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— Vous avez raison, monsieur. Il ne tombe plus que des morceaux de ferraille. Je…

Rachner se retourna, se rendant soudain compte à quel point le froid avait pénétré l’habitacle.

Underhill était parti.

Thract se précipita vers la porte entrouverte.

— Monsieur ! Sherkaner !

Il descendit les marches extérieures, tournant la tête de ci, de là pour essayer d’entrevoir Underhill. L’air était calme, mais si froid qu’il en était corrosif. Sans respirateur chauffé, il aurait les poumons brûlés en quelques minutes.

Là-bas ! À une quarantaine de pieds de l’hélicoptère, à l’ombre des clartés stellaire et céleste, deux taches ultrarouges. Underhill claudiquait lentement derrière Mobiy. Le guidebogue le tirait doucement, sondant à chaque pas le flanc de la colline avec ses long bras. C’était le comportement instinctif d’un animal dans un froid sans espoir, qui cherchait jusqu’au bout un profond efficace. Ici, au milieu de nulle part, l’animal n’avait aucune chance. En moins d’une heure, son maître et lui seraient morts, leurs tissus desséchés.

Thract dévala les marches et appela Underhill. Au-dessus de lui, les pales de l’hélicoptère se mirent à tourner. Thract se hérissa sous le souffle glacial. Lorsque les turbines montèrent en régime et que les rotors commencèrent à soulever l’appareil pour de bon, il se retourna et se hissa dans l’habitacle. Il s’acharna sur le pilote automatique et programma sa déconnexion intégrale.

Peine perdue ! Les turbines atteignirent le régime de décollage et l’hélicoptère s’éleva. Rachner entrevit pour la dernière fois les ombres qui cachaient Sherkaner Underhill. Puis l’appareil s’inclina vers l’est et cette scène disparut derrière lui.

Soixante et un

Dans de faibles volumes, les décompressions explosives étaient normalement fatales. Rapidement fatales. Ce fut l’un de ses gardes qui, involontairement, sauva la vie de Tomas Nau. Au moment précis où la coque chauffée à blanc se perfora, Tung lâcha son harnais et se lança vers l’écoutille. La décompression les attira tous vers l’extérieur, mais Tung flottait librement et était le plus proche du trou. Il se ficha la tête la première dans le magma, aspiré jusqu’à la taille.

Qiwi avait tant bien que mal conservé sa place près de l’écoutille coincée de la navette. Elle avait déjà ouvert celle de L1-A. Elle se retourna, empoigna son père et le poussa dans le sas adjacent d’un mouvement fluide, presque une sorte de danse. À peine Nau avait-il commencé de réagir qu’elle se tourna encore une fois, cala son pied dans un anneau mural et tendit le bras pour attraper sa chemise du bout des doigts. Elle tira d’abord doucement, puis, lorsqu’il fut plus près, l’empoigna de toutes ses forces et le poussa dans l’embrasure.

Sauvé. Moi qui me voyais mort cinq secondes plus tôt. L’air expulsé sifflait bruyamment. Le collier d’arrimage endommagé pouvait éclater d’une seconde à l’autre.

Qiwi s’éloigna du sas.

— Je vais chercher Marli et Ciret.

— C’est ça !

Nau retourna vers l’ouverture et se maudit pour avoir perdu son pistolaser dans la confusion. Il regarda à l’intérieur de la navette. Un garde était manifestement mort : les jambes de Tung ne bougeaient même plus. Marli était certainement mort lui aussi, sinon assommé, bien que Qiwi s’escrime à le dégager en même temps que Ciret. Elle allait les sortir de la navette en une seconde, aussi rapidement et efficacement qu’elle l’avait sauvé lui-même et Ali Lin. Qiwi était carrément trop dangereuse, et c’était l’occasion ou jamais de se débarrasser d’elle.

