Выбрать главу

Elle fit signe à Tim Downing de remettre les cartes de données au secrétaire du Président.

— Je pense que vous connaissez ma position dans la hiérarchie du pouvoir de l’Accord. Même les plus soupçonneux d’entre vous admettront que, tant que je suis ici, l’Accord devra maintenir la position modérée qu’il a publiquement promise. Je suis habilitée à vous offrir un prolongement de cet état de choses. Vous, membres élus du Parlement de Terresud, pourrez choisir trois ressortissants de l’Accord – y compris moi-même, y compris le Roi – qui devront résider pour une durée indéterminée dans notre ambassade, ici à Pleinsud.

C’était une stratégie de maintien de la paix on ne peut plus primitive, bien que plus généreuse que tout ce qui avait été proposé dans le passé, puisque Smith donnait le choix des otages à l’autre camp. Et plus que jamais dans l’Histoire, elle était concrètement réalisable. L’ambassade de l’Accord à Pleinsud était largement assez vaste pour abriter une petite ville, et, avec les communications modernes, les activités importantes de l’otage ne seraient même pas entravées. À moins que le Parlement soit totalement corrompu, voilà qui mettrait un bâton dans les roues du désastre imminent.

Les Élus restèrent silencieux, même les petits copains de Pedure. Étaient-ils en état de choc ? Se retrouvaient-ils en face du seul choix qu’ils avaient réellement ? Attendaient-ils des instructions de leur patronne ? Il se passait quelque chose, mais quoi ? Dans l’ombre derrière Smith, Hrunkner voyait Pedure en grande conversation avec un collaborateur.

Lorsque Victory Smith eut terminé son discours, les applaudissements retentirent dans l’assommoir de Benny. Tout le monde avait été choqué au début, quand on avait vu à quoi ressemblaient des Araignées bien réelles. Mais le discours cadrait bien avec la personnalité de Victory Smith, qui était connue de la plupart des gens. Quant au reste, il faudrait pas mal de temps pour s’y habituer, mais…

Rita Liao rattrapa Benny par la manche alors qu’il s’envolait vers le plafond avec un chargement de boissons.

— Tu ne devrais pas laisser Qiwi toute seule, Benny. On peut lui faire une petite place à notre table, et elle pourra quand même continuer à parler à tout le monde.

— Euh… d’accord.

C’était le Subrécargue qui avait suggéré la solitude du premier rang, mais ça n’avait sûrement pas d’importance quand les choses se passaient si bien. Benny livra les boissons, écoutant d’une oreille distraite les joyeuses anticipations de ses clients.

— Avec ce discours plus notre intervention, il devrait y avoir un risque zéro…

— Hé ! On pourrait être en bas en moins de quatre Msec ! Après tout ce temps…

— En bas ou en orbite, on s’en fout ! On a les ressources pour faire sauter le contrôle des naissances…

Eh oui, l’interdiction des naissances. Notre version humaine du tabou du hors-phase. Peut-être que je peux enfin demander à Gonle… L’esprit de Benny refoula cette pensée. Ce serait tenter le destin que d’agir trop tôt. Néanmoins, il se sentit plus heureux qu’il ne l’avait été depuis bien longtemps. Benny évita les tables en plongeant au milieu du vide central, détour qui lui permit d’arriver plus vite à la table de Qiwi.

Elle approuva la suggestion de Rita d’un signe de tête.

— Ça serait sympa.

Son sourire était hésitant, et c’est à peine si ses yeux avaient quitté une fraction de seconde les écrans centraux. Le général Smith descendait de l’estrade.

— Qiwi ! Tout se passe exactement comme le Subrécargue l’avait prévu ! On veut tous te féliciter !

Qiwi caressa doucement le chaton qui reposait au creux de ses bras tout en se montrant farouchement protectrice. Elle leva les yeux vers Benny avec une bizarre perplexité.

— Oui, tout marche comme prévu.

