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Marli afficha soudain un grand sourire.

— Notre liaison avec la Main invisible fonctionne encore, monsieur ! Je viens de brancher votre micro-boutonnière sur le canal audio.

— Parfait… Ritser ! Je ne sais pas si vous avez suivi tout ce qui se passe ici, mais…

Nau lui fit un rapide résumé de la débâcle, et conclut :

— Je vais être inaccessible pendant quelques centaines de secondes ; je me replie sur L1-A. Question cruciale : sans nos zombies, pouvez-vous encore poursuivre les opérations au sol ?

Il s’écoulerait au moins dix secondes avant qu’il obtienne une réponse. Nau se tourna vers son deuxième garde survivant :

— Ciret, ramenez-moi Tung et le zombie. Nous allons en L1-A.

Depuis les profondeurs de l’arsenal, ils auraient le droit de vie et de mort sur tous les occupants de L1 sans passer par aucune automatisation. Nau ouvrit le placard derrière lui et appuya sur une touche. Un morceau de parquet coulissa, révélant la trappe d’accès à un tunnel. Ce tunnel traversait Diamant Un pour aboutir à la chambre forte de l’arsenal ; il n’avait jamais été automatisé avec des localiseurs ni coupé par des couloirs transversaux. Les serrures de sécurité à chaque extrémité étaient programmées pour l’empreinte de son pouce. Il toucha le lecteur. Le minuscule voyant d’accès resta au rouge. Comment Trinli pourrait-il saboter ça ? Nau refoula sa panique et essaya à nouveau, le pouce contre la plaque sensible. Toujours rouge. Il recommença. Le témoin passa à contrecœur au vert et le panneau d’accès sous le parquet tourna jusqu’à sa position d’ouverture. Le logiciel avait dû prendre en compte la pression sanguine de Nau et conclure qu’il agissait sous la menace. Nous pourrions encore être bloqués à l’autre bout. Il présenta son pouce en composant le code de l’autre serrure. Il dut s’y reprendre à deux fois, mais, là encore, il eut le feu vert.

Ciret et Tung étaient de retour, poussant Ali Lin devant eux. Le vieil homme les gronda :

— Vous ne respectez pas les règles. Nous devrions marcher, comme ceci, les pieds sur le plancher.

L’expression d’Ali était un mélange d’irritation et d’étonnement. Les zombies détestaient qu’on les arrache à leur tâche Focalisée. Très vraisemblablement, sarcler le jardin du Subrécargue était, dans l’esprit de Lin, aussi important que la plus délicate manipulation génétique. Et voilà que tout à coup on le forçait à rentrer et qu’on ignorait le protocole simulant la pesanteur dans l’enceinte du Parc.

— Tenez-vous tranquille et taisez-vous. Ciret, détachez Vinh. Nous l’emmenons, lui aussi.

Ali s’immobilisa, les pieds fermement plantés sur le parquet adhésif. Mais il ne se tut pas. Ignorant Nau, il visa le lointain d’un regard zombie typiquement décalé et continua de se plaindre :

— Vous ne voyez pas que vous être en train de tout détruire ?

Soudain, la voix de Brughel résonna dans le bureau :

— Monsieur, ici, nous contrôlons la situation. Les zombies de la Main sont toujours connectés. Nous n’aurons pas vraiment besoin des services à latence prolongée tant que nous n’aurons pas largué les nucléaires. Phuong dit qu’à court terme nous avons peut-être avantage à nous passer de L1. Juste avant de décrocher, certains éléments aux ordres de Reynolt montraient des comportements très aberrants. Voici la chronologie des attaques. Pleinsud est incinérée dans sept cents secondes. Juste après, la Main survolera les bases de missiles antimissiles de l’Accord. Nous les liquiderons nous-mêmes…

La réponse de Brughel se transformait en rapport, destin habituel des conversations à longue distance. Lin s’était calmé. Nau sentit comme une fraîcheur dans son dos : la lumière du soleil baissait. Un nuage ? Il se retourna… et constata que, pour une fois, le regard décalé d’un zombie avait un sens. Tung contourna Lin pour regarder par les fenêtres qui donnaient sur le lac.

