Выбрать главу

Un bras nu et blanc sortait de dessous une armoire écrasée. Horrible mystère ! Qui avons-nous laissé sur le carreau ? Omo, oui. Mais ce membre était nu, luisant et d’un blanc exsangue. Il toucha la main au bout du bras. Elle tressauta, puis s’enroula autour de ses doigts. Ah, ce n’était pas un cadavre du tout, rien qu’une de ces vestes moulantes chères à Tomas Nau. Une idée émergea. Pour arrêter l’hémorragie, peut-être. Il tira sur la manche. Elle glissa, se coinça, puis flotta librement. Il perdit son ancrage dans le sol et ce fut, l’espace d’un instant, une sorte de danse entre lui et la veste. La manche gauche se fendit jusqu’aux doigts. Il glissa son bras à l’intérieur et la veste se referma des doigts aux épaules. Il fit passer le tissu sur son dos et enveloppa grossièrement son bras mutilé dans le côté droit. Maintenant, il pourrait se vider intégralement de son sang, et personne n’y verrait goutte. Serre le tissu. Il tortilla des épaules pour que la veste se tende. Plus fort, comme un vrai garrot. Il passa la main gauche dans le tissu qui recouvrait son bras blessé et appuya, déchaînant une douleur atroce dans la chair sous-jacente. Mais le tissu réagit en se raidissant. Très loin, il s’entendit gémir de douleur. Il perdit conscience un instant. Lorsqu’il se réveilla, il flottait, la tête reposant légèrement sur le sol.

Son bras droit était à présent immobilisé, la manche moulante au maximum de sa tension. Il jouait les martyrs de la mode, mais cette souffrance lui sauverait peut-être la vie.

Il happa quelques gouttes d’eau vagabondes puis tenta de réfléchir.

Il entendit un miaulement plaintif derrière lui. Le chaton volant vint se poser en douceur au creux de son bras valide. Ezr tendit la main et caressa le corps tremblant.

— T’as des problèmes, toi aussi ? demanda-t-il d’une voix rauque.

Les grands yeux sombres du chaton le dévisagèrent et l’animal s’insinua dans l’espace entre sa poitrine et son bras gauche. Bizarre. Normalement, un chaton malade va se cacher ; ce qui avait causé des tas de problèmes à Ali, quand bien même les créatures étaient baguées. Le chaton volant était trempé, mais semblait en bonne santé.

— Tu es venu me consoler, minou ?

Peut-être.

Maintenant, il le sentait ronronner, sentait la chaleur de son corps. Il sourit : le simple fait d’avoir quelqu’un à écouter le rendait plus lucide.

Il y eut un frémissement d’ailes. Deux chatons de plus. Trois. Ils flottaient au-dessus de lui et poussaient des miaulements courroucés comme pour dire : « Qu’as-tu fait de notre parc ? » ou, peut-être : « Nous avons faim. » Ils tourbillonnèrent autour de lui, mais ne chassèrent pas celui qui était dans ses bras. Puis le plus gros, un mâle aux oreilles lacérées, s’envola loin d’Ezr pour se poser sur le point culminant des ruines. Tout en jetant à Ezr des regards féroces, il commença à se lisser les ailes. La bestiole n’avait même pas l’air mouillée.

Le point culminant des ruines… un tube en diamant de près de deux mètres de diamètre, surmonté d’un bouchon métallique. Ezr reconnut brusquement ce qu’il voyait : l’entrée d’un tunnel dans le bureau de Tomas Nau, probablement une liaison directe avec L1-A. Il se propulsa jusqu’en haut du monticule. Le chat se recroquevilla sur le cylindre coiffé de métal, peu disposé à laisser Ezr s’approcher. Même maintenant, ces créatures étaient plus possessives que jamais.

Les voyants sur la trappe d’accès étaient au vert.

Ezr regarda le matou.

— Tu sais que tu es assis sur la clé du paradis, mon gros ?

Il enleva doucement le chaton du creux de sa veste et les chassa tous loin de la trappe. Elle se rétracta et se bloqua en position ouverte. Les petits écervelés allaient-ils tenter de le suivre ? Il leur fit signe une dernière fois.

