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L’afficheur d’Unnerby montrait les derniers rapports sur les constructions souterraines de Pleinsud. Il y avait là quelques mensonges… mais il connaissait assez bien les plans originaux pour deviner la vérité. Pour la énième fois, il força son attention à revenir sur sa lecture. Bizarre : quand il était jeune, au temps de la Grande Guerre, il était capable de se concentrer exactement comme la générale maintenant. Mais aujourd’hui, son esprit ne cessait de voleter aux avant-postes… d’une situation catastrophique qui lui semblait inévitable.

Ils étaient à présent au-dessus du Détroit ; vue de cette altitude, la banquise océanique rompue était une mosaïque complexe de craquelures.

— Ça alors ! cria un des techniciens des communications. Vous avez vu !

Hrunkner n’avait rien vu du tout.

— Oui ! Mais je suis encore en communication. Vérifiez vous-même.

— Oui, monsieur.

Sur leurs perchoirs devant Unnerby, les techniciens, penchés sur leurs afficheurs, pianotaient sans relâche. Des lumières clignotaient autour d’eux, mais Unnerby ne pouvait lire les textes qui défilaient sur leurs écrans, et le format d’affichage ne ressemblait à rien qui lui soit familier.

Derrière lui, il constata que Victory Smith s’était levée et regardait la scène attentivement. Son matériel n’était donc pas branché sur celui des techniciens. Voilà pour la « vision quasi divine » qu’il avait imaginée.

Au bout d’un moment, elle dressa une main à l’attention d’un des techniciens.

— Apparemment, quelqu’un vient de passer au nucléaire, madame, lui répondit-il.

— Hmm, dit Smith.

L’afficheur d’Unnerby n’avait même pas clignoté.

— C’était très loin, probablement au-dessus de la mer du Nord. Attendez, je vais vous ouvrir une fenêtre secondaire.

— Et pour le sergent Unnerby aussi.

Le rapport sur Pleinsud que lisait Hrunkner fut soudain remplacé par une carte de la côte du Nord. Des contours colorés se répandaient de manière concentrique autour d’un point situé à huit cents milles au nord-est de Paradise Island. Oui, le vieux dépôt de ravitaillement tiefien, morceau inutile de plate-forme continentale, sauf pour qui voulait lancer des forces sur la glace. C’était vraiment très loin, presque aux antipodes de l’endroit où ils se trouvaient maintenant.

— Une seule explosion ? demanda Smith.

— Oui, à très haute altitude. Une attaque à impulsion électromagnétique… mais qui ne dépassait pas une mégatonne. Nous étoffons cette carte avec les données satellitaires et l’analyse au sol depuis la côte Nord et Princeton.

Les légendes se dispersèrent sur l’image, pointeurs bibliographiques indiquant les sites du réseau qui contribuaient à l’analyse. Ah ! Il y avait même un témoignage oculaire émanant de Paradise Island – un observatoire universitaire, à en croire le code.

— Qu’avons-nous perdu ?

— Pas de pertes militaires, madame. Nous avons perdu le contact avec deux satellites commerciaux, mais c’est peut-être momentané. C’était à peine un coup de griffe.

Quoi, alors ? Un essai ? Un avertissement ? Médusé, Unnerby contempla l’afficheur.

Jau Xin s’était trouvé là moins d’un an auparavant, mais c’était sur une chaloupe avec six hommes à bord, et cet aller et retour furtif s’était terminé dans la journée. Il gérait aujourd’hui le pilotage de la Main invisible, vaisseau stellaire d’un million de tonnes.

C’était la véritable arrivée des conquérants – même si l’on avait fait croire à ces conquérants qu’ils étaient des sauveteurs. Tout près de Jau, Ritser Brughel occupait ce qui avait jadis été la place d’un commandant de vaisseau Fourgueur. Le Subrécargue cracha une liste interminable d’ordres triviaux… à croire qu’il essayait de gérer les pilotes lui-même. Ils étaient arrivés au-dessus du pôle nord d’Arachnia en frôlant l’atmosphère et avaient décéléré en une seule fois dans une vigoureuse rétrocombustion qui avait duré presque mille secondes à plus d’un g. La rétro s’était effectuée au-dessus de l’océan, loin des centres de population araignées, mais elle avait dû être énormément brillante pour les rares individus qui l’auraient observée. Jau pouvait voir la lueur réfléchie dans la glace et la neige en dessous de lui.

