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Sa propre voix semblait venir de très loin. Rachner tourna la tête de-ci, de-là, comme un enfant qui a encore ses yeux de bébé. Il n’avait pas le choix : sa vision antérieure était pleine d’images brûlantes. En contrebas, sur la paroi incurvée du versant de la caldeira, s’alignaient des trous encore fumants. Mais ici, la destruction était considérablement plus importante. Aucune des dépendances de la résidence Underhill n’était restée debout, et l’incendie se propageait dans tout ce qui pouvait brûler. Rachner avança d’un pas vers l’endroit où se trouvait la sentinelle. Mais c’était à présent le rebord d’un cratère abrupt et fumant. Au-dessus de lui, la colline avait été pulvérisée. Thract avait déjà vu un spectacle semblable, mais ç’avait été un terrible accident, l’explosion d’une cache de munitions touchée par des obus pénétrants. Qu’est-ce qu’on nous a largué dessus ? Qu’est-ce qu’Underhill entreposait sous la maison ? Ces questions lui trottaient dans la tête, mais il n’avait pas de réponses et beaucoup de préoccupations plus immédiates.

Il entendit un sifflement animal à ses pieds. Rachner tourna la tête. C’était le guidebogue d’Underhill. Ses mains d’attaque étaient prêtes à frapper, mais son corps gisait, déformé, dans les décombres. La carapace de la pauvre bête devait être fendue. Lorsque Rachner essaya de le contourner, le bogue hurla plus férocement et fit des efforts atroces pour dégager son corps des planches qui le recouvraient.

— Mobiy ! Ça va. Je suis là, Mobiy.

C’était Underhill ! Sa voix était étouffée – mais tous les bruits étaient étouffés, d’ailleurs. Lorsque Thract passa près du guidebogue, ce dernier arracha aux planches son corps meurtri et le suivit en direction de la voix d’Underhill. Mais le sifflement du bogue n’était plus menaçant. C’était plutôt un gémissement entrecoupé de sanglots.

Thract longea le rebord du cratère, s’enfonçant profondément dans le bourrelet de débris rejetés par l’explosion. Les parois vitreuses de la cavité commençaient à s’affaisser, à s’effondrer vers l’intérieur. Et toujours aucun signe d’Underhill.

Le guidebogue se ressaisit et distança Rachner. Là-bas, juste devant l’animal, un unique bras dépassait de la masse informe. Le guidebogue poussa un cri aigu et se mit à creuser tant bien que mal. Rachner le rejoignit. Il enleva les planches, déblaya la terre chaude et pulvérisée. Chaude ? Brûlante, comme la partie basse de Calorica. Il y avait quelque chose de particulièrement horrible dans le fait d’être enseveli dans la terre chaude. Thract creusa plus vite, avec l’énergie du désespoir.

Underhill était enterré la tête en haut, à un pied seulement de l’air libre. En quelques secondes, ils l’avaient dégagé jusqu’aux épaules. Le sol vacilla, commença à glisser avec le reste du rebord. Thract tendit les bras, enlaça ceux d’Underhill… et tira. Pouce par pouce, pied par pied… et ils retombèrent tous les deux sur la terre ferme juste au moment où la prison d’Underhill dégringolait au fond du trou.

Le guidebogue se traîna autour d’eux sans jamais lâcher son maître. Underhill caressa l’animal. Puis il se tourna, agitant bizarrement la tête, tout comme Thract juste avant. Les surfaces cristallines de ses yeux étaient criblées de cloques. Sherkaner Underhill avait protégé les yeux de Thract avec son ombre ; mais la tête du vieux faucheux avait été directement et intégralement exposée.

Underhill semblait regarder vers le fond du trou.

— Jaybert ? Nizhnimor ? dit-il doucement, sans conviction.

Il se releva et se dirigea vers le bord du gouffre. Thract et le guidebogue le retinrent tous les deux. Au début, Underhill se laissa reconduire sur la crête du bourrelet. Sous ses épais vêtements, il devait avoir au moins deux jambages fracturés.