Nau pesa sur l’écoutille extérieure de L1-A. Elle pivota en douceur sous la pression de l’air et claqua dans un fracas assourdissant. Voletant sur les touches, les doigts de Nau composèrent le code pour une séparation forcée. De l’autre côté de la paroi, il y eut une explosion de gaz – whump ! – et un choc métal sur métal – bang ! Nau imagina la navette privée d’air qui s’éloignait du sas. Laissons Pham Nuwen s’entraîner au tir sur des macchabées.

Dans le sas, la pression redevint rapidement normale. Nau ouvrit l’écoutille intérieure et fit passer Ali dans la coursive. Le vieillard marmonna, à moitié inconscient. Au moins, il avait cessé de saigner. Me crève pas dans les pattes, vieux con. Ali n’était plus qu’un tas de viande sans valeur, mais, à long terme, c’était un vrai trésor. Avec tout ce que l’opération allait coûter, autant ne pas le perdre.

Nau poussa doucement Ali Lin sur toute la longueur de la coursive. Les parois autour de lui étaient en plastique vert. C’était à l’origine la chambre forte à bord du Bien commun. Sa forme irrégulière était alors justifiée. À présent, sa valeur résidait dans sa construction monolithique et dans son blindage : plusieurs mètres de composites avec le point de fusion du tungstène. Toute la puissance de feu que possédait Pham Nuwen ne pourrait l’atteindre ici.

Quelques jours plus tôt, la chambre forte contenait encore la plupart des armes lourdes survivantes du système MarcheArrêt. Elle était à présent quasiment vide, dévalisée pour appuyer la mission de la Main invisible. Pas de problème. Nau avait veillé à y conserver suffisamment d’armes nucléaires. Si nécessaire, il pourrait s’adonner à la gestion du désastre total, un jeu vieux comme le monde.

Alors, qu’est-ce qui est récupérable ? Il n’avait qu’une très vague idée de ce que contrôlait Nuwen. Tomas Nau vacilla un instant. Il avait tout sa vie étudié pareils personnages, et voilà qu’il en affrontait un. Mais si je gagne, je serai d’autant plus grand. Il restait une douzaine de choses à faire, et quelques secondes seulement pour les faire. Il se débarrassa d’Ali, qui tomba lentement sous la microgravité de l’agglomérat. Un kit télécom et des ATH locaux étaient accrochés sur du crampofeutre près de la porte. Il s’en empara et énonça des ordres brefs. Ici, l’automatisation était primitive, mais il ferait avec. Il pouvait maintenant voir à l’extérieur de la chambre forte. Le temp’ des Fourgueurs était au-dessus de son horizon ; il n’y avait pas de navettes en transit, pas de silhouettes en combinaisons étanches qui s’approchaient à la surface de l’agglomérat.

Plongeant dans l’espace libre, il sortit une petite torpille de sa caisse. Le drapeau au coin de ses ATH lui indiqua que son appel avait été reçu à Hammerfest. Le pictogramme de sonnerie disparut et la voix de Pham résonna dans son oreille.

— Nau ?

— Vous avez deviné du premier coup, monsieur.

Nau guida la torpille jusqu’au tube de lancement que Kal Omo avait installé trente-cinq jours seulement plus tôt. Ç’avait semblé alors une précaution délirante. Maintenant, c’était sa dernière chance.

— Il est temps de vous rendre, Subrécargue. Mes forces contrôlent intégralement l’espace L1. Nous…

Il émanait de la voix une tranquille certitude, sans rapport avec la vantardise du Pham Trinli de naguère. Nau n’avait guère de mal à s’imaginer que des gens ordinaires s’accrochent à cette voix et se laissent mener. Mais Tomas Nau était un pro lui aussi. Il ne se gêna pas pour interrompre Nuwen.

— Au contraire, monsieur. Je détiens le seul pouvoir qui compte.

Il toucha le panneau près du tube de lancement. Dans une explosion amortie, l’air comprimé arracha le couvercle extérieur et expulsa la neige.