— Pouah, dit-il doucement.

— Ritser ! Nous avons d’autres problèmes. Je vous rappellerai.

Son interlocuteur à bord de la Main invisible continuait de parler, mais personne ne l’écoutait plus.

Telles les ondines de la mythologie balacrienne, les eaux de North Paw s’étaient lentement rassemblées puis s’étaient répandues en quittant le rivage paysagé conçu par Ali Lin. La « lumière solaire » vacillait derrière le million de tonnes d’eau qui ondoyaient au-dessus du pavillon. Même en l’absence de contrôle, le lac aurait dû rester plus ou moins en place. Mais l’ennemi avait laissé les vannes asservies agiter l’eau en cadence… et les oscillations de la surface s’étaient tranquillement amplifiées… jusqu’à la catastrophe.

Nau plongea vers la trappe du tunnel. Il s’arc-bouta et tira sur le massif couvercle blindé. La muraille liquide atteignit les murs du pavillon. L’édifice grinça et les fenêtres éclatèrent sous une montagne d’eau qui avançait implacablement à un peu plus d’un mètre par seconde.

Et la falaise liquide devint une masse glaciale aux milliers de bras qui traversaient le mur béant, cherchaient à se refermer autour de son corps et à l’arracher à la trappe. Il y eut des cris et des hurlements, vite noyés, et Nau fut un instant complètement submergé. Il n’entendait plus que le craquement prolongé de son pavillon que les eaux réduisaient en ruines. Il entrevit une dernière fois son cabinet de travail, son bureau en bois massif aux nœuds apparents, la cheminée en marbre. Puis le lent tsunami brisa le mur opposé et Nau fut emporté par le tourbillon ascendant.

Il était encore submergé, les poumons en feu. L’eau froide l’engourdissait. Tournant sur lui-même, Nau tenta de comprendre les images floues qui l’entouraient. C’était vers le bas qu’on voyait le mieux. Il aperçut la masse verte de la forêt derrière le pavillon. Nau plongea vers le bas, vers l’air libre.

Il émergea brusquement, projetant des filaments d’eau qui ricochèrent sur la surface principale, et se lança dans l’espace dégagé au-delà. Pendant une ou deux secondes, Nau flotta en solitaire, dérivant juste assez vite pour conserver son avance sur la mer volante. L’air était rempli d’un son que Nau n’avait jamais imaginé, un fracas oléagineux – le bruit d’un million de tonnes d’eau qui tournoyaient, se répandaient et s’écrasaient. Porté par son élan, le flot avait heurté le plafond de la caverne. À présent, la marée retombait, et Nau avec elle. En bas, dans la forêt, les papillons avaient pour une fois cessé de chanter. Ils se blottissaient en essaims massifs dans les plus vastes des cryptormes. Mais, au loin, il y avait quelque chose en l’air. Des points minuscules planaient près de la vertigineuse montagne liquide. Les chatons ailés ! Ils ne semblaient pas être le moins du monde effrayés – mais Qiwi ne prétendait-elle pas que c’était une race aérienne à l’origine ? Il en vit un barboter au flanc de la muraille, disparaître un instant, refaire surface, puis plonger à nouveau. Ces maudits félins seraient peut-être juste assez agiles pour survivre.

Il pivota pour regarder à travers l’eau vers le parc ensoleillé. La lumière dorée scintillait sur les décombres, sur des silhouettes humaines prises au piège comme des mouches dans un bloc d’ambre. Les autres se dirigeaient vers lui en pataugeant, certains mollement, d’autres avec une énergie manifeste. Marli plongea dans l’air. Un instant plus tard, Tung creva la surface liquide, puis Ciret avec Ali dans les bras. Bravo, mon vieux !

Il y avait une autre silhouette : Ezr Vinh. Le Fourgueur sortit à moitié de l’eau, à dix mètres environ du reste du groupe. Il avait beau être désorienté et respirer difficilement, il était plus éveillé qu’il l’avait paru lors de l’interrogatoire. Il considéra les cimes des arbres vers lesquelles ils dégringolaient et émit un son qui aurait pu être un rire.