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Et pourquoi pas ? À vrai dire, Viki avait toujours été intriguée par les Difformes. Djirlib en était toqué depuis toujours, autant qu’elle puisse s’en souvenir ; ici, finalement, ils allaient en voir pour de vrai.

L’entrée de la salle était une installation de foraminifères qui montait jusqu’au plafond. Combien de tonnes de boue combustible avait-il fallu filtrer pour trouver d’aussi parfaits spécimens ? Les différents types étaient soigneusement étiquetés conformément aux meilleures théories scientifiques, mais les minuscules squelettes de cristal avaient été ingénieusement disposés dans leurs casiers sous les lentilles grossissantes : dans la lumière solaire injectée, les forams scintillaient en constellations cristallines comme des tiares, des bracelets et des dosserets semés de gemmes. La collection de Djirlib en devenait insignifiante. Sur une table centrale, une batterie de microscopes permettait au visiteur intéressé d’observer les spécimens d’encore plus près. Viki s’approcha des oculaires. Elle avait déjà vu pareilles curiosités assez souvent, mais ces forams étaient intacts et d’une époustouflante variété. Si la plupart étaient strictement hexasymétriques, beaucoup exhibaient les petites tiges et les crampons que ces créatures avaient, de leur vivant, dû utiliser pour se déplacer dans leur environnement microscopique. Il n’y avait plus un seul de ces êtres au squelette de diamant encore en vie sur la planète, et ce, depuis plus de cinquante millions d’années. Dans certaines roches sédimentaires, la couche de forains diamant avait des centaines de pieds d’épaisseur ; à l’est, ce combustible était moins cher que le charbon. La plus grosse de ces créatures avait à peine la taille d’une puce, mais il fut un temps où elles étaient l’animal le plus répandu dans le monde. Ensuite, il y avait quelque cinquante millions d’années… pfft ! Il ne restait plus que leurs squelettes. L’oncle Hrunkner disait que c’était là un destin à méditer lorsque les idées de papa dépassaient les bornes.

— Grouillez-vous !

Djirlib était capable de passer des heures en tête à tête avec sa propre collection de forams. Mais aujourd’hui, il accorda à peine trente secondes au clinquant couronné de la Salle du Roi lui-même : les panneaux sur les portes du fond annonçaient les Difformes de Khelm. Sur la pointe des jambages, ils se glissèrent tous les quatre dans l’entrée assombrie, sans oser échanger guère plus que de rares chuchotements. Dans la salle proprement dite, un unique cône de lumière solaire injectée tombait sur les tables centrales. Les murs étaient noyés dans l’ombre, éclairés çà et là par des lampes aux couleurs extrêmes.

Ils entrèrent sans bruit. Gokna poussa un léger piaulement de surprise. Il y avait des silhouettes dans la pénombre. Plus grandes qu’un adulte ordinaire – mais en hauteur. Elles vacillaient sur trois jambages filiformes, leurs antérieurs et leurs bras s’élevaient presque comme les branches d’un Préhenseur. Toutes les particularités que Chundra Khelm avait jamais attribuées à ses Difformes étaient représentées – et l’obscurité recelait la promesse de détails supplémentaires à qui voudrait bien s’approcher.

Viki déchiffra les mots luminescents sous les silhouettes et sourit intérieurement.

— C’est super, non ? dit-elle à sa sœur.

— Ouais… jamais j’aurais imaginé que…

Puis elle lut la légende à son tour.

— Oh, encore des faux, des copies merdiques.

— Il ne s’agit pas de faux, rectifia Djirlib. C’est une reconstitution avouée.

Mais Viki perçut la déception dans sa voix. Ils traversèrent lentement la salle assombrie en essayant de déchiffrer des lueurs ambiguës. Et, pendant quelques minutes, ces formes demeurèrent un mystère frustrant qui flottait juste hors de leur portée. Il y avait là les cinquante types raciaux décrits par Khelm. Mais c’étaient de grossiers mannequins empruntés vraisemblablement à un magasin d’accessoires de carnaval. Djirlib semblait se ratatiner à mesure qu’il découvrait un nouveau sujet et qu’il lisait la légende au-dessous. Les descriptions étaient grandiloquentes : « Les races anciennes qui ont précédé la nôtre… » « Les créatures qui hantaient nos ancêtres des premiers temps… » « Les profonds les plus obscurs conservent peut-être encore leur semence, et elles attendent de reprendre possession de leur monde. » Cette dernière légende commentait une reconstitution évoquant une sorte de tarant monstrueux, prêt à trancher la tête du visiteur entre ses mâchoires. Rien que des bêtises, en somme. Même le petit frère ou la petite sœur de Viki s’en seraient aperçus. Chundra Khelm lui-même avouait que son « site perdu » était enfoui sous des strates de forams. À supposer que ses créatures aient existé sous une forme quelconque, elles étaient éteintes depuis au moins cinquante millions d’années – des millions d’années avant la naissance du tout premier précurseur de la race dominante actuelle.

— Je crois qu’ils se moquent de lui, Djirl, dit Viki.

Pour une fois, elle ne le taquinait pas. Elle n’aimait pas que des étrangers se moquent de sa famille, même indirectement.

Djirlib acquiesça d’un haussement d’épaules.

— Ouais, t’as raison. Plus on avance, plus c’est drôle. Ha ha !

Il s’arrêta près de la dernière pièce.

— Le comble, c’est qu’ils le reconnaissent ! Ça, c’est la dernière légende : « Si vous êtes arrivé jusqu’ici, vous comprenez la vanité des prétentions de Chundra Khelm. Mais que sont les Difformes, alors ? Un trucage élaboré à partir d’un site archéologique opportunément disparu ? Ou une création naturelle unique des roches métamorphiques ? À vous de juger… »

La voix lui manqua : son attention avait été attirée par l’amas de rochers brillamment illuminé au centre de la salle, dissimulé par une cloison à la vue des arrivants.

Djirlib se propulsa d’un bond élastique jusqu’à l’installation. Saisi d’un tremblement quasi hystérique, il commença à examiner les rochers. Chaque pièce était exposée individuellement. Tous les rochers étaient clairement visibles dans toutes les couleurs du spectre solaire. On aurait dit du marbre brut, et rien de plus. Impressionné, Djirlib poussa un soupir.

— Ce sont d’authentiques Difformes, les meilleurs qu’on ait trouvés après ceux de Chundra Khelm.

Polis, certains des rochers auraient eu une certaine beauté. Leur surface présentait des tourbillons dont la couleur était plus celle du carbone élémentaire que celle du marbre. Pour qui laissait courir son imagination, ils évoquaient un peu des formes régulières qui auraient été étirées et tordues. Ils ne ressemblaient toujours pas à des créatures qui auraient pu être un jour vivantes. De l’autre côté de l’amas, un rocher avait été soigneusement découpé en tranches horizontales d’un dixième de pouce, si minces que le soleil brillait à travers. Ces cent lamelles empilées étaient maintenues, sans se toucher, par un cadre en acier. Si on s’approchait vraiment près et qu’on hochait la tête dans un plan vertical, on avait une sorte de vue à trois dimensions du contour dessiné à l’intérieur de la roche. Un tourbillon scintillant de poudre de diamant suggérait des forams, mais écrasés. Tout autour du diamant s’étendait comme une trame de fissures remplies d’ombre. C’était beau. Djirlib restait planté là, la tête collée au cadre d’acier, oscillant d’avant en arrière pour voir la lumière à travers l’ensemble des lamelles.