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Nuances de gris rougeâtres sur fond noir. Ezr savourait l’imagerie non retouchée. C’était beau, irréel. C’était un lieu où les Araignées avaient vécu pour de bon. De chaque côté de leur chemin, les ombres escaladaient les murs des immeubles arachniens. La plupart n’avaient que deux ou trois étages, mais même dans la ténébreuse lumière rouge, même avec la neige et l’obscurité qui en brouillaient les contours, ils n’auraient pu les confondre avec des constructions édifiées par des humains. Les portes étaient d’une largeur généreuse ; or presque toutes avaient moins de cent cinquante centimètres de hauteur. Les fenêtres (aux volets soigneusement verrouillés : l’endroit avait été méthodiquement abandonné par des propriétaires qui avaient l’intention de revenir) étaient pareillement larges et basses.

Ces fenêtres étaient comme des centaines d’yeux fendus qui regardaient de haut le groupe des cinq et leur accompagnateur. Vinh se demanda ce qui se passerait si une lampe s’allumait derrière ces fenêtres – un rai de lumière filtrant entre les fentes des volets. Son imagination envisagea un instant cette possibilité. Et si leur sentiment de supériorité satisfaite était une erreur ? Ils avaient affaire à des extraterrestres. Il était hautement invraisemblable que la vie ait pu naître sur un monde aussi insolite que celui-ci ; une fois par le passé, les autochtones avaient dû connaître les voyages interstellaires. L’emprise commerciale des Qeng Ho avait quatre cents années-lumière de diamètre ; ils maintenaient une présence technologique continue depuis des milliers d’années. Les Qeng Ho avaient détecté des traces de civilisations non humaines situées à des milliers d’années-lumière de distance – des millions, dans la plupart des cas, éternellement hors de portée du contact direct ou même de la conversation. Les Araignées n’étaient que la troisième espèce intelligente non humaine jamais physiquement découverte : trois en huit mille ans de voyages spatiaux humains. L’une était éteinte depuis des millions d’années ; l’autre n’avait pas atteint le niveau de la technologie machinique, et encore moins celui de l’exploration spatiale.

Les cinq humains qui marchaient entre les immeubles ténébreux aux fenêtres fendues étaient aussi près d’entrer dans l’histoire que Vinh pouvait se l’imaginer. Armstrong sur Luna, Pham Nuwen à la Brèche de Brisgo… et maintenant Vinh, Wen, Patil, Do et Diem qui arpentaient cette rue des Araignées.

Il y eut une pause dans le trafic radio et, l’espace d’un instant, il n’entendit plus que le crissement de sa combinaison et le bruit de sa propre respiration. Puis les voix minuscules reprirent, leur faisant traverser un espace découvert pour les conduire vers l’autre extrémité de la vallée. Apparemment, les analystes estimaient que cette gorge étroite pouvait être l’entrée des cavernes où les Araignées locales étaient censées se tapir.

— C’est bizarre, dit une voix anonyme venant de très haut. Le sismo a entendu quelque chose – il entend quelque chose – dans l’immeuble immédiatement à votre droite.

L’ATH de Vinh se releva d’un coup sec et il scruta les ténèbres. Pas de lumière, peut-être, mais un bruit.

— Le marcheur ? (Diem)

— Peut-être que c’est l’immeuble qui se tasse ? (Benny)

— Non, non. C’était un son impulsif, une sorte de déclic. Maintenant, on capte un battement régulier, avec un certain amortissement. L’analyse des fréquences… suggère une sorte de mécanisme, avec des pièces mobiles, ce genre de truc… Ah, voilà : c’est pratiquement à l’arrêt, il n’y a plus qu’une petite résonance résiduelle. Maître d’équipage Diem, nous avons une très bonne localisation de ce zinzin. Dans le coin opposé, à quatre mètres du niveau de la rue. Je vous envoie un marqueur de guidage.

