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Un grand calme régnait dans le Centre de commande et de contrôle depuis que Victory Lighthill avait pris la situation en main. Les techniciens des Renseignements avaient été éloignés de leurs perchoirs, puis poussés avec les officiers contre Underville, Coldhaven et Dugway. Comme des insectes un soir de réveillon, songea Belga. Mais cela n’avait plus d’importance. D’après la carte stratégique, une bonne partie du monde allait passer à la casserole.

Par milliers, les trajectoires des missiles de la Parenté s’incurvaient sur la carte ; il en partait de nouveaux chaque seconde. Des cercles-cibles entouraient tous les sites militaires de l’Accord, toutes les grandes villes – et même les profonds des tradoques.

Quant aux étranges lancements de missiles de l’Accord affichés juste avant l’arrivée de Lighthill… ils avaient disparu des cartes, mensonges désormais inutiles.

Victory Lighthill se promenait de long en large dans la rangée de perchoirs, regardant brièvement les écrans par-dessus l’épaule de chacun de ses techniciens. Elle paraissait avoir oublié Underville et les autres. Et, bizarrement, elle était tout autant saisie d’horreur que les occupants réglementaires du CCC. Elle fondit sur son frère, qui semblait dans un autre monde, occupé à jouer avec son casque électronique.

— Brent ?

— Désolé, grogna le corpulent caporal. Désolé. Calorica ne répond toujours pas. Viki… je crois qu’ils ont eu papa.

— Mais comment ? Ils n’avaient aucun moyen de savoir qu’il était là !

— J’en sais rien. Il y a du trafic radio chez eux, mais c’est uniquement des sous-fifres, et, tout seuls, ils ne sont jamais très utiles. Je crois que ça s’est passé il y a un instant, juste après que nous avons perdu le contact avec le Haut-Commandement…

Il s’interrompit. Communiait-il avec son jeu ? Des franges de lumière papillotante auréolaient les bords de son casque.

— Je l’ai ! cria-t-il soudain ? Écoute !

Lighthill porta un téléphone à sa tête.

— Papa ! cria-t-elle joyeusement comme si elle rentrait de l’école. Où étais-tu ?

Ses mains nourricières s’entrelacèrent de surprise et elle se tut pour écouter un long discours. Mais elle bondissait presque d’excitation, et ses renégats s’acharnaient déjà sur leurs claviers.

— On te reçoit cinq sur cinq, papa, dit-elle finalement. Nous…

Elle surveilla ses techniciens un instant, puis reprit :

— Nous sommes en train de prendre le contrôle, comme tu dis. Je crois que nous pouvons y arriver, mais, je t’en supplie, passe par un relais plus proche. Vingt secondes, c’est carrément trop long. Nous avons plus que jamais besoin de toi !

Puis elle s’adressa à ses techniciens :

— Rhapsa, cible uniquement ceux que nous ne pouvons pas arrêter par en haut. Birbop, arrange-nous cette histoire de relais…

Sur la carte stratégique… les champs de missiles de High Calorica étaient entrés en action. La carte montrait les sillages colorés de douzaines, de centaines de missiles antimissiles, les intercepteurs à longue portée qui montaient à la rencontre de l’ennemi. Encore des mensonges ? Belga parcourut les aspects soudain réjouis de Lighthill et des autres intrus, et sentit l’espoir revenir dans son propre cœur.

Il fallait attendre encore une demi-minute avant les premiers contacts. Belga avait vu les simulations. Cinq pour cent au moins des missiles attaquants passeraient au travers. Il y aurait cent fois plus de morts que pendant la Grande Guerre, mais, au moins, ce ne serait pas l’annihilation… Or un phénomène insolite apparaissait maintenant sur la carte. Bien en arrière de la première vague des attaquants, des marqueurs ennemis disparaissaient sporadiquement.

Lighthill désigna l’affichage d’un geste et, pour la première fois depuis la prise de contrôle du CCC, elle s’adressa à Underville et aux autres.

