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— Alors, comme ça, vous vous imaginez qu’il dispose peut-être d’informations supplémentaires, d’éléments qui se révéleraient utiles même après ce qui s’est passé ces trois dernières années ?

Sammy refoula une bouffée de violence. Encore un peu de patience : qu’est-ce que ça lui coûterait de plus après des siècles d’attente ?

— Oui, dit-il avec un bienveillant à-propos, ce serait une bonne chose de voir le problème sous tous les angles, pas vrai ?

— Exact. Vous ne vous êtes pas trompé d’adresse. Je connais des trucs sur la ville que les Forestiers laissent totalement de côté. Je veux vraiment vous être utile.

Sur l’écran se déroulait une quelconque procédure de recherche de données, donc ce n’était pas complètement du temps perdu.

— Ces messages radio d’outre-espace vont changer notre monde, et je veux que mes enfants…

Le privé fronça les sourcils.

— Eh ! Ce Bidwel, il vous a filé entre les doigts, commandant. Regardez : il est mort depuis dix ans.

Sammy ne dit rien, mais son masque d’affabilité avait dû tomber : le petit bonhomme tressaillit en levant les yeux sur lui.

— Je… je suis désolé, commandant. Peut-être qu’il a laissé quelques effets personnels, un testament.

Impossible. Pas quand je suis si près du but. Mais c’était une éventualité dont Sammy était conscient depuis toujours. Un lieu commun dans un univers de durées de vie minuscules et de distances interstellaires.

— Je dirais que nous nous intéressons à toutes les données que l’homme aurait éventuellement laissées.

Ces paroles sortirent platement de sa bouche. Au moins, nous avons clôturé la recherche – voilà ce qu’aurait conclu quelque obséquieux analyste des services de renseignements.

Le privé tapota ses instruments en marmonnant. Les Eaux et Forêts l’avaient à contrecœur identifié comme l’un des meilleurs éléments de la classe urbaine, si bien distribué qu’ils ne pouvaient carrément pas lui confisquer son matériel pour l’absorber. Il essayait sincèrement de se rendre utile…

— Il se peut qu’il y ait un testament, commandant, mais il n’est pas sur le réseau de Grandville.

— Dans une autre cité, alors ?

Le fait que les Eaux et Forêts aient cloisonné les réseaux urbains était un très mauvais présage pour l’avenir de Triland.

— Pas exactement. Voyez-vous, Ducanh est mort dans l’un des Cimetières pour indigents de Saint-Texup, celui de Cendrebasse. Apparemment, les moines ont conservé ses effets personnels. Je suis sûr qu’ils les abandonneraient en échange d’un don raisonnable.

Il se retourna vers les gardes forestiers et son expression se durcit. Peut-être avait-il reconnu le plus vieux, le commissaire à la Sécurité urbaine. Nul doute qu’ils pourraient passer les moines à tabac sans qu’il y ait besoin du moindre don.

Sammy se leva et remercia le détective privé ; ses paroles sonnaient creux, même à ses propres oreilles. Alors qu’il se dirigeait vers la sortie pour rejoindre son escorte, l’enquêteur contourna brusquement son bureau et le suivit. Sammy se rendit compte avec un embarras soudain que l’homme n’avait pas été rémunéré. Il se retourna, plein d’une subite affection pour cet individu. Il admirait quelqu’un qui exigeait son dû en présence de flics hostiles.

— Tenez, commença Sammy, c’est ce que peux…

Mais le type leva les mains.

— Non, ce n’est pas nécessaire. Mais il y a un service que j’aimerais vous demander. Voyez-vous, je suis père de famille nombreuse, et c’est les gosses les plus intelligents que vous ayez jamais vus. Cette expédition commune ne quittera pas Triland avant cinq ou dix ans, pas vrai ? Est-ce que pouvez vous arranger pour que mes gosses, ou même un seul…

Sammy inclina la tête. Des faveurs associées au succès d’une mission revenaient très cher.