Elle se leva, puis se propulsa dans l’espace vide derrière Benny pour gagner la table de Rita.

— Il faut que je lui parle, caporal. Immédiatement.

Rachner se redressa en articulant ces mots, projetant dans son maintien quinze ans d’ancienneté dans le grade de colonel.

Un instant, le jeune caporal se flétrit sous son regard. Puis le hors-phase dut remarquer les traces de barbafizz sur la gueule de Thract et le piteux état de son uniforme. Il se crispa, vigilant et inaccessible.

— Désolé, monsieur, vous n’êtes pas sur la liste.

Rachner sentit ses épaules s’affaisser.

— Caporal, vous n’avez qu’à lui téléphoner. Dites-lui que c’est Rachner, et que c’est une question de… de vie ou de mort.

À peine avait-il prononcé ces paroles qu’il regretta d’avoir affirmé cette vérité absolue. Le jeune faucheux le toisa une seconde. Hésitait-il à le jeter dehors ? Puis une sorte d’écœurante pitié sembla se matérialiser dans son aspect ; il choisit une fréquence sur son minicom et parla à quelqu’un à l’intérieur de la maison.

Une minute passa. Puis deux. Rachner tournait en rond dans le sas des visiteurs. Au moins, il était à l’abri du vent ; il s’était gelé les extrémités de deux mains rien qu’en montant l’escalier qui montait de la plate-forme pour hélicoptères en contrebas de la résidence Underhill. Mais… un garde posté à l’extérieur, et un sas pour visiteurs ? Il ne s’attendait pas à un tel luxe de précautions. Peut-être que son limogeage avait donné de bonnes idées à d’autres. Il les avait convaincus de se protéger.

— Rachner, c’est vous ?

La voix qui sortait du minicom de la sentinelle était frêle et plaintive. Underhill.

— Oui, monsieur. Il faut que je vous parle. S’il vous plaît.

— Vous… vous avez l’air drôlement mal fichu, colonel. Je suis désolé, je…

Sa voix devint inaudible. On entendait marmonner derrière lui. Quelqu’un dit :

— Le discours s’est bien passé… on a beaucoup de temps, maintenant.

Puis Underhill se manifesta à nouveau ; il semblait bien moins évasif.

— Colonel, attendez-moi là-haut. Je suis à vous dans quelques minutes.

Cinquante-trois

— Excellent, ce discours. On n’aurait pas pu faire mieux si on l’avait écrit nous-mêmes.

Sur la vidéo bidimensionnelle transmise par la Main, Ritser n’arrêtait pas de parler, très satisfait de sa personne. Nau se contenta de hocher la tête en souriant. La proposition de paix émise par Smith avait suffisamment de force pour obliger les militaires araignées à marquer une pause. De quoi donner aux humains le temps de s’annoncer et de proposer leur coopération. C’était le scénario officiel, un plan risqué qui placerait les Subrécargues en position excentrée. En réalité, dans environ sept Ksec, les zombies de Reynolt déclencheraient une attaque en traître de la part des militaires de Smith. La « contre-attaque » de la Parenté qui en résulterait achèverait la destruction prévue. Et nous entrerons en scène pour ramasser les morceaux.

Nau regarda North Paw baignant dans la lumière de l’après-midi, mais ses ATH étaient remplis par la vue de Trinli et de Vinh, en chair et en os, assis à deux mètres seulement de lui. Trinli affichait une expression légèrement amusée. Toutefois, ses doigts ne cessaient de voleter sur le clavier : il était chargé de suivre l’état des munitions nucléaires sur le territoire de la Parenté. Vinh ? Vinh avait l’air nerveux ; les indicateurs de diagnostic qui flottaient près de son visage suggéraient qu’il se doutait que quelque chose se préparait, mais qu’il ne savait pas exactement quoi. C’était le moment de le mettre sur la touche, de lui confier quelques tâches mineures. Lorsqu’il reviendrait, les événements seraient en marche… et Trinli confirmerait la version du Subrécargue.