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— Félicitations, Ritser. Vous êtes bien placé. Rita me dit que vous avez déjà réussi une synchronisation pointue avec les réseaux au sol. Nous avons quelques bonnes nouvelles de notre côté. Le chef des Renseignements de l’Accord se rend à Pleinsud. Son homologue de la Parenté y est déjà. À moins d’un accident, la paix devrait se maintenir quelque temps encore.

Nau semblait sincèrement optimiste. Le plus étonnant, c’était que Ritser Brughel était presque aussi onctueux.

— Oui, monsieur. Je prévois l’annonce officielle et la prise en main intégrale du réseau dans…

Il s’interrompit, feignant de consulter son programme.

— Dans cinquante et une Ksec.

Bien sûr, Nau ne répondit pas immédiatement. Le signal lancé depuis la Main devait sortir de la zone de silence radio pour viser un relais qui le transmettait en L1, quatre secondes-lumière plus loin. Une réponse éventuelle mettrait au moins cinq secondes en sens inverse.

Dix secondes pile plus tard, Nau sourit.

— Excellent. Nous allons harmoniser les cadences ici pour que tout le monde soit frais et dispos au moment où la charge de travail sera maximale. Bonne chance à vous tous, là-bas, Ritser. Nous comptons sur vous.

Il y eut un ou deux chassés-croisés supplémentaires dans leur danse hypocrite, puis Nau disparut. Brughel confirma que toutes les télécoms étaient locales.

— Les codes pour le feu vert devraient arriver d’une minute à l’autre, monsieur Phuong, dit Brughel avec un grand sourire. Encore vingt Ksec, et nous allons faire griller quelques Araignées.

Shepry Tripper resta bouche bée devant l’écran du radar.

— C’est… exactement comme vous avez dit. Quatre-vingt-huit minutes, et voilà que ça revient par le nord !

Shepry était assez calé en maths et travaillait pour Nethering depuis presque un an. Il comprenait certainement le principe de la mise en orbite des satellites. Mais, comme la plupart des gens, il avait encore du mal à accepter l’idée d’« une pierre qu’on lance et qui ne retombe jamais ». Le jeune faucheux serait enchanté lorsqu’un quelconque satellite de télécommunications se pointerait à l’horizon à l’heure et avec les coordonnées prédites par les mathématiques.

Ce que Nethering avait fait cette nuit-là était une prédiction d’une nature différente, et il était aussi intimidé que son assistant… et beaucoup plus inquiet. Ils n’avaient eu que deux ou trois échos radar déterminants sur l’extrémité pointue de l’aurore boréale. L’objet était en décélération bien qu’il soit encore très loin de l’atmosphère. Le site de la Défense aérienne de Princeton n’avait pas été impressionné par le rapport de Nethering. Il avait beau être en relation avec ces gens depuis longtemps, ils le traitèrent ce soir-là comme un correspondant anonyme : une réponse automatisée le remercia pour son information et l’assura qu’elle serait dûment examinée. Le réseau mondial bourdonnait de rumeurs évoquant une explosion nucléaire à haute altitude. Mais cet objet n’était pas une bombe. S’éloignant vers le sud, il avait donné l’impression d’être sur une orbite basse… et voilà qu’il réapparaissait au nord, exactement comme prévu.

— Vous croyez qu’on va le voir cette fois-ci, monsieur ? Il va passer juste au-dessus de nous.

— Je ne sais pas. Nous n’avons pas de télescope qui puisse pivoter assez vite pour le suivre à la verticale.

Nethering se dirigea vers l’escalier, puis ajouta :

— Nous pourrions peut-être utiliser le dix pouces.

— Ouais ! cria Shepry en s’élançant pour le contourner.

— Boutonne ton respirateur ! Et attention aux câbles d’alimentation !

Shepry avait disparu et montait les marches à grand fracas.

