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Gokna passa en mode persuasion.

— Mais, Djirlib, ça serait pire. Et puis, à pieds, c’est loin. On prend le bus pour le Musée… regarde, il arrive justement.

Le moment était on ne peut mieux choisi. Un express venait de s’engager dans la voie montante. Ses feux infrarouges signalaient son appartenance à la navette du centre-ville.

— Quand on sortira de là-bas, les maniaques de la neige seront rentrés chez eux et le service express fonctionnera jusqu’à chez nous.

— Hé, je ne suis pas descendue ici pour voir un truc bidon de magie d’outre-espace ! Je veux voir la neige.

Gokna haussa les épaules.

— Dommage, Viki. Tu peux toujours te mettre la tête dans un frigo quand on sera rentrés.

— Je…

Viki voyait que Djirlib était à bout de patience et elle n’avait pas vraiment d’argument à lui opposer. Sur un mot de lui, Brent la ramènerait à la maison, qu’elle le veuille ou non.

— Euh… c’est vraiment une belle journée pour aller au musée.

Djirlib lui fit un sourire pincé.

— Ouais, et quand on va arriver là-bas, on va probablement y trouver Rhapsa et Petit-Hrunk, qui ont réussi à baratiner les gens de la sécu pour se faire amener directement en bagnole.

Viki et Gokna ne purent s’empêcher de rire. Les deux cadets n’étaient plus des bébés, mais ils étaient pratiquement toute la journée dans les jambages de papa. Les imaginer en train de circonvenir les services de sécurité de maman, c’était un peu trop.

Ils manœuvrèrent tous les quatre pour se retrouver à la lisière de la foule et furent les derniers à monter dans l’express… Eh oui. À quatre, c’était moins dangereux qu’à deux, et le Musée royal se trouvait dans un quartier où ils ne risquaient rien. Même si papa était mis au courant, leur absence d’improvisation et leur prudence manifestes les excuseraient. La neige, Viki aurait toute sa vie pour en voir.

Les express publics n’avaient aucun rapport avec les mobiles et aéronefs auxquels Viki était habituée. Ici, on voyageait serrés les uns contre les autres. Des réseaux de sangles en corde – un peu comme des filets à grimper pour bébés – pendaient tous les cinq pieds sur toute la longueur du bus. Les voyageurs étendaient ignominieusement bras et jambages dans les interstices et se suspendaient verticalement aux filets. On pouvait ainsi mettre plus de gens dans le bus, mais c’était plutôt débile. Seul le conducteur disposait d’un vrai perchoir.

Le bus n’aurait pas été bondé – sauf que les autres voyageurs se serraient pour éviter les enfants. Ils peuvent bien tous crever. Je m’en fiche. Cessant d’observer les autres occupants, elle examina les rues transversales qui défilaient sous ses yeux.

Avec tous ces grands travaux souterrains, l’entretien des chaussées avait été négligé en certains endroits. À chaque bosse, chaque nid-de-poule, les filets oscillaient, ce qui était plutôt marrant. Puis les choses se calmèrent. Ils abordaient le secteur le plus chic du nouveau centre-ville. Elle reconnut certains des emblèmes sur les tours : des sociétés comme Under Power et Regency Radionics. Sans leur père, certaines des plus grandes entreprises de l’Accord n’existeraient pas. Elle était fière de voir tous les gens qui entraient dans ces immeubles et en sortaient. Papa était important pour beaucoup de gens, et dans le bon sens.

Brent se pencha hors du filet et approcha la tête de la sienne.

— Tu sais, je crois que nous sommes suivis.

Djirlib entendit ces tranquilles paroles lui aussi et tira sur les cordes.

— Hein ? Où ça ?

— Ces deux Roadmaster, là. Ils étaient garés près de l’arrêt du bus.

L’espace d’une seconde, Viki sentit un petit frisson de peur – puis rien que du soulagement.

— Je parie qu’on n’a trompé personne, ce matin. Papa nous a laissés partir, et les gens du capitaine Downing nous accompagnent, comme ils le font toujours avec plaisir.

— Ces mobiles ne ressemblent pas à ceux qu’ils ont d’habitude, remarqua Brent.

