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— Taisez-vous ! cria-t-elle. Taisez-vous !

Et les criailleries cessèrent. Elle regarda vaguement dans la direction d’Ezr.

— Numéro Quatre, quand allons-nous sur Arachnia ?

Numéro Quatre ?

— Euh… Bientôt. Trixia. Mais pas cette fois-ci, pas à bord de la Main invisible.

— Pourquoi pas ? Je n’aime pas le décalage temporel !

— Pour l’instant, le Subrécargue veut vous avoir sous la main.

En fait, c’était la version officielle : seules des fonctions réseau primaires étaient nécessaires en orbite basse. Pham et Ezr connaissaient une explication plus sinistre. Nau voulait aussi peu de monde que possible à bord de la Main lorsqu’elle accomplirait sa véritable mission.

— Tu iras là-bas quand il n’y aura plus de danger, Trixia. Je te le promets.

Il tendit la main vers elle. Trixia n’eut pas de sursaut de recul, mais elle s’accrocha à un arrêtoir mural, résistant à toute tentative pour la ramener dans sa cellule. Ezr regarda Rita Liao par-dessus son épaule.

— Qu’est-ce qu’on devrait faire ?

— Une seconde !

Elle se toucha l’oreille et écouta.

— Phuong et Silipan vont venir ici les remettre dans leurs trous dès qu’ils auront installé les autres sur la Main.

Ça pouvait prendre un bout de temps ! En attendant, il y aurait vingt traducteurs en liberté dans le labyrinthe des Combles. Il tapota doucement le bras de Trixia.

— On va revenir dans ta chambre, Trixia. Euh… écoute, plus tu vas rester dehors, plus tu vas perdre le contact. Je parie que tu as laissé tes ATH chez toi. Tu pourrais t’en servir pour poser tes questions au réseau de l’escadre.

Trixia avait probablement abandonné ses ATH parce qu’ils étaient déconnectés. Mais, à ce stade, Ezr essayait seulement de dire des banalités raisonnables.

Indécise, Trixia rebondit de butoir en butoir. Soudain, elle le bouscula et s’envola vers le couloir descendant qui menait à sa logette. Ezr la suivit.

La cellule réagit à la présence de Trixia et l’éclairage retrouva sa faible intensité habituelle. Trixia chaussa ses ATH ; Ezr se synchronisa. Elle n’était pas complètement déconnectée. Ezr vit les images et les bribes de texte habituelles : ce n’était pas encore la planète en direct, mais presque. Le regard de Trixia sautait d’un affichage à l’autre. Ses doigts martelaient le vieux clavier, mais elle semblait avoir oublié de contacter le service d’information de l’escadre. La seule vue de son plan de travail l’avait ramenée au centre de sa Focalisation. Des fenêtres de texte s’ouvrirent. Un flot de glyphes absurdes les traversait si vite que ce devait être la représentation du langage parlé araignée, une émission de radio ou – vu la situation politique – une interception de communications militaires.

— Je ne supporte pas le décalage. C’est injuste.

Long silence. Elle ouvrit un nouvel écran de texte. Les images qui l’accompagnaient papillotaient dans une série de fluctuations colorées : un des formats vidéo des Araignées. Ça n’avait toujours pas l’air d’être du direct, mais Ezr reconnut l’indicatif pour l’avoir vu assez souvent dans l’alvéole de Trixia. Il s’agissait du bulletin d’informations d’une chaîne privée que Trixia traduisait quotidiennement.

— Ils se trompent. C’est le général Smith qui ira à Pleinsud et non le Roi.

Elle était toujours tendue, mais c’était sa concentration habituelle de Focalisée.

Quelques secondes plus tard, Rita Liao passa la tête par l’embrasure. Ezr se retourna, vit sur son visage une expression de tranquille stupéfaction.

— Tu es un vrai magicien, Ezr. Comment tu as fait pour calmer tout le monde ?