Mais le jeune faucheux avait raison ! Il s’écoulerait moins de deux minutes avant que l’objet passe directement au-dessus d’eux, puis encore deux avant qu’il disparaisse à nouveau. Hum. C’était peut-être même trop rapide pour le télescope. Nethering s’arrêta, s’empara d’un quadriscope à champ large posé sur son bureau. Puis il s’élança dans l’escalier derrière Tripper.

En haut, il y avait une légère brise, un froid mordant comme des mâchoires de tarants, même à travers ses jambières à chauffage électrique. Le soleil allait se lever dans environ soixante-dix minutes ; son éclat était faible, mais Nethering aurait perdu la plus grande partie de son temps d’observation. Pour une fois, cela n’avait pas d’importance. La muse des astronomes allait lui sourire dans cette froide nuit.

Il restait moins d’une minute avant que l’objet mystérieux arrive au zénith. Il devait déjà être bien au-dessus de l’horizon et se diriger plein sud vers eux. Nethering contourna le mur arrondi de la coupole principale et scruta l’horizon nord. Il entendit Shepry se colleter avec le dix pouces – le petit télescope qu’ils montraient aux touristes – dans le placard à accessoires devant lui. Normalement, il aurait dû aider l’enfant, mais il n’en avait vraiment pas le temps.

Des champs stellaires familiers s’étendaient jusqu’à l’horizon dans un ciel d’une limpidité cristalline. Pour Obret Nethering, c’était cette pureté qui faisait de la petite île un vrai paradis. Il devrait y avoir un éclat de soleil réfléchi qui montait lentement dans le ciel. Il serait très peu lumineux, vu le piètre éclat de l’astre mort. Nethering scruta le ciel de tous ses yeux, tentant de détecter la moindre lueur mobile… Rien. Peut-être aurait-il dû s’en tenir au radar, peut-être perdaient-ils en ce moment leur unique chance de récupérer des données vraiment valables. Shepry avait maintenant extrait le dix pouces du placard. Il se démenait pour le pointer.

— Monsieur, aidez-moi !

Ils s’étaient trompés tous les deux dans leurs prévisions. La muse des astronomes ne dédaignait pas l’obscurité. Obret se retourna vers Shepry, un peu honteux de l’avoir laissé à lui-même. Évidemment, il continuait de scruter le ciel – le secteur juste au voisinage du zénith où devrait se trouver le minuscule point lumineux. Une bouchée de noirceur clignota sur le flamboiement de l’Amas du Brigand. Une bouchée de noirceur. Quelque chose de gigantesque.

Oubliant toute dignité, Nethering tomba sur le flanc et porta le quadriscope à ses yeux secondaires. Mais, cette nuit, c’était tout ce qu’il lui restait… Il pivota lentement, suivant la trajectoire au jugé en espérant qu’il n’avait pas perdu sa cible.

— Monsieur ? C’est quoi ?

— Shepry, regarde en l’air… mais regarde !

Le faucheux ne dit rien pendant une seconde.

— Oh !

Obret Nethering ne l’écoutait pas. Il avait la chose dans le champ du quadriscope et se concentrait de toutes ses forces pour la suivre, la voir et s’en souvenir. Et ce qu’il vit était une absence de lumière, une silhouette qui fonçait en surimpression sur les champs de nuées stellaires. Son diamètre apparent atteignait presque un quart de degré. L’objet disparut dans les lacunes entre les amas d’étoiles… puis réapparut pendant une seconde. Nethering en percevait presque la forme : un cylindre trapu, braqué vers le bas, avec comme une manière de renflement au milieu du…

Fuselage.

Le reste de sa trajectoire jusqu’à l’horizon sud ne rencontrait que des champs stellaires sporadiques. Nethering tenta en vain de le suivre jusqu’au bout. S’il n’avait pas traversé l’Amas du Brigand, il ne l’aurait peut-être pas repéré du tout. Merci, muse des astronomes !