— La Parenté dispose d’une fonction rappel sur certains de ses missiles. Nous nous en servons chaque fois que nous le pouvons. Nous pouvons attaquer d’autres missiles par en haut.

Par en haut ? Comme sous l’effet d’une gomme invisible qui balayait le continent vers le nord, une large traînée de pictogrammes disparut. Lighthill se tourna vers Coldhaven et les autres officiers, et se mit au garde-à-vous.

— Monsieur, madame. Vos gens seraient peut-être les mieux qualifiés pour s’occuper des missiles antimissiles. Si nous pouvons coordonner…

— Ça, oui ! crièrent en chœur Dugway et Coldhaven.

Les techniciens retournèrent précipitamment à leur poste. Quelques précieux instants furent perdus à remettre à jour les listes d’objectifs, et puis les premiers missiles antimissiles firent mouche.

— Impulsion électromagnétique enregistrée ! cria l’un des techniciens de la DA.

Voilà qui semblait plus réel que tout le reste.

Le général Coldhaven baissa une main à l’adresse de Lighthill, dans une bizarre sorte de salut inversé.

— Merci, monsieur, dit tranquillement Lighthill. Ce n’est pas le scénario que notre chef avait envisagé, mais je crois que nous pourrons le faire fonctionner… Brent, regarde si tu peux arriver à rendre la carte stratégique fiable à cent pour cent.

Des centaines de nouveaux marqueurs scintillaient d’un bout à l’autre de la carte. Mais ce n’étaient pas des missiles. Belga connaissait les pictogrammes assez bien pour voir qu’il s’agissait de satellites, même s’ils étaient lacunaires. Certains champs de données étaient vides, d’autres contenaient des chaînes alphanumériques sans signification. Un étrange rectangle s’éloignait du bord nord de l’affichage, avec des chevrons dimensionnels clignotant en surimpression.

— C’est impossible, siffla le général Dugway. Une douzaine de chevrons. Ça lui donnerait mille pieds de longueur.

— Oui, monsieur, dit le lieutenant Lighthill. Les programmes d’affichage usuels ne sont pas tout à fait à la hauteur dans un cas pareil. Ce véhicule a presque deux mille pieds de longueur.

Elle sembla ne pas remarquer l’expression qui se forma sur l’aspect de Dugway et contempla l’apparition une seconde de plus.

— Et je crois qu’il ne sert plus à rien.

Ritser était content de lui.

— On s’en est super bien tirés même sans les gens de Reynolt.

Le Vice-Subrécargue quitta le siège du commandant pour venir tourner autour de son gestionnaire des pilotes.

— Peut-être qu’on a lancé un peu plus de nucléaires qu’il n’en fallait, mais ça a contrebalancé votre cafouillage avec les champs de missiles antimissiles, pas vrai ?

Il tapa familièrement sur l’épaule de Jau. Jau eut soudain l’impression que son unique et timide trahison avait été détectée.

— Oui, monsieur.

C’est tout ce qu’il trouva à répondre. Devant eux, un réseau de lumières scintillait sur la courbe de la planète : les villes qu’ils connaissaient sous le nom de Princeton, Valdemon, Montroyal. Peut-être que les Araignées n’étaient pas les « gens » que Rita imaginait, peut-être que c’était une illusion de la traduction. Mais, quelle que soit la vérité, ces cités vivaient les dernières secondes de leur existence.

— Monsieur, dit la voix de Bil Phuong sur la fréquence de la passerelle. J’ai une confirmation de haut niveau de la part des gens d’Anne. Nous allons disposer de l’automatisation complète dans quelques secondes.

— Ah ! C’est pas trop tôt, fit Ritser.

Il y avait quand même un peu de soulagement dans sa voix.

Pfft. Jau perçut une vibration étouffée. Une autre. Et encore une autre. Brughel releva brusquement la tête et regarda un affichage d’état.