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— Bien. Ne lâchez pas le morceau, Xin. C’est votre peau à vous aussi qui est en jeu.

Jau hocha la tête, se retourna vers sa console et taquina férocement les commandes inertes.

Derrière lui, les tentatives d’ouverture manuelle de l’écoutille dégénérèrent en une frénésie d’incompétence obscène… et se conclurent dans un crépitement d’armes automatiques et un carambolage de tracés laser d’un bout à l’autre de la passerelle.

— Nom de Dieu de merde, dit Brughel. On n’y arrivera pas avec ça.

Il y eut un bruit d’armoire qu’on ouvre. Jau baissa la tête, s’appliquant de son mieux à paraître désespérément occupé.

— Tenez. Essayez ça.

Un instant de silence, puis une succession de détonations assourdissantes. Seigneur ! Brughel conservait ce genre d’artillerie sur la passerelle d’un vaisseau interstellaire ?

Les oreilles encore bourdonnantes, c’est à peine s’il entendit les cris de triomphe. Puis Brughel cria :

— Allez ! Allez ! Allez !

Jau tourna légèrement la tête pour avoir une vue en enfilade de la passerelle derrière lui. L’écoutille était toujours fermée, mais elle était percée d’un trou grossier. Des morceaux de métal tordu et d’autres débris non identifiés s’en échappaient.

Et voilà Jau Xin tout seul sur la passerelle de la Main invisible. Il inspira profondément et essaya de comprendre ce qu’il voyait sur ses écrans. Ritser avait raison sur un point. C’était bien sa peau qui était en jeu ici.

La consommation d’énergie était encore élevée. Jau scruta l’horizon incurvé. Il était à présent indéniable que la Main descendait, ce qui cadrait avec l’altitude de quatre-vingt mille mètres donnée par le tableau d’états. Il entendit gronder les propulseurs auxiliaires. J’ai réussi à passer ? S’il pouvait orienter correctement le vaisseau et allumer tant bien que mal le moteur principal… Mais non, les auxiliaires n’étaient pas tournés dans la bonne direction ! Le vaisseau obéissait et présentait l’arrière vers le sol. À gauche et à droite de la vue arrière, des portions de la coque externe étaient visibles, minces structures anguleuses conçues pour des flux de plasma interstellaire, mais en aucun cas pour l’atmosphère d’une planète. À présent, leurs extrémités rougeoyaient. Des éclaboussures jaunes et rouges en jaillissaient comme des embruns lumineux. Les parties les plus acérées, chauffées à blanc, se décollaient par couches successives. Mais les propulseurs auxiliaires crachaient encore dans un enchaînement d’impulsions minuscules. Marche, arrêt. Marche, arrêt. L’entité inconnue qui dirigeait les pilotes de Jau prenait un malin plaisir à conserver l’orientation de la Main. Faute d’un contrôle de cette précision, le flux qui se brisait sur la coque irrégulière du vaisseau les lancerait dans une longue culbute, et un million de tonnes de métal seraient déchirées par des forces qu’elles n’avaient jamais été conçues pour affronter.

Un voile rougeoyant enveloppait la poupe, transparent dans les rares endroits où le frottement n’était pas assez fort pour vaporiser la coque. Jau se laissa glisser sur son siège ; l’accélération augmentait lentement, inexorablement. Quatre cents millièmes de g, huit cents millièmes. Mais cette accélération n’était pas causée par le réacteur principal. Ils étaient livrés aux caprices d’une atmosphère planétaire.

Et il y avait un autre son. Non pas le grondement des auxiliaires, mais un son riche, qui prenait de l’ampleur. De sa gorge à sa coque externe, la Main invisible était devenue un immense tuyau d’orgue. Le son chutait de fréquence en fréquence à mesure que le vaisseau s’enfonçait plus profondément, plus lentement. L’auréole de l’ionisation vacilla et disparut, le chant d’agonie de la Main alla crescendo… et cessa.

Sur la vue arrière, Jau contempla un spectacle qui aurait dû être impossible. Les structures anguleuses de la coque avaient été lissées et fondues par leur exposition à la chaleur. Mais la Main pesait un million de tonnes ; les pilotes lui avaient conservé une orientation précise au sein du flux et la plus grande partie de son énorme masse avait survécu.