Vingt-huit

Le Musée royal se trouvait à l’arrêt Centre-Ville du bus express. Viki, sa sœur et ses frères furent déposés sur les marches même de l’institution.

Viki et Gokna restèrent muettes un moment, tous les yeux vers le haut, à contempler l’arche de pierre incurvée. Ils avaient fait une émission sur cet endroit sans y être jamais allés. Haut de trois étages seulement, le Musée royal était écrasé par les buildings des temps modernes. Or ce modeste édifice représentait un peu plus que tous les gratte-ciel réunis. Les fortifications exceptées, le musée était la plus ancienne structure superficielle intacte de Princeton. C’était en fait le principal musée de la Famille royale depuis les cinq derniers cycles solaires. Il avait été partiellement reconstruit, et agrandi ici et là, mais l’une des traditions du lieu était qu’il demeure fidèle à la vision du roi Longsbras. L’extérieur s’incurvait en une arche comparable au profil inversé d’une aile d’aéronef. L’arche battue par le vent était l’invention des architectes d’il y avait deux générations. Les vénérables édifices de la Commanderie des Terres n’étaient rien en comparaison : ils jouissaient de la protection des hauts versants de la vallée. Viki essaya un instant d’imaginer le spectacle les premiers jours après le réveil explosif du soleil : l’édifice recroquevillé sous des vents transsoniques, un soleil d’enfer rayonnant dans toutes les couleurs du spectre de l’ultrableu à l’infrarouge le plus extrême. Alors, pourquoi le roi Longsbras avait-il construit à même la surface ? Pour défier la Ténèbre et le Soleil, bien sûr. Pour s’élever au-dessus des terriers du bas peuple et régner.

— Hé, vous deux ! Vous dormez, ou quoi ?

La voix de Djirlib était tranchante. Brent et lui les regardaient depuis l’entrée. Les filles grimpèrent les marches à toute allure et, pour une fois, ne trouvèrent pas de réplique intelligente.

Djirlib repartit, marmonnant des propos peu amènes sur les imbéciles toujours dans les nuages. Brent resta derrière les trois autres, mais sans se laisser distancer.

Ils entrèrent dans l’ombre du hall d’entrée, et les bruits de la ville s’atténuèrent derrière eux. Deux soldats de l’Armée royale montaient silencieusement la garde dans des niches creusées de chaque côté de l’entrée. Le vrai gardien – le préposé aux billets – se tenait un peu plus loin. Sur les murs vénérables derrière la caisse, des panneaux annonçaient les expositions en cours. Djirlib ne rouspétait plus. Il se trémoussa autour d’une « conception d’artiste » en dix couleurs d’un Difforme de Khelm. Viki comprenait maintenant comment toutes ces bêtises s’étaient retrouvées au Musée royal. Il n’y avait pas que les Difformes. Le thème de la saison était « La pseudo-science dans tous ses états ». Les affiches vantaient des installations sur l’envoûtement des profondeurs, l’autocombustion, la vidéomancie, et… les Difformes de Khelm. Mais Djirlib semblait ne pas remarquer en quelle douteuse compagnie se trouvait son dada. Il lui suffisait qu’il soit enfin reconnu par un musée.

Les expositions temporaires étaient regroupées dans l’aile neuve. Ici, les plafonds étaient hauts et des tubes à miroirs déversaient des cônes de lumière solaire brumeuse sur les sols en marbre. Ils étaient presque seuls tous les quatre, et l’endroit avait une étrange qualité acoustique : les sons y étaient amplifiés plutôt que renvoyés en écho. Lorsqu’ils ne parlaient pas, même les menus claquements de leurs pieds semblaient bruyants. C’était plus efficace que tous les panneaux « Silence SVP ». Viki était impressionnée par cet incroyable étalage de charlatanerie. Papa trouvait ce genre de choses amusantes – « c’est comme la religion, mais en moins dangereux ». Malheureusement, Djirlib n’avait d’yeux que pour sa propre charlatanerie. Peu importait que Gokna s’absorbe dans l’installation sur l’autocombustion au point de se mettre à ourdir des intrigues. Peu importait que Viki veuille voir les tubes à image luminescents dans la salle de vidéomancie. Djirlib allait droit à l’exposition sur les Difformes ; Brent et lui s’assurèrent que leurs sœurs restent avec eux.