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— Monsieur ! Docteur Nethering !

La voix de Shepry était assourdie par son réchauffeur d’air. Le gamin haletait, perdant ainsi les quelques secondes que sa montée précipitée lui avait fait éventuellement gagner.

— Gros problème. J’ai perdu la liaison radio avec North Point. Y a rien que de la friture sur toutes les fréquences.

North Point était l’autre extrémité de l’interféromètre, à cinq milles de là. Nethering pouvait faire une croix sur le programme de la nuit.

— Tu as appelé Sam sur la liaison terrestre ? Qu’est-ce que…

Il se tut. La signification des paroles de Shepry s’imposa lentement à son esprit. Rien que de la friture sur toutes les fréquences. Derrière lui, l’étrange « crête » aurorale avançait imperturbablement vers le sud. L’irritation se transforma en une peur sourde. Obret Nethering savait qu’une guerre mondiale était imminente. Tout le monde le savait. La civilisation pourrait être détruite en quelques heures si les bombes commençaient à tomber. Même des lieux écartés comme Paradise Island ne seraient peut-être pas épargnés. Et cette lumière ? Elle était en train de s’éteindre. Le point brillant disparut. Une explosion nucléaire dans la magnétosphère pourrait, à la rigueur, ressembler à une aurore boréale, mais sûrement pas avec une forme aussi asymétrique, et pas avec une durée d’apparition aussi longue. Hmmm. Ou alors, peut-être que des physiciens astucieux avaient mitonné un truc plus subtil qu’une vulgaire bombe atomique. La curiosité et l’horreur se firent la guérilla dans la tête de Nethering.

Il se retourna et tira Shepry vers l’escalier. Moins vite. Combien de fois l’avait-il répété à Shepry ?

— Un pas à la fois, Shepry, et regarde si ton câble d’alimentation ne se coince pas. La batterie de radars est activée, ce soir ?

— Euh… oui. Mais on va avoir que du bruit sur l’enregistrement.

Les lourdes bottes de Shepry sonnaient sur les marches juste derrière lui.

— Peut-être.

Envoyer des impulsions à micro-ondes sur les sillages ionisés était l’un des projets secondaires dont Nethering et Tripper avaient la charge. Presque tous les échos détectés pouvaient être attribués à des fragments de satellites en perdition, mais, environ une fois par an, ils repéraient quelque chose qu’ils ne pouvaient expliquer, un mystère du Grand Vide. Nethering avait presque réussi à décrocher un article à ce sujet dans une revue scientifique. Mais les vieux birbes du comité de lecture – l’incontournable « Tom Kisscash » – avaient soumis ses données à leurs propres programmes d’évaluation et avaient réfuté ses conclusions. Cette nuit, les radars pourraient se révéler utiles d’une autre manière. Et si l’extrémité pointue de l’insolite apparition était un objet physique ?

— Shepry, nous sommes toujours connectés au réseau ?

Leur liaison à haut débit était un câble à fibres optiques tendu sur la glace de l’océan ; son intention première était d’utiliser les super-ordinateurs continentaux pour guider les observations de cette nuit. Maintenant…

— Je vérifie.

— Nous allons peut-être avoir quelque chose d’intéressant à montrer à Princeton, dit Nethering en riant.

D’une pression sur une touche, il enclencha l’enregistrement radar et commença le balayage. Était-ce la Nature ou la Guerre qui leur parlait ce soir ? Quoi qu’il en soit, le message était important.

Cinquante

Ces temps-ci, voler donnait à Hrunkner Unnerby un sacré coup de vieux, lui qui avait connu l’époque où des moteurs à pistons animaient des hélices en bois et où les ailes étaient de la toile tendue sur un cadre.

Et l’aéronef de Victoria Smith n’était pas un quelconque jet privé : à près de cent mille pieds d’altitude, ils fonçaient vers le sud à trois fois la vitesse du son. Les deux moteurs étaient presque silencieux ; on n’entendait qu’un bourdonnement aigu qui semblait se vriller dans vos entrailles. Dehors, les clartés stellaire et solaire combinées réussissaient tout juste à donner des couleurs aux nuages en dessous d’eux. La planète était enveloppée de couches de nuages. Vus de cette altitude, même les plus hauts d’entre eux semblaient aplatis et ramassés sur eux-mêmes. De temps en temps, des canyons d’air libre s’ouvraient, et on entrevoyait de la glace et de la neige. Dans quelques minutes, ils atteindraient le détroit du Sud et quitteraient l’espace aérien de l’Accord. Le navigateur les informa qu’une escadre de chasseurs de l’Accord les accompagnait et qu’elle les escorterait jusqu’à l’aérodrome de l’ambassade à Pleinsud. Pour toute preuve de cette affirmation, Hrunkner n’apercevait qu’un reflet métallique de temps à autre dans le ciel au-dessus d’eux. Il soupira. Comme tout ce qui était important de nos jours, ils allaient trop vite et trop loin pour être vus par de simples mortels.

L’aéronef personnel du général Smith était en réalité un bombardier de reconnaissance supersonique, le genre d’engin qui devenait inutile avec l’arrivée des satellites.

— La Défense aérienne nous en a pratiquement fait cadeau, avait dit Smith lorsqu’ils étaient montés à bord. Quand l’air commencera à se condenser en neige, il sera bon à mettre à la ferraille.

Il y aurait alors une industrie des transports entièrement nouvelle. Des véhicules balistiques, peut-être ? Des flotteurs antigravitationnels ? Peut-être que ça n’avait pas d’importance. Si leur mission actuelle échouait, il risquait de pas y avoir d’industrie du tout, rien qu’un interminable combat au milieu des ruines.

Des ordinateurs et du matériel de télécommunications s’entassaient dans des casiers au centre du fuselage. Unnerby avait vu les dômes des lasers et des micro-ondes en montant dans l’aéronef. Les techniciens de vol étaient connectés au réseau militaire de l’Accord aussi confortablement que s’ils étaient restés à la Commanderie. Il n’y avait pas de stewards à bord. Unnerby et le général Smith étaient sanglés dans d’étroits perchoirs qui semblaient terriblement durs après les deux premières heures. Mais ils étaient probablement plus à l’aise que les combattants suspendus aux filets à l’arrière de l’aéronef. Une équipe de dix gardes du corps ; c’était tout ce que la générale avait en matière de protection rapprochée.

Victory ne disait rien, absorbée par son travail. Son assistant, Tim Downing, avait transporté à bord tout son matériel informatique : de lourds coffrets difficiles à manipuler qui devaient être très performants, très bien isolés, ou alors terriblement désuets. Depuis trois heures, elle était entourée d’une demi-douzaine d’écrans, dont la lumière étincelait faiblement dans tous ses yeux. Hrunkner se demanda ce qu’elle voyait. Ses réseaux militaires associés à tous les réseaux publics devaient lui procurer une vision quasi divine.