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Le silence se prolongea encore dix ou quinze secondes. Puis Bonsol releva la tête d’un coup sec et regarda Pham dans les yeux, ce qui n’arrive jamais aux zombies, sauf quand ils miment leurs traductions.

— Je veux dire que nous vous bloquons et vous nous bloquez, dit-elle. Ma Victoire a cru que vous étiez tous des monstres, que nous ne pourrions faire confiance à aucun de vous. Et maintenant, nous payons tous le prix de cette erreur.

C’était du délire zombie, en plus pompeux que d’habitude. Mais Pham descendit jusqu’à la chaise de Bonsol. La bouche à demi ouverte comme sous l’effet d’une inexprimable surprise, il avait l’air d’un homme dont le monde venait brusquement de se désintégrer et qui sombrait la tête la première dans la folie. Et quand il s’exprima enfin, ce fut comme s’il délirait lui aussi :

— Je… nous ne sommes pas des monstres. À supposer que la situation se débloque, pourrez-vous vous occuper de tout ? Et ensuite… ensuite, nous serions à votre merci. Comment pouvons-nous vous faire confiance ?

Bonsol regardait déjà ailleurs. Elle ne répondit pas ; ses mains ne cessaient de solliciter le clavier. Les secondes s’égrenèrent en silence. Une hypothèse démente commençait à glacer le sang de Trud. Non, pas ça !

Dix secondes pile plus tard, Trixia Bonsol reprit la parole.

— Si vous nous redonnez l’accès intégral, nous pouvons contrôler les systèmes les plus importants. Du moins, c’est ce qui était prévu. Quant à la confiance…

Le visage de Bonsol se tordit en un étrange sourire, à la fois moqueur et nostalgique.

— Bon, vous nous connaissez bien mieux que nous vous connaissons. À vous de choisir vos propres monstres.

— Oui, dit Pham.

Il se frotta la tempe et loucha vers quelque chose que Trud ne pouvait voir. Il se tourna vers Silipan, avec le même sourire féroce qu’il avait lorsqu’il lui avait sauté dessus dans la réserve, le sourire d’un homme qui risque tout… et s’attend à gagner.

— On reconnecte tout, Trud. C’est le moment de donner à Nau et à Brughel le soutien zombie qu’ils méritent.

Cinquante-neuf

Nau regarda Qiwi guider leur navette vers l’entrée de l’arsenal ; devant et en dessous d’eux s’élevaient les monticules de neige qu’il avait dressés tout autour du sas de L1-A. Avec la seule automatisation disponible à bord de la navette, Qiwi avait trouvé la conduite, passé outre aux dispositifs de sécurité de l’écoutille, et les avait sauvés… le tout en quelques centaines de secondes. Si seulement elle durait encore quelques secondes, il aurait définitivement le dessus. Si seulement elle durait ces quelques secondes de plus… Il voyait les regards qu’elle portait sur son père. La vue d’Ali Lin la poussait en quelque sorte au bord de la révélation. Pestilence ! Tu nous poses en beauté, c’est tout ce que je te demande. Ensuite, il pourrait la tuer.

Marli leva les yeux de sa console, surpris et soulagé à la fois.

— Monsieur ! J’ai des accusés de réception sur toutes les fréquences zombies. Nous devrions repasser en automatisation intégrale dans quelques secondes.

— Ah !

Enfin une bonne surprise. Maintenant, il pouvait limiter les destructions nécessaires pour reprendre le contrôle. Sauf que c’est Pham Nuwen que tu as en face de toi, et avec lui, tout est possible, ou presque. Il pouvait s’agir d’une incroyable mascarade.

— Très bien, caporal. Mais, pour le moment, ne vous servez pas de cette automatisation.

— Oui, monsieur, dit Marli, perplexe.

Nau regarda par le hublot de la navette. C’était étrange de voir la nature brute sans enrichissement. Le sas de L1-A était maintenant à soixante-dix mètres environ, profondément plongé dans l’ombre. Il y avait quelque chose de bizarre… le cercle de métal était nimbé d’une surbrillance rouge. Mais je ne porte pas d’ATH.

