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Ces pensées décourageantes s’orientèrent dans une direction familière : peut-être prouverait-il ici qu’il n’était pas aussi inutile que ça. Les Araignées étaient peut-être à un stade très éloigné de leur civilisation d’origine. Leur ère actuelle pourrait ressembler fortement à l’Aube de l’Humanité. Peut-être aurait-il une intuition qui ferait la fortune de l’escadre – et lui accorderait la main de Trixia Bonsol. Son esprit dériva vers de souriantes éventualités sans tout à fait descendre jusqu’aux détails rebutants…

Vinh jeta un coup d’œil à son chrono. Ah, il lui restait encore cinq cents secondes ! Il se leva, parcourut du regard les ombres qui s’allongeaient jusqu’au point où l’avenue grimpait au flanc de la montagne. Toute la journée, ils s’étaient tellement concentrés sur les priorités de leur mission qu’ils n’avaient pas vraiment eu le loisir de visiter les lieux. En fait, ils s’étaient arrêtés juste avant un élargissement de la chaussée qui constituait presque une esplanade.

Pendant la période de clarté, il y avait eu pas mal de végétation. Les collines étaient couvertes des vestiges difformes de ce qui avait pu être des arbres. En bas, la nature avait été soigneusement entretenue ; à intervalles réguliers le long de l’avenue, on rencontrait les débris organiques de quelque plante ornementale. Une douzaine de ces monticules bordaient l’esplanade.

Quatre cents secondes. Il avait le temps. Il gagna rapidement le bord de l’esplanade puis commença à en faire le tour. Au milieu du cercle s’élevait une petite colline où la neige recouvrait des formes bizarres. Lorsqu’il atteignit l’autre côté, il avait la lumière dans les yeux. Le travail dans la bibliothèque avait tellement réchauffé les lieux qu’un brouillard d’atmosphère locale et éphémère suintait de l’édifice et traversait la rue, se condensant et retombant sur la chaussée. La lumière de MarcheArrêt y traçait des faisceaux rougeâtres. La couleur mise à part, ç’aurait pu être le brouillard superficiel sur le sol principal du temp’ de ses parents par une nuit d’été. Et les versants de la vallée auraient pu être les cloisons d’un temp’. Vinh succomba un instant aux charmes de cette image – un lieu si étranger qui lui semblait soudain si familier, si paisible.

Son attention se porta à nouveau vers le centre de l’esplanade. Ce côté-ci était presque dépourvu de neige. Il y avait des formes bizarres devant lui, à moitié cachées par l’obscurité. Réfléchissant à peine, il s’en approcha. Le sol sans neige crissait comme de la mousse gelée. Il s’arrêta, aspira une goulée. Les objets sombres au centre… étaient des statues. D’Araignées ! Quelques secondes encore et il signalerait sa découverte mais, pour l’instant, il s’émerveilla de ce spectacle seul et en silence. Bien entendu, la forme des autochtones était déjà approximativement connue : on avait trouvé de grossières images lors des débarquements antérieurs. Mais – Vinh augmenta la définition du balayage – c’étaient des statues réalistes, moulées avec une précision exquise dans quelque métal sombre. Il y avait trois de ces créatures, grandeur nature, supposa-t-il. Dans le parler commun, le mot « araignée » est un de ces termes qui se délitent jusqu’à la quasi-inutilité à la lumière d’une étude spécifique. Du temps de son enfance, il y avait eu plusieurs types de bestioles appelées « araignées ». Certaines avaient six pattes, d’autres huit, et d’autres encore en avaient dix ou douze. Il en avait des grosses et velues. Il y en avait des minces, noires et venimeuses. Ces trois créatures ressemblaient beaucoup à la variété mince à dix pattes. Mais ou bien elles portaient des vêtements, ou bien elles étaient plus épineuses que leurs minuscules homonymes. Leurs pattes étaient entrelacées et cherchaient toutes quelque chose de dissimulé sous elles. Elles faisaient la guerre, ou l’amour ? Même l’imagination de Vinh pataugeait.

Comment c’était ici, la dernière fois que le soleil avait brillé ?

Quatre

C’est dans les années du Soleil Déclinant que le monde est le plus agréable. Le cliché est pertinent. Il est vrai que les intempéries sont moins heurtées, qu’il y a partout une impression de ralentissement et que la plupart des régions jouissent de quelques années où les étés ne calcinent pas et où les hivers ne sont pas encore excessivement rudes. C’est l’époque classiquement propice à la romance. L’époque aguichante qui suggère aux créatures supérieures de se détendre, de remettre tout à plus tard. C’est la dernière chance de se préparer à la fin du monde.

Totalement par hasard, Sherkaner Underhill eut la bonne fortune de choisir les plus belles journées des années du Déclin pour son premier voyage à la Commanderie des Terres. Il se rendit vite compte qu’il avait doublement de la chance : les routes de corniche sinueuses n’avaient pas été conçues pour des automobiles, et Sherkaner n’avait pas tout à fait les compétences de conducteur qu’il s’imaginait avoir. Plus d’une fois, il aborda en catastrophe une épingle à cheveux sans que la transmission à courroie soit correctement en prise, et seuls les freins et la direction purent l’empêcher de s’envoler dans le bleu vaporeux du Grand Océan (il n’y serait sans doute pas parvenu, mais aurait chu dans la forêt en contrebas avec des conséquences fatales tout de même).

Sherkaner exultait. En l’espace de quelques heures, il avait assimilé le maniement de la machine. À présent, lorsqu’il virait sur deux roues, il le faisait presque exprès. Le parcours était de toute beauté. Les autochtones appelaient cet itinéraire l’Orgueil de l’Accord, et la Famille royale n’avait jamais osé se plaindre. C’était le plein été. La forêt avait au moins trente ans, elle était aussi vieille que les arbres pourraient jamais l’être. Ils s’élançaient très haut, très droits, très verts et poussaient jusqu’au bord de la grand-route. Le parfum des fleurs et les effluves de résine l’éventaient au passage, perché sur le mobile.

Il ne vit pas beaucoup d’autres véhicules civils. Il y avait abondance d’osprechs attelés à des charrettes, quelques camions et un nombre excessif de convois militaires. Les réactions qu’il suscitait chez les civils étaient étonnamment diverses : l’irritation, l’amusement, l’envie. Plus encore qu’autour de Princeton, il vit des filles manifestement enceintes et des gars avec des douzaines de boursouflures – autant de bébés – sur le dos. Certains de leurs signes laissaient entendre qu’ils convoitaient plus que l’automobile de Sherk. Et il y a des fois où je les envie un peu. Il caressa cette pensée un instant sans essayer de la rationaliser. L’instinct était une chose si fascinante, surtout quand on le voyait de l’intérieur.

Les milles s’accumulèrent. Tandis que son corps et ses sens s’adonnaient à la conduite, son esprit cochait discrètement des articles sur une liste : son troisième cycle d’études, les moyens de convaincre la Commanderie d’investir dans son projet, les multiples manières dont son automobile pourrait être amélioré. Il s’arrêta dans une petite localité forestière à la fin du premier après-midi, NUITS-SUR-PROFOND, disait l’antique panneau ; Sherkaner ne savait pas vraiment si c’était un toponyme ou une simple description.