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L’imagerie consensuelle sur le pont des passagers était une vue naturelle. Les terres qui défilaient lentement sous eux étaient des nuances de gris où luisaient parfois des zones blanches. C’était peut-être une illusion de l’imagination, mais Ezr crut voir des ombres ténues projetées par MarcheArrêt. Elles évoquaient une topographie de rochers escarpés et de pics montagneux où la blancheur s’abîmait dans des gouffres obscurs. Il crut distinguer des arcs concentriques autour de certains sommets éloignés : des rides de pression là où l’océan avait gelé autour du roc ?

— Hé ! Mettez au moins un quadrillage altimétrique là-dessus.

La voix de Benny Wen lui parvint par-dessus son épaule et un fin réseau rougeâtre se superposa au paysage. La grille confirmait assez bien ses intuitions quant aux ombres et à la neige.

Ezr repoussa d’un geste la dentelle rouge.

— Lorsque l’étoile est en Marche, il y a des millions d’Araignées en bas. Tu crois qu’il y aurait des signes de civilisation ?

— Qu’est-ce que tu veux voir avec une vue naturelle ? ricana Benny. Tout ce qui dépasse, c’est pratiquement que des sommets de montagnes. Plus bas, tout est recouvert sous des mètres de neige oxygène-azote.

Une atmosphère terrestre complète congelée en une couche d’environ dix mètres de neige d’air – à supposer qu’elle soit également répartie. Bien des sites urbains les plus vraisemblables – ports, confluents – étaient sous des douzaines de mètres de cette substance glaciale. Tous leurs précédents débarquements avaient eu lieu à des altitudes relativement élevées, dans ce qui était probablement des villes minières ou des colonies primitives dont la destination actuelle n’avait été comprise que juste avant l’arrivée des Émergents. En bas, les terres sombres défilaient toujours. Il y avait même des sortes de cours d’eau glaciaires. Ezr se demanda comment ils avaient eu le temps de se former. Peut-être s’agissait-il de glaciers à base d’air congelé.

— Dieu de tous les négoces, regardez-moi ça !

Benny braqua le doigt sur un point vers la gauche : une clarté rougeâtre près de l’horizon. Il opéra un zoom. La lueur était encore réduite et sortait rapidement de leur champ de vision. Elle évoquait vraiment un incendie, bien qu’elle change de forme plutôt lentement. Quelque chose leur bouchait la vue, à présent, et Ezr eut fugitivement l’impression d’une opacité montant vers le ciel depuis la source lumineuse.

— J’ai une meilleure vue en orbite haute, dit une voix plus loin dans la travée, celle du maître d’équipage Diem.

Il ne retransmit pas l’image.

— C’est un volcan. Il vient d’entrer en éruption.

Ezr suivit l’image lorsqu’elle bascula derrière leur point de vue. La noirceur montante devait être un geyser de lave – ou rien que de l’air et de l’eau, peut-être –, qui crachait dans les espaces au-dessus de lui.

— C’est une première, déclara Ezr.

Le noyau de la planète était froid et mort, bien qu’il y ait plusieurs zones de fusion magmatiques dans ce qui passait pour un manteau.

— Tout le monde a l’air persuadé que les Araignées sont toutes à l’état de cadavres congelés ; et s’il y en avait qui se tenaient au chaud à côté de ce genre de trucs ?

— Peu vraisemblable. Nous avons exécuté des relevés infrarouges vraiment détaillés. Nous pourrions repérer d’éventuelles colonies autour d’un point chaud. En plus, les Araignées venaient seulement d’inventer la radio juste avant cette dernière obscurité. Elles ne sont absolument pas en état de se balader dehors actuellement.

Cette conclusion se fondait sur quelques Msec de reconnaissance et quelques hypothèses plausibles sur la chimie de la vie.

— Je vous crois, dit Ezr.