— Je… je crois que Trixia a confiance en moi, c’est tout.

Un espoir secret énoncé sous la forme d’une timide hypothèse.

Rita ressortit la tête pour inspecter le couloir dans les deux sens.

— Ouais. Mais tu sais quoi, après que tu l’as remise au travail ? Les autres on réintégré leurs chambres tout aussi calmement. Ces traducteurs sont plus faciles à contrôler que les zombies militaires. On n’a qu’à convaincre leur numéro un, et tous les autres s’alignent sur lui, dit-elle en souriant. Mais ça, on l’a déjà vu, avec les traducteurs qui contrôlent les zombies des couches alternées. Ce sont les composants essentiels, pas vrai ?

— Trixia est une personne !

Tous les Focalisés sont des humains, connasse !

— Je sais, Ezr. Excuse-moi. Mais si, je comprends… Trixia et les autres traducteurs semblent effectivement être différents. Il faut être drôlement calé pour traduire les langues naturelles. De tous les… de tous les Focalisés, ce sont les traducteurs qui semblent se rapprocher le plus des personnes véritables… Écoute, je vais faire un dernier contrôle, et puis je confirme à Bil Phuong que nous avons la situation en main.

— D’accord, répondit Ezr d’une voix lugubre.

Rita sortit de l’alvéole à reculons. La porte se referma. Au bout d’un moment, Ezr entendit d’autres portes claquer dans le couloir.

Penchée sur son clavier, Trixia était indifférente aux opinions qui venaient d’être exprimées. Ezr l’observa quelques secondes en songeant à l’avenir qu’elle pourrait avoir, en se demandant comment il pourrait finalement la sauver. Même au bout des quarante ans qu’avait duré la Planque en L1, les traducteurs ne pourraient simuler les communications vocales en temps réel avec les Araignées. Tomas Nau ne gagnerait rien à amener ses traducteurs sur le sol d’Arachnia. Du moins, pas encore. Une fois la planète conquise, Trixia et les autres seraient la voix du conquérant.

Mais cela n’aura pas lieu. Le plan de Pham et d’Ezr se déroulait comme prévu. Sauf pour quelques vieux systèmes, quelques dispositifs de sauvegarde électromécaniques, les localiseurs Qeng Ho pourraient contrôler totalement la situation. Pham et Ezr allaient finalement passer au sabotage pur et simple – au premier chef, couper les communications radio sur Hammerfest. L’interrupteur, presque entièrement mécanique, était imperméable à toute subtilité. Mais Pham avait encore un autre usage pour les localiseurs. L’équivalent du sable dans les rouages. Ces dernières Msec, ils avaient accumulé des couches de granules autour dudit interrupteur et installé des dispositifs de sabotage similaires dans d’autres systèmes anciens et à bord de la Main invisible. Les cent dernières secondes allaient comporter des risques flagrants. C’était là un stratagème qu’ils ne pourraient essayer qu’une seule fois, lorsque Nau et ses nervis seraient le plus occupés par leur propre prise de pouvoir.

Si le sabotage marchait – quand il marcherait – les localiseurs Qeng Ho feraient la loi. Et notre heure viendra.

Quarante-neuf

Hrunkner Unnerby passait beaucoup de temps à la Commanderie des Terres ; essentiellement parce que c’était le siège de ses entreprises de travaux publics. Dix fois par an, peut-être, il visitait les centres névralgiques des Renseignements de l’Accord. Il s’entretenait quotidiennement avec le général Smith par courrier électronique ; il la voyait lors des réunions de l’état-major. Si leur rencontre à Calorica – il y avait déjà cinq ans de cela – ne s’était pas déroulée dans une ambiance cordiale, elle leur avait au moins permis de partager une sincère anxiété. Mais depuis dix-sept ans… depuis la mort de Gokna… il n’avait pas remis les pieds dans le bureau personnel du général Smith.