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Un instant, Thract crut que l’autre avait cessé de parler, épuisé. Mais le silence se prolongea plusieurs secondes, puis une voix synthétique nasilla dans le minuscule écouteur du téléphone :

— Message 305. Erreur réseau. Veuillez renouveler votre appel ultérieurement.

Rachner replaça lentement le téléphone dans la poche de sa veste. Sa gueule et ses mains nourricières étaient engourdies, mais ce n’était pas seulement à cause de l’air froid. Une fois, ses spécialistes des réseaux avaient mené une étude sur les écoutes automatiques. Avec une puissance de calcul adéquate, il était en principe possible de surveiller toutes les communications en clair pour y rechercher des mots clés, et de déclencher des processus sécuritaires. En principe. En réalité, le développement des ordinateurs nécessaires était toujours en retard sur celui des réseaux publics contemporains. Mais voilà qu’apparemment quelqu’un disposait justement de la puissance de calcul ad hoc.

Un complot ultrasecret de la part de la Défense aérienne ? Invraisemblable. Un an durant. Rachner Thract avait vu énigmes et pannes déferler tous azimuts. Même si les Renseignements de l’Accord, Pedure et tous les services de renseignements du monde avaient coopéré, ils n’auraient pu produire les mensonges impeccables que Thract avait soupçonnés. Non. L’entité inconnue qu’ils affrontaient était plus grosse que le monde, était malfaisante au-delà tout ce qui pouvait s’inventer sur la planète.

Il disposait finalement d’un élément concret. Son esprit aurait dû se mettre en état d’alerte ; au lieu de quoi, il était plein de confusion, au bord de la panique. Saloperie de fizz. S’ils affrontaient une force d’outre-espace aussi intelligente, aussi sournoise… peu importait qu’Obret Nethering – et maintenant Rachner Thract – sachent la vérité. Que pouvaient-ils faire ? Mais Nethering avait réussi à parler pendant plus d’une minute. Il avait prononcé un certain nombre de mots clés avant que la communication soit coupée. Ces étrangers étaient peut-être supérieurs aux habitants de la planète… mais ce n’étaient pas des dieux.

Cette pensée figea Thract sur place. Ce n’étaient donc pas des dieux. La nouvelle de leur arrivée à bord de ce monstrueux vaisseau devait actuellement filtrer d’un bout à l’autre du monde civilisé, ralentie et supprimée, sauf dans des communications en face à face entre petites gens sans accès au pouvoir. Mais cela ne pourrait conserver le secret plus de quelques heures. Et cela signifiait que… quel que soit le but de cette gigantesque supercherie, elle devrait porter ses fruits dans les prochaines heures. En ce moment-même, le chef des Renseignements risquait sa vie là-bas à Pleinsud en tentant de leur éviter un désastre qui était en réalité un piège. Si seulement je pouvais la joindre – elle, Belga ou n’importe qui au sommet de la hiérarchie…

Or le téléphone et le courrier électronique seraient non seulement inutiles, mais dangereux. Il lui fallait un contact direct. Thract descendit en zigzaguant le trottoir désert. Il y avait un arrêt de bus quelque part au coin de la rue. Dans combien de temps passerait le prochain bus ? Il avait encore son hélicoptère personnel, un jouet de riche… qui risquait d’être trop dépendant des réseaux. Les étrangers pourraient carrément prendre les commandes et le faire s’écraser. Il refoula cette crainte. À l’heure qu’il était, l’hélico était son unique espoir. Depuis l’héliport, il pourrait gagner n’importe quel lieu dans un rayon de deux cents milles. Qui y aurait-il dans cette zone ? Il tourna le coin en dérapant. Le Grand Boulevard se prolongeait sous une série infinie de lampes trichromes, depuis l’Avenue jusqu’à la forêt de Calorica. La forêt était morte depuis longtemps, bien sûr. Pas même les feuilles ne pouvaient produire de spores, le sol sous-jacent étant trop chaud. Le centre de la forêt avait été dégagé et aplani pour faire un héliport. De là, il pourrait voler jusqu’à… Thract scruta le côté opposé de la cuvette. Les lumières du boulevard s’amenuisaient jusqu’à devenir de minuscules étincelles. Jadis, elles montaient à flanc de cratère jusqu’aux résidences du Déclin. Mais les vrais riches avaient abandonné leurs palais. Seuls quelques-uns, inaccessibles d’en bas, étaient encore occupés.