— Vous pouvez penser ce que vous voulez, mais vous n’avez vraiment pas besoin de m’accompagner. Le pistolaser, ça fait mal.

Avec des rangées de sièges supplémentaires, la salle de groupe des Combles était remplie à bloc ; il y avait à peine la place de se tourner. Et dès que Silipan eut déconnecté les liaisons réseau des zombies, ce fut la folie. Trud plongea pour échapper aux bras qui se tendaient de partout et se réfugia dans la zone de commande tout en haut de la salle.

— Ils n’aiment vraiment pas, mais vraiment pas, qu’on leur enlève leur boulot.

C’était pire que ce que Pham avait imaginé. Si les zombies n’avaient pas été attachés, Trud et lui auraient été physiquement agressés, il se tourna vers l’Émergent.

— C’était nécessaire. C’est la pièce maîtresse de toute la puissance de Nau, et maintenant il en est privé. Nous prenons le contrôle intégral de L1, Trud.

Silipan avait le regard vitreux. Trop de chocs à encaisser.

— De tout L1 ? C’est impossible… Tu nous as tous tués, Pham. Tu m’as tué.

Un peu de lucidité lui revenait : il s’imaginait sans doute ce que Nau et Brughel lui feraient.

Pham le soutint de sa main libre.

— Non. J’ai l’intention de gagner. Si je gagne, tu survivras. Les Araignées aussi.

— Quoi ? s’écria Trud en se mordant la lèvre. Ouais, débrancher les zombies, ça va ralentir Ritser. Peut-être que ces putains d’Araignées auront une chance.

Il fixa le vide, puis son regard revint sur le visage de Pham.

— Qu’est-ce que tu es au juste, Pham ?

Pham répondit doucement, élevant la voix juste au-dessus du niveau sonore des zombies contestataires :

— En ce moment, je suis ton seul espoir.

Tirant de sa veste les ATH confisqués à Silipan, il les lui rendit.

Trud défroissa soigneusement les ATH et les appliqua sur ses yeux.

— Il nous reste des ATH, dit-il au bout d’un moment. Je peux t’en donner une paire.

Pham lui adressa le sourire canaille que Silipan ne lui connaissait que depuis deux cents secondes.

— Ça ira. J’ai mieux que ça.

— Oh ! fit Trud d’une petite voix.

— Maintenant, je veux que tu fasses un inventaire des dégâts. Est-ce que tu as un moyen quelconque de faire bosser tes gens, ici, avec Nau hors circuit ?

Trud haussa les épaules, furieux.

— Tu sais que c’est imposs…

Une fois de plus, il leva les yeux vers Pham.

— Peut-être, peut-être qu’il y a deux ou trois trucs triviaux. On fait du calcul hors ligne. Je pourrais peut-être manipuler les zombies du contrôle numérique…

— Sympa. Tu calmes ces gens et tu regardes s’il y en a qui peuvent nous aider.

Ils se séparèrent. Silipan descendit vers les zombies, leur parla doucement, ramassa dans des sacs le vomi flottant généré par le brutal bouleversement. Les zombies vociférèrent de plus belle :

— J’ai besoin des actualisations des relevés de poursuite !

— Où sont les traductions de la réponse de la Parenté ?

— Imbéciles, vous avez perdu la liaison !

Rasant le plafond, Pham glissait en crabe au-dessus des rangées de zombies assis devant leurs consoles et écoutait leurs doléances. Sur le mur opposé, Anne et son autre assistant flottaient, immobiles, sur des berceaux en crampofeutre. Elle devait être indemne et tirée d’affaire. Ta dernière bataille se livre actuellement, un siècle ou deux seulement après que tu as cru que tout était perdu.

La vision derrière les yeux de Pham fluctuait. Dans la plus grande partie des Combles, il avait pu réactiver l’alimentation par impulsions à micro-ondes. Il avait peut-être cent mille localiseurs à sa portée et en état de marche. Une méta-lumière qui prolongeait sa vision en ramifications disjointes d’un bout à l’autre des Combles, partout où un nuage de localiseurs s’était réveillé et pouvait trouver un faisceau de liaisons qui les renvoyait sur lui.