— Je suis désolé, monsieur, dit-il aussi doucement qu’il le put. Vos enfants devront entrer en compétition avec tous les autres. Faites-leur faire de bonnes études à l’université. Faites-leur cibler les spécialités annoncées. Voilà ce qui leur donnera les meilleures chances.

— Oui, commandant ! C’est exactement le service que je vous demande. Pourriez-vous faire en sorte…

Il ravala sa salive et fixa Sammy d’un regard farouche, ignorant ceux qui l’entouraient.

— Pourriez-vous faire en sorte qu’on leur permette d’entreprendre des études universitaires ?

— Certainement.

Graisser un tantinet la patte du comité des admissions, ça ne gênait pas Sammy du tout. Puis il comprit ce que l’autre voulait vraiment lui dire.

— Monsieur, comptez sur moi.

— Merci. Merci !

Il posa sa carte de visite dans la main de Sammy.

— Voici mon nom et mes données perso. J’actualiserai. Ne m’oubliez pas.

— Mais non, monsieur, euh… Bonsol, je ne vous oublierai pas.

C’était un arrangement Qeng Ho classique.

La métropole s’enfonça sous l’aéronef des Eaux et Forêts. Grandville n’avait qu’un demi-million d’habitants, mais ils s’entassaient dans un enchevêtrement de taudis et l’air au-dessus d’eux tremblait dans la chaleur estivale. Solitudes vierges terraformées, les marches forestières des Premiers Colons s’étendaient à des milliers de kilomètres à la ronde.

Les moteurs auxiliaires les propulsèrent très haut dans l’air pur, bleu indigo, sur une trajectoire qui s’incurvait vers le sud. Sammy ignora le responsable de la « Sécurité urbaine » de Triland assis juste à côté de lui ; à cet instant précis, il n’avait ni l’envie ni le besoin de se montrer diplomate. Il se connecta au commandant en second de l’escadre. L’autorapport de Kira Lisolet traversa son champ de vision. Sum Dotran avait accepté le changement de programme : toutes les unités de l’escadre mettraient le cap sur l’étoile MarcheArrêt.

— Sammy ! Comment ça s’est passé ?

La voix de Kira trancha par-dessus le rapport automatique. Kira Lisolet était la seule personne de l’escadre qui connaisse le but véritable de sa mission, la chasse à l’Homme.

— Je…

Il nous a échappé, Kira. Mais Sammy ne pouvait le dire tout haut.

— Vois par toi-même, Kira. Les deux mille dernières secondes de mon PDV. Maintenant, je rentre à Cendrebasse… une dernière affaire à régler.

Une pause. Lisolet repérait en recherche accélérée la séquence indexée de son point de vue. Au bout d’un moment, il l’entendit jurer toute seule.

— D’ac… mais arrange-toi pour la régler, cette dernière affaire, Sammy. Il y a déjà eu des occasions où nous étions sûrs d’avoir perdu sa trace.

— Jamais comme ça, Kira.

— Arrange-toi pour en avoir la certitude absolue. Vu ?

La voix était tranchante comme l’acier. Sa famille possédait une part importante de l’escadre. Elle était elle-même propriétaire d’un vaisseau. En fait, elle était le seul armateur opérationnel dans cette mission. Dans la plupart des cas, ça ne posait pas de problèmes. Kira Pen Lisolet était une personne raisonnable sous tous rapports, ou presque. C’était là l’une des exceptions.

— Je m’en assurerai, Kira. Tu le sais.

Sammy prit soudain conscience de la présence à ses côtés du responsable de la Sécurité sur Triland – et il se souvint de ce qu’il avait accidentellement découvert quelques instants plus tôt.

— Comment ça se passe, là-haut ?

Kira réagit sur un ton léger, un peu comme pour s’excuser.

— Super bien. J’ai les décharges des chantiers spatiaux. Les contrats avec les satellites industriels et les astéroïdes miniers ont l’air en béton. Nous poursuivons la planification détaillée. Je crois tout de même que nous pourrons avoir le matériel et des équipes spécialisées dans trois cents Msec. Tu sais à quel point les Trilandiens tiennent à leur pourcentage dans cette mission.