Brughel regarda défiler le désert gelé, les traits crispés par une intense émotion. Le dégoût, à voir tant d’immensités apparemment sans valeur ? Le triomphe, à la pensée d’arriver sur ce monde dont il allait être le vice-monarque ? Les deux, probablement. Et là, sur la passerelle, le sentiment de triomphe comme la violence de ses intentions perçaient dans le ton de sa voix, parfois même dans son vocabulaire. Tomas Nau était peut-être obligé de continuer à jouer la comédie là-bas en L1, mais ici, Ritser Brughel ne se gênait plus. Jau avait vu les coursives qui menaient aux appartements de Brughel. Les parois étaient un incessant ballet de volutes roses, à la fois sensuelles et lourdement menaçantes. On ne tenait pas de réunions de travail au bout de ces couloirs. Quand ils avaient quitté L1, il avait entendu Brughel se vanter devant le caporal Anlang de la gâterie très spéciale qu’il sortirait du frigo pour célébrer l’imminente victoire. Non, n’y pense pas. Tu en sais déjà trop.

Dans l’oreille de Xin, les voix de ses pilotes lui confirmaient ce qu’il voyait déjà sur son afficheur de poursuite. Il leva les yeux vers Brughel et s’exprima avec la formalité que l’autre semblait tant apprécier.

— La rétrocombustion est terminée, monsieur. Nous sommes en orbite polaire, altitude cent cinquante kilomètres.

Plus bas que ça, il leur faudrait des raquettes.

— Nous étions visibles à des milliers de kilomètres à la ronde, monsieur.

Xin accompagna ses paroles d’un regard préoccupé. Il jouait les idiots naïfs depuis qu’ils avaient quitté L1. Un jeu dangereux, mais qui, jusque-là, lui avait donné une certaine marge de manœuvre. Et peut-être, oui, peut-être que je trouverai le moyen d’éviter un génocide.

Brughel lui accorda un sourire plein d’une hautaine suffisance.

— Bien sûr qu’on nous a vus, monsieur Xin. Le truc, c’est de se laisser voir… et ensuite de trafiquer la manière dont l’information est interprétée.

Il se commuta sur la fréquence du compartiment zombies de la Main invisible.

— Monsieur Phuong ! Avez-vous camouflé notre arrivée ?

La voix de Bil Phuong leur parvint de la soute à zombies.

Une vraie ménagerie la dernière fois que Jau y était passé… mais Phuong avait l’air d’assurer.

— Nous contrôlons la situation, Subrécargue. J’ai trois équipes qui synthétisent les rapports satellitaires. Ils ont l’air encourageants, d’après ce qu’on me dit en L1.

Ce devait être l’équipe de Rita qui parlait avec Bil. Rita était censée terminer son service d’un moment à l’autre, pour ce que Nau présenterait probablement comme une pause avant le gros travail. Jau savait depuis un jour que cette « accalmie » signalerait le début du massacre.

— Je dois vous avertir, monsieur, poursuivit Phuong. Les Araignées vont finalement comprendre de quoi il retourne. Notre camouflage ne tiendra pas plus d’une centaine de Ksec, sinon moins, s’il y a quelqu’un d’intelligent là-bas.

— Merci, monsieur Phuong, ça devrait largement suffire, dit Brughel avec un sourire mielleux à l’adresse de Jau.

Une partie de leur vue panoramique disparut alors, remplacée par Tomas Nau en L1. Le Premier Subrécargue était assis avec Ezr Vinh et Pham Trinli dans le pavillon au bord du Lac. Le soleil étincelait sur l’eau derrière eux. Ce devait être une conversation publique en duplex, visible par tous les Suiveurs et les Qeng Ho. Nau scruta la passerelle de la Main invisible et son regard sembla se poser sur Ritser Brughel.