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« Alors, ne relâchez pas votre attention. Bientôt, nous allons être très occupés.

Cinquante-deux

Bizarrement, Rachner Thract conserva son grade de colonel, même si ses anciens collègues n’auraient même pas daigné lui confier le nettoyage de leurs latrines. Le général Smith l’avait traité avec mansuétude. On ne pouvait prouver que Thract était un traître, et elle n’était apparemment pas disposée à le soumettre à des techniques d’interrogatoire poussées. Le colonel Rachner Thract, ex-membre du service qui n’a pas de nom, se retrouva avec une solde et une indemnité journalière dignes d’un service à temps complet… mais avec absolument rien à faire.

Il s’était écoulé quatre jours depuis cette terrible réunion à la Commanderie des Terres, mais Thract avait vu sa disgrâce empirer depuis presque une année. Lorsqu’elle avait fini par provoquer sa chute… il avait été grandement soulagé, mis à part le fait gênant qu’il survive à sa disgrâce tel un mort vivant.

Les officiers du passé, surtout chez les Tiefs, se décapitaient après pareille ignominie. Rachner Thract était à moitié tiefien, mais il ne s’était pas tranché la tête avec une lame lestée. Au lieu de quoi il s’était plombé le cerveau au fizz et avait arpenté l’artère principale de Calorica en mâchonnant la baveuse pendant cinq jours. Un idiot jusqu’au bout. Calorica était le seul endroit au monde où il faisait trop chaud pour tomber dans le coma sous l’influence du fizz.

Il avait donc entendu des informations selon lesquelles quelqu’un – Smith, c’était forcément Smith – s’était envolé pour Pleinsud afin d’essayer de récupérer un peu de ce que Thract avait perdu. Pendant que s’égrenait le compte à rebours de l’arrivée de Smith à Pleinsud, Rachner avait décroché du fizz. Il restait assis dans les pubs à regarder les infos en priant pour que, d’une manière ou d’une autre, Victory Smith réussisse là où Thract avait échoué, brisant sa carrière et sa vie. Mais il savait qu’elle allait échouer. Personne ne le croyait, et Rachner Thract lui-même ne savait ni pourquoi ni comment elle échouerait. Mais il était sûr d’une chose : il y avait une entité qui soutenait la Parenté. Même ceux de la Parenté n’en savaient rien, n’empêche qu’elle était là, retournant contre eux-mêmes tous les avantages techniques de l’Accord.

Sur les écrans multiples, en direct de Pleinsud, Smith passa les Grandes Portes du Parlement. Même ici, dans le pub le plus turbulent de l’Avenue, la clientèle se tut brusquement. Thract cala sa tête sur le comptoir et sentit son regard fixe devenir vitreux.

C’est alors que son téléphone se mit à sonner. Rachner l’extirpa de sa veste. Il l’approcha de sa tête et le contempla dans une incrédulité désintéressée. Il devait être en panne. Ou alors, quelqu’un lui envoyait une réclame. Rien d’important ne pouvait jamais passer par ce morceau de ferraille non sécurisé.

Il était sur le point de le lancer par terre lorsque la personne perchée à côté de lui lui tapa dans le dos.

— Espèce de parasite ! Militaire de mes deux ! Barre-toi ! cria-t-elle.

Thract descendit de son perchoir sans trop savoir s’il allait obéir à l’autre ou défendre l’honneur de Smith et de tous ceux et celles qui essayaient de maintenir la paix.

Finalement, ce fut la direction qui trancha : Thract se retrouva dans la rue, privé de la télévision qui aurait pu lui montrer ce que sa générale tentait de faire. Et son téléphone sonnait toujours. Il appuya sur la touche OUI et cracha quelque chose d’incohérent dans le microphone.

— Colonel Thract, c’est vous ?

Les mots étaient hachés et confus, mais la voix était vaguement familière.

— Colonel, la liaison est-elle sécurisée de votre côté ?

— Ça risque pas, bordel ! cria-t-il.

— Oh, tant mieux ! dit la voix quasi familière. Nous avons une chance, alors. Même eux ne peuvent sûrement pas écouter toutes les banalités échangées d’un bout à l’autre de la planète.

Eux ? Ce soulignement traversa la chape de fizz qui lui embrumait le cerveau. Il rapprocha le microphone de sa cavité buccale et demanda, presque sur le ton de la curiosité nonchalante :

— Qui est à l’appareil ?

— Excusez-moi. Obret Nethering. Surtout ne raccrochez pas, je vous en supplie. Vous ne vous souvenez probablement pas de moi. Il y a quinze ans, j’ai assuré un cours sur la télédétection à Princeton. Vous étiez l’un de mes étudiants.

— Je… je m’en souviens.

En fait, ce cours était plutôt bien.

— C’est vrai ! Parfait, parfait. Alors, vous savez que je ne suis pas un cinglé. Monsieur, je sais à quel point vous devez être occupé en ce moment même, mais je vous supplie de m’accorder rien qu’une minute de votre temps. S’il vous plaît.

Thract prit soudain conscience de la rue et des immeubles autour de lui. La principale avenue de Calorica longeait le fond de la cuvette volcanique – peut-être l’endroit le plus chaud qui subsiste encore à la surface de la planète. Mais l’Avenue n’était qu’un souvenir fané de l’époque où Calorica était un terrain de jeux pour super-riches. Bars et hôtels étaient moribonds. Même les chutes de neige étaient terminées depuis longtemps. La neige qui s’entassait dans l’impasse derrière lui, vieille de deux ans, était jonchée de barbafizz glaireux et souillée d’urine. Mon centre de commandement haute technologie.

Thract se recroquevilla, à l’abri du vent.

— Je suppose que je peux vous accorder un moment.

— Oh, merci ! Vous êtes le dernier espoir qui me reste. Tous mes appels adressés au professeur Underhill ont été bloqués. Pas étonnant, maintenant que je comprends ce qui se passe…

Thract pouvait presque entendre le faucheux se ressaisir, essayer de ne pas parler à tort et à travers.

— Je suis un astronome basé à Paradise Island, colonel. La nuit dernière, j’ai vu…

… un vaisseau spatial grand comme une ville, qui illuminait le ciel avec ses réacteurs… totalement ignoré par la Défense aérienne et tous les réseaux. Les descriptions de Nethering, concises et brutales, ne lui prirent même pas une minute.

— Je ne suis pas fou, poursuivit l’astronome. C’est ce que j’ai vu de mes propres yeux ! Il y a sûrement des centaines de témoins oculaires, mais, pour une raison ou une autre, la chose est invisible pour la Défense aérienne. Colonel, il faut me croire.

Au ton de sa voix, il semblait maintenant appréhender à quel point sa position était fragile et comprendre que personne de sensé ne pourrait croire à pareille histoire.

— Mais je vous crois, dit doucement Rachner.

C’était une vision élégamment paranoïaque… et qui expliquait tout.

— Vous disiez, colonel ? Excusez-moi, mais je ne peux pas vous envoyer grand-chose en matière de preuves concrètes. Ils nous ont coupé notre liaison terrestre il y a environ une demi-heure. Je me sers d’une radio en kit pour atteindre les re…

Plusieurs syllabes furent triturées jusqu’à l’incohérence.

— Alors, c’est vraiment tout ce que j’avais à vous dire. Peut-être que c’est un complot ultrasecret de la part de la Défense aérienne. Si vous ne pouvez rien dire, je le comprendrai. Mais je me suis senti obligé de faire passer le message. Ce vaisseau était tellement gros, et…