— Qiwi…

— Je vois. Quelqu’un est en train de…

Il y eut un fort craquement. Marli hurla. Ses cheveux brûlaient. La coque derrière son siège était chauffée au rouge.

— Merde ! Ils se servent de mes stabilos !

Qiwi accéléra la navette et la mit en vrille tout en avançant en zigzag. L’estomac de Nau lui remonta dans la gorge. Théoriquement, rien ne peut voler comme ça.

La lueur rouge sur le sas en L1-A, le point chaud sur la coque derrière lui… l’ennemi devait utiliser l’ensemble des réacteurs stabilisateurs correctement placés pour les viser. Chaque stabilo en lui-même ne pouvait être qu’un danger accidentel, localisé. Nuwen avait on ne sait comment réussi à en forcer des douzaines à illuminer précisément les deux seules cibles qui comptaient.

Marli hurlait toujours. Le pilotage acrobatique de Qiwi coinça Nau dans ses sangles de maintien et le retourna lorsqu’il retomba. Il eut le temps d’entrevoir le caporal dans les bras de ses camarades. Au moins, il ne brûlait plus. Les autres gardes ouvraient de grands yeux.

— Des rayons X, dit l’un d’eux.

Une gerbe de ces faisceaux d’électrons pourrait les griller tous. Un danger à long terme, tout bien considéré…

Sans cesser de tournoyer, Qiwi les rapprocha des collines de Diamant Un. La navette était en précession et culbutait follement sur trois axes. Impossible à un ennemi de maintenir son tir sur un endroit précis. Et pourtant, le rougeoiement de la coque augmentait d’intensité à chaque rotation. Pestilence. Nuwen disposait de l’automatisation intégrale de tout le système.

Le nez puis l’arrière de la navette heurtèrent le sol, délogeant la neige de la surface. La coque grinça mais tint bon. Et maintenant, dans la brume flottante des volatiles qui commençaient à s’élever, Nau distinguait les faisceaux des réacteurs. L’eau et l’air qu’ils interceptaient explosaient en gerbes incandescentes. Cinq faisceaux, peut-être dix, se relayaient tandis que la navette virevoltait, et plusieurs ciblaient en permanence le point chaud de la coque.

Le tourbillon de vapeur et de glace s’épaissit autour d’eux. Le rougeoiement de la coque commença à diminuer d’intensité quand la neige absorba et diffusa les dangereux rayons. Qiwi amortit la rotation de la navette avec quatre impulsions bien dosées du contrôle d’attitude puis se rapprocha du sas atmosphérique de L1-A en serpentant au milieu de la neige bouillonnante.

Par le hublot avant, Nau vit le sas arriver en plein sur eux : collision garantie ! Mais Qiwi était toujours aux commandes. Elle cabra la navette et engagea le collier d’arrimage dans son homologue sur le sas. Ils entendirent plier le métal, et ce fut l’arrêt complet. Qiwi pianota sur les commandes du sas, puis bondit de son siège pour examiner le mécanisme de l’écoutille avant.

— Le panneau est coincé, Tomas ! Aide-moi !

Maintenant, ils étaient enfermés, pris au piège comme des chiens dans un stand de tir à la fosse. Tomas s’élança, banda ses muscles et tira avec Qiwi sur l’écoutille de la navette. Elle était coincée. Presque complètement. Unissant leurs efforts, ils l’ouvrirent partiellement. Tomas passa la main à l’intérieur et perdit de précieuses secondes à convaincre le système de sécurité du sas de L1-A. C’est bon !

Par-dessus l’épaule de Qiwi, il regarda la coque derrière eux. La tache rouge ressemblait maintenant à une cible : un anneau rouge, un anneau orange et un cercle blanc éblouissant au milieu. C’était comme s’ils étaient devant la porte ouverte d’un four à céramique.

Le centre chauffé à blanc cloqua vers l’extérieur et disparut. Tout autour d’eux, l’atmosphère s’échappa dans une cascade de détonations.