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— Non ! Vous ne savez donc pas que j’ai… envoyé des amis à la mort ; j’en ai perdu d’autres parce que je n’avais plus confiance en eux. Longtemps, j’ai cru qu’il devait y avoir un agent de la Parenté à un échelon élevé dans ma propre organisation. J’ai partagé des informations critiques avec de moins en moins de gens. Même pas avec ma supérieure hiérarchique, dit-il en désignant le général Smith d’un hochement de tête. À la fin, on nous a dérobé des secrets que j’étais le seul à connaître et que je communiquais avec mon propre matériel de chiffrage.

Le silence se fit tandis que les implications évidentes de ces aveux s’imposaient dans l’esprit de ses auditeurs. Thract sembla se replier sur lui-même, comme s’il lui était égal que les autres le prennent pour le Traître Absolu. C’est d’un ton plus calme qu’il poursuivit :

— Je suis allé aussi loin qu’un individu paranoïaque peut aller quand il veut chercher partout. J’ai varié les cheminements télématiques, j’ai varié les procédures de chiffrage. J’ai utilisé des camouflages différentiels… Et je peux vous dire que notre ennemi est un peu plus qu’une simple « Honorée Pedure ». Inexplicablement, toute notre science raffinée se retourne contre nous.

— C’est absurde ! dit la Défense aérienne. Mon ministère utilise plus que tout le monde ce que vous qualifiez de « science raffinée », et nous sommes totalement satisfaits des résultats. Dans des mains compétentes, ordinateurs, réseaux et reconnaissance satellitaire sont des instruments d’une puissance incroyable. À preuve l’analyse en profondeur que nous avons effectuée sur les objets non identifiés repérés au radar. Certes, les réseaux peuvent être manipulés, mais nous occupons la première place mondiale dans ces technologies. Et, même s’il y a des défaillances dans d’autres domaines, nous disposons d’une technologie de chiffrage d’une robustesse à toute épreuve… Ou alors, prétendez-vous que l’ennemi puisse percer nos codes ?

Thract oscilla légèrement depuis sa place à côté de l’estrade.

— Non, c’était ma toute première grande inquiétude, mais nous avions pénétré jusqu’au cœur des services du Chiffre de la Parenté… et nous y étions en sécurité jusqu’à une date très récente. S’il y a une chose dont je suis convaincu, c’est bien qu’ils ne peuvent percer nos procédures de chiffrage. Vous ne comprenez pas, hein ? lança-t-il en désignant son auditoire d’un geste circulaire. Je vous dis qu’il y a comme une force à l’œuvre dans nos réseaux, quelque chose qui s’oppose activement à nous. Nous avons beau faire, l’Autre en sait plus et Il soutient nos ennemis…

C’était une scène pathétique, une sorte d’abject effondrement. Il ne restait plus à Thract que des fantômes pour expliquer ses échecs. Peut-être que Pedure était intelligente au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer ; plus vraisemblablement, Thract était un Traître Absolu.

Sans quitter Thract des yeux, Belga se concentra sur sa supérieure. Le général Smith jouissait de la pleine confiance du Roi. Nul doute qu’elle puisse survivre à la chute de Thract rien qu’en le désavouant énergiquement.

Smith fit signe au sergent en faction à la porte.

— Raccompagnez le colonel Thract au bureau de l’état-major. Colonel, je viendrai m’entretenir avec vous dans quelques minutes. Considérez-vous comme toujours en service.

Le message sembla mettre une seconde pour traverser la frousse de Thract. Il était bon pour la sortie, mais, apparemment, ni pour être placé en état d’arrestation ni pour être immédiatement interrogé par des sous-fifres.

— À vos ordres.

Il se redressa dans un semblant de vivacité et sortit derrière le sergent.

Un grand calme se fit dans la salle après le départ de Thract. Belga pouvait constater que tout le monde s’observait avec des arrière-pensées féroces.

— Mes amis, dit finalement le général Smith, le Colonel a raison sur un point. Il ne fait pas de doute que nous sommes infestés d’agents de la Parenté parfaitement camouflés. Mais leur action s’exerce efficacement sur un éventail bien trop large de nos services. Il y a donc une lacune essentielle dans notre dispositif de sécurité, et pourtant, nous ne l’avons pas encore identifiée… Vous saisissez maintenant l’utilité du groupe Lighthill.

Quarante-sept

Il y avait quarante ans que l’étoile MarcheArrêt s’était ranimée. Ritser Brughel n’était pas resté en Veille tout ce temps, mais l’Exil avait tout de même consumé des années de sa vie. La fin approchait. L’attente qui se comptait en années n’était plus qu’une question de jours. Dans moins de quatre jours, il serait vice-monarque d’une planète.

Penché sur l’épaule du zombie qui guidait le module de débarquement télécommandé, Brughel regardait tranquillement les images retransmises par le minuscule engin. Quelques secondes plus tôt, le module était sorti de sa phase de freinage et avait déployé des ailes d’un mètre d’envergure. À quarante kilomètres d’altitude, ils avaient déjà secrètement survolé une clarté sans solution de continuité, innervée par un réseau lumineux qui se ramifiait dans une infinie récursivité. « Greater Kingston South » était le nom zombie de cette ville. Une mégapole arachnienne. Ce monde avait beau être froid et en passe de geler, ce n’était pas un désert. Les mégapoles des Araignées avaient presque l’air de cités frenkiennes. C’était là une vraie civilisation, le couronnement de quarante ans de progrès soutenu. La technologie de base était encore en dessous des plus hauts niveaux atteints par l’Humanité, mais, avec l’appui des zombies, ce retard pourrait être rattrapé dans une ou deux décennies. Pendant quarante ans, j’ai végété avec quelques dizaines d’individus sous mes ordres, et je vais bientôt en avoir des dizaines de millions. Et ultérieurement… si le monde des Araignées détenait vraiment les secrets d’une Technologie supérieure… Tomas et lui retourneraient un jour ou l’autre sur Balacrea et Frenk pour y régner, là aussi.

En l’espace de trois secondes, l’image se fragmenta en une douzaine de copies, puis en une douzaine de douzaines de copies.

— C’est quoi, ça ?

— Le module vient de se scinder en sous-unités, Subrécargue.

L’explication de Reynolt était d’une froideur presque méprisante.

— Presque deux cents mobiles… Nous allons bien en placer quelques-uns à Pleinsud.

Elle se détourna de l’affichage et le regarda presque dans les yeux.

— Bizarre, ce soudain accès de curiosité pour les détails opérationnels, Subrécargue.

Il sentit palpiter une étincelle de colère ancienne devant cette impudence, mais c’était un phénomène bénin, qui n’affectait pas sa respiration, et encore moins sa vision. Il se contenta de hausser légèrement les épaules. Maintenant, je peux m’entendre même avec Reynolt. Peut-être que Tomas Nau avait raison : peut-être qu’il était en train de mûrir.

— Je veux voir à quoi ressemblent vraiment ces créatures.

Histoire de connaître ses esclaves. Ils allaient bientôt griller les Araignées par centaines de millions, mais il fallait bien qu’il apprenne tant bien que mal à tolérer celles qui seraient épargnées.

Les mini-espions descendirent silencieusement sur une trajectoire incurvée au-dessus d’un détroit gelé. Certains tournaient encore sur eux-mêmes, et Ritser entrevit des nuages, la partie supérieure d’un… ouragan ? Deux cents capsules grosses comme le pouce. Elles se posèrent toutes dans les deux mille secondes suivantes – beaucoup dans la neige profonde, d’autres sur du désert rocheux. Mais il y eut aussi des succès.