Выбрать главу

— Je crains que tout cela soit quelque peu en dehors de mes compétences. Je peux cependant formuler un avis. Bien que nous ne puissions pas avoir de Plébiscite, nous sommes bel et bien en guerre. À l’intérieur du gouvernement, nous évoluons vers l’état de guerre. Les procédures normales d’appel et de révision sont suspendues. Vu le caractère exceptionnel de la situation, il est essentiel que vous compreniez que moi-même et – plus important encore – le Roi faisons totalement confiance au général Smith pour mener les opérations. Vous savez tous que le chef des Renseignements jouit de prérogatives particulières. La tradition n’est pas passée de mode, mesdames et messieurs. C’est une politique royale mûrement réfléchie, et vous devez tous l’accepter.

Ça alors ! Où était le « peu d’épaisseur » des ministres des Finances ? Il y eut des hochements de tête très sérieux tout autour de la table, et personne n’eut rien à ajouter, surtout pas Belga Underville. Bizarrement, Belga préférait être rabrouée d’une manière aussi définitive. On roulait peut-être sur la route de l’Enfer, mais, au moins, on n’avait plus à se demander qui occupait le perchoir du conducteur.

Au bout d’un moment, le général Smith retourna à l’ordre du jour.

— Il nous reste encore un point. C’est aussi le problème le plus critique que nous ayons à affronter. Colonel Thract, voulez-vous nous informer de la situation en Terresud ?

Smith se montrait courtoise, presque sympathique. N’empêche que le pauvre Thract allait y passer à son tour.

Mais Thract avait encore du ressort. Il bondit à bas de son perchoir et s’approcha prestement du podium.

— Madame la ministre, mon général. Nous estimons que la situation s’est quelque peu stabilisée dans les quinze dernières heures.

Il projeta les photos aériennes que Belga l’avait vu examiner avant la réunion. La majeure partie de Terresud était enveloppée d’un tourbillon de tempêtes, mais les bases de lancement, situées en haute altitude dans les Montagnes Sèches, étaient pour la plupart visibles. Thract fit défiler ses images tout en analysant les modalités de ravitaillement.

— Les fusées à longue portée des Terresudiens sont des engins très fragiles, à carburant liquide. Leur Parlement est en plein délire guerrier depuis quelques jours – à preuve leur « Ultimatum pour une Survie Coopérative », par exemple –, mais, en fait, nous ne croyons pas que plus d’un dixième des fusées soient parées pour le lancement. Il faudra trois ou quatre jours aux Terresudiens pour faire le plein de tous les réservoirs.

— C’est drôlement stupide de leur part, dit Belga.

Thract approuva d’un signe de tête.

— Mais n’oubliez pas que leur système parlementaire les empêche de prendre des décisions aussi rapidement que le nôtre ou celui de la Parenté. On a fait croire à ces gens qu’ils ont le choix entre mener une guerre maintenant ou se laisser assassiner dans leur sommeil. L’Ultimatum a peut-être été lancé au mauvais moment, mais c’était également une tentative, de la part de certains membres du Parlement, pour rendre la perspective d’une guerre si effrayante que leurs collègues en abandonneraient le projet.

— Vous avez donc l’impression que la paix va se maintenir jusqu’à ce qu’ils aient terminé leur ravitaillement ? demanda le directeur de la Défense aérienne.

— Oui. Le moment critique sera la séance du Parlement à Pleinsud dans quatre jours. C’est là qu’ils examineront notre réponse – si nous en avons donné une – à l’Ultimatum.

— Pourquoi ne pas carrément accéder à leurs demandes ? suggéra le freluquet des Relations publiques. Ils n’ont pas de revendications territoriales. Nous sommes tellement forts que leur céder n’entraînerait guère de perte de prestige.

Il y eut un brouhaha indigné autour de la table. Le général Smith répondit en des termes bien plus modérés que ne le méritait la question :

— Malheureusement, ce n’est pas une simple affaire de prestige. L’Ultimatum de Terresud nous impose d’affaiblir plusieurs de nos armes. En fait, je doute que cela améliore en quoi que ce soit la sécurité des Terresudiens dans leurs profonds… mais cela accroîtrait notre vulnérabilité à une première frappe de la Parenté.

— En effet, confirma Chezny Neudep, directeur de l’Offensive balistique. Les Terresudiens sont maintenant de simples marionnettes de la Parenté. Pedure et ses sanguinaires doivent pavoiser. Quoi qu’il arrive, ils sont gagnants.

— Peut-être que non, dit la ministre Nizhnimor. Je connais beaucoup de hauts responsables terresudiens ; ils ne sont ni malfaisants, ni fous, ni incompétents. Tout se résume maintenant à une question de confiance mutuelle. Le Roi est disposé à se rendre à Pleinsud pour cette prochaine séance du Parlement terresudien et à y rester jusqu’à la fin de la session. Il est difficile d’imaginer une plus grande manifestation de confiance de notre part… et je crois que les Terresudiens l’accepteront, quelles que soient les exigences de Pedure.

Bien entendu, c’était pour cela qu’il y avait des Rois. Néanmoins, la proposition de la ministre causa un choc. Même « Mégatonnes » Neudep semblait déconcerté.

— Madame… je sais que le Roi a le pouvoir de prendre pareille décision, mais je conteste qu’il s’agisse là d’une question de confiance. Il y a certainement des gens très honorables chez les Terresudiens de haut rang. Il y a un an, Terresud était presque notre alliée. Nous avions des sympathisants dans toutes les instances gouvernementales. Le colonel Thract nous a dit que nous y avions – soyons francs – des espions haut placés. Sinon, je ne crois pas que le général Smith ait jamais encouragé la croissance technique de Terresud… Or, en moins d’un an, il semble que nous ayons perdu tous nos avantages. Ce que je vois maintenant, c’est un État complètement infiltré par la Parenté. La majorité des membres du Parlement sont peut-être honorables, mais cela ne compte pas. Votre analyse, colonel ?

Et de tendre deux bras en direction de Thract.

On en était aux reproches. C’était devenu un trait habituel des réunions récentes, et Thract était à chaque fois de plus en plus visé.

Il inclina légèrement la tête à l’adresse de Mégatonnes.

— Monsieur, votre appréciation est correcte dans ses grandes lignes, bien que je ne voie guère d’infiltration des forces balistiques terresudiennes. Nous avions là-bas un gouvernement ami… et dont je jurerais qu’il avait été soigneusement « instrumenté » par des agents de l’Accord. Les gens de la Parenté étaient actifs, mais ils avaient été neutralisés. Ensuite, par étapes successives, nous avons perdu du terrain. À des lacunes dans la surveillance ont succédé des accidents mortels, puis des assassinats que nous n’avons pu empêcher à temps. Récemment, il y eu des inculpations truquées… notre ennemi est habile.

— L’Honorée Pedure serait-elle donc un génie au-delà de notre compréhension ? s’enquit le directeur de la Défense aérienne, dégoulinant de sarcasme.

Thract resta sans voix un instant. Ses mains nourricières se tordaient dans tous les sens. Lors des réunions précédentes, c’était le moment où il contre-attaquait avec des statistiques et d’élégants nouveaux projets. À présent… on eût dit que quelque chose se brisait en lui. Belga Underville avait considéré Thract comme un ennemi bureaucratique depuis le jour où les enfants Smith avaient été kidnappés, mais elle était maintenant gênée pour lui. Lorsque Thract parla enfin, sa voix était un piaulement angoissé.