Vinh et les autres avancèrent de trente mètres en suivant l’icône du marqueur qui flottait dans leurs afficheurs tête haute. Leur progression furtive était presque comique à présent qu’ils étaient parfaitement visibles de quiconque serait dans l’édifice.

Le marqueur les conduisit au coin de la rue.

— Cet immeuble n’a rien de particulier, apparemment, commenta Diem.

Comme les autres, il semblait être construit en pierres sans mortier ; les étages supérieurs étaient légèrement en retrait.

— Attendez, je vois l’endroit indiqué. Il y a une sorte de… coffret en céramique boulonné sous la deuxième corniche. Vinh, c’est toi qui es le plus près. Grimpe là-haut et jette un coup d’œil.

Ezr commença à se diriger vers l’immeuble, puis vit que quelqu’un avait éteint le marqueur. Pour l’aider, sans doute.

— Où ça ?

Il ne voyait que des ombres et les nuances grises de la maçonnerie.

— Vinh. Réveille-toi.

La voix de Diem avait plus que sa sécheresse habituelle.

— Désolé.

Ezr se sentit rougir ; il s’attirait ce genre d’ennuis bien trop souvent. Il activa l’imagerie polyvalente et son champ de vision s’embrasa de couleurs, synthèse composite de ce que la combinaison détectait sur plusieurs régions du spectre. Là où il y avait eu un gouffre obscur, il aperçut alors le coffret dont parlait Diem. Il était fixé à deux mètres au-dessus de sa tête.

— Une seconde ; je vais me rapprocher.

Il marcha jusqu’au mur. Comme la plupart des immeubles, celui-ci était hérissé de lamelles larges et pierreuses. Les analystes estimaient qu’il s’agissait d’escaliers. Elles facilitaient la tâche de Vinh, bien qu’il s’en servît plus comme des barreaux d’une échelle que comme des marches. En quelques secondes, il était à côté de l’objet.

C’était bien une machine : il y avait des rivets sur les côtés, comme si cet accessoire sortait d’un roman médiéval. Il tira une baguette à capteur de sa combinaison et la tint près du coffret.

— Vous voulez que je le touche ?

Diem ne répondit pas. C’était vraiment une question pour les gens d’en haut. Vinh entendit plusieurs voix s’entretenir.

— Tourne un peu autour. Il n’y a pas de marques sur les parois de cette boîte ?

Trixia ! Il savait qu’elle ferait partie des guetteurs, n’empêche qu’il fut agréablement surpris d’entendre sa voix.

— Oui, madame, dit-il en passant la baguette sur toutes les faces de l’objet.

Il y avait quelque chose sur les côtés ; il ne pouvait dire si c’était une inscription ou un artefact créé par un excès de complexité des algorithmes scanographiques. Si c’était une inscription, ce serait un petit scoop.

— C’est bon, tu peux fixer la baguette sur le coffret, maintenant.

Une autre voix, celle du spécialiste de l’acoustique. Ezr fit ce qu’on lui disait de faire.

Quelques secondes s’écoulèrent. Les escaliers des Araignées étaient tellement abrupts qu’il devait s’appuyer à la renverse sur les contremarches. Une brume de neige d’air jaillissait des degrés, et vers le bas : il sentait les unités chauffantes de sa veste compenser le froid des arêtes.

— Voilà qui est intéressant. Ce truc est un capteur qui semble surgi de la préhistoire.

— Électrique ? Qui transmet des données à un site éloigné ? demanda une voix de femme avec l’accent des Émergents.

Vinh sursauta.

— Ah, directeur Reynolt, bonjour. Non. Et c’est cela qui est extraordinaire. Le dispositif est autonome. La source d’énergie, pour ainsi dire, semble être une série de ressorts métalliques. Un mécanisme d’horlogerie – le concept vous est-il familier ? – fournit à la fois le cadencement et la puissance motrice. En réalité, je présume que ce doit être à peu près la seule méthode simple qui puisse fonctionner pendant de longues périodes de froid.