se défendit pas, ne tressaillit même pas. Vinh pivota et lui donna du plat de la main une gifle magistrale qui les envoya tourbillonner chacun de leur côté.

— Ouais, on va parler ! croassa-t-il.

Il la rattrapa d’un bond et la gifla à nouveau. Et, une fois de plus, Qiwi ne se défendit pas, ne leva même pas les mains pour se protéger le visage.

Et Pham Nuwen démarra avant même de réfléchir. Une petite voix au fond de son esprit lui reprochait ironiquement de risquer des années de mascarade rien que pour protéger un innocent. Mais la même voix l’encourageait aussi.

Le plongeon de Pham se transforma en une rotation apparemment incontrôlée qui, accidentellement, enfonça son épaule dans le ventre de Vinh et écrasa le jeune homme contre le mur. Hors de vue des caméras, Pham bourra son adversaire de coups de coude. Un instant après l’impact, la nuque de Vinh heurta le mur rudement. Si cela s’était produit dans les couloirs de diamant ciselé, il aurait pu être grièvement blessé. Toujours est-il que lorsque Vinh se détacha du mur, ses bras battaient mollement ses flancs. Des gouttelettes de sang montaient en bouquet de sa nuque.

— Si veux la bagarre, minable, t’attaque pas à plus petit que toi ! T’es qu’un lâche et une ordure, Vinh. Tous les mêmes, ces Négociants des Grandes Familles.

La colère de Pham était bien réelle, mais il était aussi en colère contre lui-même, pour avoir risqué de se démasquer.

La conscience revint peu à peu dans les yeux de Vinh. Il regarda Qiwi, à quatre mètres de lui dans le couloir. La fille le regarda à son tour ; son expression était un bizarre mélange de choc et de détermination. Puis Vinh regarda Pham, et le vieil homme en frissonna. Les caméras de Brughel n’avaient peut-être pas enregistré tous les détails de la bagarre, mais la gosse savait à quel point Pham avait calculé son attaque. Un instant ils se dévisagèrent, puis Vinh s’arracha à la poigne de Pham et détala dans le couloir en pente qui menait aux sas des navettes. C’était la retraite honteuse d’un homme battu et humilié. Mais Pham avait enregistré ce regard : il allait falloir s’occuper d’Ezr Vinh.

Qiwi s’élança derrière Vinh, mais se força à s’arrêter avant d’avoir parcouru dix mètres. Elle flottait à l’intersection en T des couloirs et regardait fixement dans la direction que Vinh avait prise.

Pham s’approcha. Il savait qu’il ne pouvait pas rester là. Nul doute que plusieurs caméras le surveillaient à présent, et il n’était pas assez doué pour continuer à jouer la comédie avec Qiwi. Alors quoi dire qui lui permette de partir sans prendre de risques ?