Mais Sherkaner Underhill était là-haut, il était rentré de Princeton. À en croire du moins le dernier rapport de situation dont il avait pris connaissance, le jour où sa carrière s’était terminée. Il savait ce qu’on racontait sur Underhill : que le pauvre faucheux avait perdu la tête. Aucune importance. Ce qu’il lui fallait, c’était un accès indirect à la Commanderie des Terres, peut-être par l’entremise de la fille de Victory Smith – un accès qui ne passait pas par le réseau.

Une minute plus tard, l’autobus de la ville s’arrêta derrière Thract. Il grimpa à bord. Il était l’unique voyageur, alors même qu’on était au milieu de la matinée.

— Vous avez de la veine, dit le chauffeur en souriant. Le prochain ne passe pas avant trois heures de l’après-midi.

Vingt milles à l’heure, trente. Le bus descendait bruyamment le Grand Boulevard en direction de l’héliport de la Forêt Morte. Je peux être devant chez lui dans dix minutes. Et soudain Rachner prit conscience de la barbafizz gluante qui lui encroûtait la gueule et les mains nourricières, des taches sur son uniforme. Il se brossa la tête, mais ne put rien faire pour l’uniforme. Un fou qui rend visite à un vieux birbe sénile. C’était peut-être ça. Ce pourrait être aussi leur dernière chance, à l’un comme à l’autre.

Une décennie plus tôt, à une époque plus conviviale, Hrunkner Unnerby avait conseillé les Terresudiens pour la conception de la ville souterraine de Pleinsud Deux. Le paysage devint donc étrangement familier dès qu’ils quittèrent l’ambassade de l’Accord pour pénétrer en territoire terresudien. Il y avait une pléthore d’ascenseurs. Les Terresudiens voulaient un Parlement qui puisse survivre à une frappe nucléaire. Il les avait prévenus que des progrès ultérieurs en matière d’armements les empêcheraient vraisemblablement d’atteindre cet objectif, mais les Terresudiens ne l’avaient pas écouté et avaient gaspillé là de substantielles ressources qu’ils auraient pu investir dans une agriculture adaptée à la Ténèbre.

L’ascenseur principal était si vaste que même les reporters pouvaient y prendre place, ce qu’ils firent. La presse de Terresud était une classe privilégiée, explicitement protégée par les lois du Parlement… même dans l’enceinte des édifices gouvernementaux ! La générale se comporta bien en face de la meute. Peut-être avait-elle appris sa leçon en voyant comment Sherkaner traitait les journalistes. Les colosses de sa garde rapprochée restaient discrètement à l’arrière-plan. Elle émit quelques remarques de portée générale, puis ignora poliment les questions, laissant à la police terresudienne le soin d’écarter les reporters de son chemin.

À mille pieds sous terre, l’ascenseur partit horizontalement sur un polyrail électrique. Les hautes fenêtres de la cabine donnaient sur des cavernes industrielles brillamment éclairées. Les Terresudiens avaient beaucoup construit ici et sur l’Arc littoral, mais leur agriculture souterraine n’était pas assez développée pour assurer la subsistance de l’ensemble.

Les deux Représentants Élus qui avaient accueilli Smith sur l’aérodrome étaient jadis de puissants personnages du Sud. Mais les temps avaient changé : il y avait eu des assassinats, des subornations – toutes les manœuvres habituelles de Pedure –, et, plus récemment, un coup de chance quasi magique du côté de la Parenté. Ces deux personnages étaient à présent – du moins officiellement – isolées dans leurs sympathies pour l’Accord. On les considérait comme les laquais d’un monarque étranger. Ils se tenaient près de la générale, et l’un d’eux était assez proche pour lui parler derrière un écran. Idéalement, seuls la générale et Hrunkner Unnerby pouvaient l’entendre. Ne compte pas là-dessus, se dit Unnerby.