Il était plaqué à son siège par une accélération de presque 1 g standard, mais celle-ci était quasiment à angle droit de la précédente. C’était la pesanteur planétaire. La Main était devenue une sorte d’avion, un désastre volant qui glissait dans le ciel. Ils étaient à quarante mille mètres d’altitude et descendaient à la vitesse constante de cent mètres par seconde. Jau regarda l’horizon pâle, les crêtes et les blocs de glace qui défilaient dans son champ de vision. Certains avaient cinq cents mètres de hauteur ; c’était de la glace expulsée à la surface par la lente congélation des profondeurs océaniques. Il pianota sur sa console, capta fugitivement l’attention d’un pilote, glana une miette d’information : ils franchiraient cette ligne de crêtes et les trois autres derrière elle. Au-delà, près de l’horizon, les ombres étaient plus douces… une illusion due à l’éloignement, ou peut-être une épaisse couche de neige qui matelassait la glace déchiquetée.

Jau entendit les détonations de l’arme à tir rapide de Brughel se répercuter dans les coursives de la Main. Il y eut des cris, un silence, puis de nouveaux coups de feu, encore plus loin. Toutes les écoutilles devaient être bloquées. Et Ritser Brughel les perforait l’une après l’autre. En un sens, le Vice-Subrécargue avait raison : il contrôlait la couche physique. Il pouvait atteindre l’équipement optique de la coque, couper la liaison avec L1. Il pouvait « déconnecter » tous les zombies locaux encore récalcitrants…

Trente mille mètres. Une chiche clarté solaire se réfléchissait sur la glace, mais il n’y avait aucun signe de lumières artificielles ni d’agglomérations. Ils descendaient au milieu du plus grandiose des océans d’Arachnia. La Main volait encore à plus de Mach 3. La vitesse de descente était toujours de cent mètres par seconde. L’intuition de Jau plus les quelques indices relevés sur le tableau d’états lui disaient qu’ils allaient s’écraser dans le décor à une vitesse supersonique. À moins que… La puissance libérée montait toujours : si l’on pouvait allumer le réacteur principal une fois de plus, et précisément au bon moment… un miraculeux coup de pouce pourrait les sauver. La Main était si énorme que son ventre et sa gorge pouvaient servir de coussins amortisseurs, pulvérisés sur des kilomètres d’impact au sol, tout en conservant intacts la passerelle et les compartiments habités. Cet idiot de Pham Trinli s’était vanté d’une aventure similaire.

Une chose était certaine. Même si Jau recouvrait en cet instant le plein contrôle des commandes et les talents de tous ses pilotes, il était exclu qu’il puisse réussir pareil atterrissage.

Ils avaient franchi la dernière ligne de crêtes. Les propulseurs auxiliaires entrèrent brièvement en action – un mouvement de lacet d’un degré – les guidant comme s’ils connaissaient précisément la configuration du terrain.

Il ne restait plus que quelques secondes à Ritser Brughel le sanguinaire. Rita ne risquerait plus rien. Jau regarda la surface accidentée monter vers lui. Et, avec elle, un sentiment des plus insolites, mélange de terreur, de triomphe et de liberté.

— Tu arrives trop tard, Ritser. Trop tard.

Soixante

Belga Underville avait rarement vu joie ou peur aussi fortes, et jamais associées aux mêmes événements par les mêmes personnes. Les gens de Coldhaven auraient dû pousser des hourras lorsque, vague après vague, leurs missiles antimissiles anéantissaient les fusées de la Parenté et que des centaines d’autres engins ennemis explosaient en vol ou manquaient leur cible pour diverses autres raisons. Le taux de succès approchait déjà les quatre-vingt-dix-neuf pour cent. Ce qui laissait trente ogives nucléaires pénétrer dans le territoire de l’Accord. C’était la différence entre l’annihilation et un simple désastre isolé… et les techniciens se rongeaient les mains nourricières en se démenant pour neutraliser ces ultimes menaces dispersées.