Il observa la lueur rougeâtre jusqu’à ce qu’elle glisse derrière l’horizon. Il y avait des choses plus excitantes juste en dessous et droit devant. Leur trajectoire elliptique les emportait sans heurts vers le bas, toujours en impesanteur. C’était une planète de taille normale, mais il n’y aurait pas de vol atmosphérique. Ils avançaient à huit mille mètres par seconde, à tout juste deux mille mètres du sol. Ezr avait l’impression que des montagnes grimpaient à leur rencontre, tentaient de les saisir. Des lignes de crêtes se succédèrent à toute vitesse, de plus en plus proches. Derrière lui, Benny émettait de discrets grognements d’inconfort, son bavardage habituel temporairement interrompu. Ezr eut un haut-le-corps lorsque la dernière ligne de crêtes les frôla en un éclair, si près qu’il se demanda si elle n’avait pas arraché la dorsale du module. Une ellipse de transfert, ça ? Une ellipse d’enfer, ouais.

Puis le réacteur principal s’alluma devant eux.

Il leur fallut presque trente Ksec pour redescendre du site que Jimmy Diem avait sélectionné pour l’atterrissage. Ce ne fut pas une mince affaire. Leur perchoir était à mi-pente au flanc d’une montagne, mais tout à fait dépourvu de glace et de neige d’air. Leur but se trouvait au fond d’une étroite vallée. Normalement, le sol de la vallée aurait dû être enseveli sous cent mètres de neige d’air. Par quelque caprice inattendu de la topographie et du climat, il y en avait moins de cinquante centimètres. Et, presque caché sous le surplomb des versants de la vallée, s’étendait le plus vaste ensemble d’immeubles intacts qu’ils aient trouvé jusque-là. Il y avait de bonnes chances que ce soit l’entrée d’une des plus grandes cavernes d’hibernation des Araignées, et, peut-être, une ville pendant la période active de MarcheArrêt. Tout ce qu’on apprendrait ici serait important. En vertu des accords bilatéraux, tout était retransmis en direct aux Émergents…

Ezr n’avait eu aucune information sur l’issue de la réunion du Comité des échanges commerciaux. Diem semblait faire tout ce qu’il pouvait pour dissimuler cette visite aux autochtones, exactement comme les Émergents devaient s’y attendre. Leur site d’atterrissage serait recouvert par une avalanche peu après leur départ. Même les traces de pas devraient être soigneusement effacées (bien que cela fût à peine nécessaire).

Par pure coïncidence, MarcheArrêt était presque au zénith lorsqu’ils atteignirent le fond de la vallée. Dans la « saison ensoleillée », il serait midi. En fait, l’étoile MarcheArrêt ressemblait maintenant à une terne lune rougeâtre d’un demi-degré de diamètre. Sa surface était tavelée, comme de l’huile sur une goutte d’eau. Sans l’amplification à l’affichage, la lumière de MarcheArrêt était tout juste suffisante pour montrer le paysage qui les entourait.

Le groupe de débarquement descendit une sorte d’avenue centrale – cinq silhouettes en combinaisons et une machine ambulatoire auxiliaire. De minuscules bouffées de vapeur crépitaient autour de leurs bottes lorsqu’ils traversaient des congères de neige d’air et que les volatiles entraient en contact avec le tissu moins bien isolé de leurs combinaisons. Lorsqu’ils observaient une longue pause, il importait qu’ils ne restent pas dans la neige profonde, sous peine d’être rapidement cernés par la brume de sublimation. Tous les dix mètres, ils plaçaient sur le sol un capteur sismique ou un vibreur. Lorsqu’ils auraient mis en place toute la configuration, ils auraient une bonne image des cavernes proches, s’il y en avait. Plus important encore pour ce débarquement, ils auraient une bonne idée de ce qui se trouvait à l’intérieur des immeubles. Leur objectif principal : des matériaux écrits, des images. Trouver un livre de lecture illustré signifierait à coup sûr une promotion pour Diem.