Puis il dit :

— Victory ? Brent ? Vous m’entendez ? J’ai perdu…

Il se tourna et repartit vers le cratère. Cette fois, Rachner fut obligé de se battre avec lui pour de bon. Le pauvre faucheux délirait par intermittence. Réfléchissons ! Rachner regarda vers le bas de la pente. La plate-forme pour hélicoptères était de guingois, mais la pente qui la surplombait l’avait protégée de l’avalanche de débris. L’appareil de Thract y était encore posé, apparemment intact.

— Ah ! Professeur… il y a un téléphone dans mon hélicoptère. Venez, nous pourrons appeler la générale.

Plutôt mince comme prétexte improvisé, mais Underhill délirait toujours. Il vacilla un instant, faillit s’effondrer. Puis, dans un moment de fausse lucidité, il dit :

— Un hélicoptère ? Oui… ça pourrait m’être utile.

— D’accord. Allons-y.

Thract se dirigea vers l’escalier, mais Underhill hésitait encore.

— Nous ne pouvons pas abandonner Mobiy. Nizhnimor et les autres, oui. Ils sont sûrement morts. Mais Mobiy…

Mobiy est en train de mourir. Thract ne le dit pas tout haut. Le guidebogue avait cessé de ramper. Ses bras s’agitaient doucement dans la direction d’Underhill.

— C’est un animal, monsieur, dit doucement Thract.

— Comme nous, dit Underhill avec un petit rire. Question d’échelle, colonel.

Il délirait. Thract enleva donc sa veste extérieure et en ceignit Mobiy comme d’une écharpe. La créature représentait environ quatre-vingts livres de poids mort – et bien mort – mais ils descendaient, à présent, et Sherkaner Underhill suivait sans protester ; tout au plus avait-il de temps à autre besoin qu’on le remette sur les marches. Qu’est-ce que vous pourriez faire de plus, hein, colonel ? L’Ennemi embusqué était finalement passé à l’action. Thract contempla les ruines fumantes de l’autre côté de la caldeira. La destruction avait dû vraisemblablement se répéter sur l’altiplano, anéantissant les défenses stratégiques du Roi. Le Haut-Commandement avait été atomisé, sans aucun doute. Il était trop tard pour faire quoi que ce soit.

Cinquante-sept

La navette décolla de l’agglomérat L1. En dessous d’eux, l’embouchure de C745 était ouverte, exhalant de l’air et des particules de glace. Sans l’aide de Qiwi, ils seraient encore emmurés derrière le couvercle étanche de la conduite. L’atterrissage de Qiwi et l’arrimage précis du sas étaient un exploit que même des zombies bien dirigés n’auraient peut-être pas réussi.

Nau posa doucement Ali Lin sur le siège avant à côté de Qiwi. Abandonnant un instant les commandes, elle se retourna, les traits bouleversés par le chagrin.

— Papa ? Papa ?

Elle tendit la main pour lui prendre le pouls, et son expression s’adoucit très légèrement.

— Je crois qu’il s’en sortira, Qiwi. Écoute, il y a de l’automatisation médicale en L1-A, et…

Qiwi se remit sur son siège.

— L’arsenal…

Mais son regard ne quittait pas son père. Après un moment d’horreur, elle basculait insensiblement dans la méditation. Brusquement, elle détourna les yeux et hocha la tête.

— Oui.

La navette accéléra sur ses modestes réacteurs auxiliaires, et Nau et ses nervis s’empressèrent de s’accrocher aux sangles de maintien. Qiwi passait en pilotage manuel, désactivant l’automatisation placide du véhicule.

— Qu’est-ce qui s’est passé, Tomas ? Nous avons encore une chance ?

— Je crois bien. Si nous pouvons entrer dans L1-A.

Il lui raconta l’histoire de la trahison – entièrement vraie, sauf en ce qui concernait Ali Lin.

Qiwi cabra la navette en douceur avant le freinage d’approche. Mais quand elle parla, elle sanglotait presque.