Выбрать главу

— J’ai programmé et chargé un engin nucléaire tactique. La cible est le temp’ des Fourgueurs. Le choix de l’arme m’est dicté par les circonstances, mais je suis sûr qu’elle sera à la hauteur.

— Vous ne pouvez pas faire cela, Subrécargue. Vous avez trois cents de vos gens là-bas.

Nau rit doucement.

— Mais si, je le peux. Je perds beaucoup dans l’affaire, mais j’ai encore du monde en cryostase. Je… vous êtes vraiment Pham Nuwen ?

La question lui avait échappé. Ou presque.

Un silence. Lorsque Nuwen répondit, il semblait troublé.

— Oui.

Et vous faites tout vous-même, n’est-ce pas ? Logique. Une conspiration ordinaire aurait été détectée depuis longtemps. Il n’y avait jamais eu que les seuls Pham Nuwen et Ezr Vinh. Tel un pionnier isolé tirant son chariot d’un bout à l’autre d’un continent, Nuwen avait persévéré, avait presque triomphé.

— C’est pour moi un honneur de vous rencontrer, monsieur. Je vous étudie depuis de nombreuses années.

Tout en parlant, Nau afficha une vue des diagnostics de la torpille. La perspective longitudinale montrait le rail de lancement ; le tube était dégagé.

— Votre seule erreur est peut-être que vous n’avez pas totalement compris la culture des Subrécargues. Voyez-vous, nous autres Subrécargues sommes formés par le désastre. C’est ce qui constitue notre force intérieure et nous donne un avantage décisif. Si je détruis le temp’, ce sera une perte énorme pour les installations en L1. Mais ma situation personnelle en sera améliorée. J’aurai encore l’agglomérat. J’aurai encore un nombre important de zombies. J’aurai encore la Main invisible.

Il se détourna du tube de lancement pour compter les torpilles qui restaient dans les casiers ; peut-être serait-il forcé de détruire aussi les Combles de Hammerfest. Ça, ce n’était même pas au programme des plans-catastrophes les plus pessimistes. Peut-être y aurait-il un moyen de procéder qui permettrait la survie de quelques zombies. Une autre partie de son esprit était dans l’expectative, curieuse de savoir ce que Pham Nuwen allait répondre. Allait-il céder comme un individu ordinaire, ou bien avait-il véritablement l’étoffe d’un Subrécargue ? Cette question était au cœur de la faiblesse morale de Pham Nuwen.

Brusquement, un tintamarre métallique résonna dans la chambre forte. Ali Lin ? Dans sa lente chute, il était sorti de son champ de vision, quelque part à l’autre bout. Or le bruit ne cessait de se répéter ; c’était comme un million de plaques métalliques qui s’entrechoquaient. Et si ça venait de l’accès souterrain ? Au point le plus bas de la chambre forte, donc. Nau avança sans bruit vers le début de la pente.

La voix de Pham Nuwen était à peine audible dans le vacarme.

— Vous vous trompez, Subrécargue. Vous ne disposez pas du…

Nau coupa l’audio d’un revers de main et continua d’avancer lentement. Il inspecta la chambre forte dans toute sa longueur avec ses caméras fixes. Rien. L’automatisation primitive était autant un handicap qu’une garantie de survie. D’accord. Des armes ? Y aurait-il quelque chose de plus petit qu’un engin nucléaire dans les parages ? La base de données n’était pas exactement prévue pour pareilles broutilles. Laissant le catalogue défiler dans ses ATH, il rasa le mur, toujours invisible d’en bas. Les claquements et tintements métalliques continuaient. Ah ! c’était les servos au fond du lac : le bruit était canalisé par le tunnel ! Drôle de fanfare pour accompagner une entrée clandestine !

Le traître – car c’était lui – émergea dans son champ de vision.

— Ah, monsieur Vinh. Je vous croyais noyé, et bien noyé.

En fait, Vinh, avec son visage terreux, semblait à moitié inconscient. Aucune trace des blessures infligées par les lasers. Mais non, il a volé une de mes vestes. Le tissu autocrispant était ajusté, les plis parfaits, mais le bras droit était subtilement tordu, bosselé. Vinh tenait gentiment Ali contre son épaule gauche. Lorsqu’il regarda Nau, ce fut comme si la haine le ranimait.

Mais la partie inférieure de la chambre forte ne recelait pas d’autres intrus. Et Nau avait terminé ses recherches dans le catalogue : il y avait trois pistolasers dans l’armoire juste derrière lui ! Nau poussa un soupir de soulagement et sourit au Fourgueur.

— Vous vous en êtes bien tiré, monsieur Vinh.

À quelques secondes près, Vinh se serait trouvé ici avant lui et aurait pu lui tendre une embuscade en règle. Au lieu de quoi… l’individu était sans armes, manchot et faible comme un chaton. Et Tomas Nau était entre lui et l’armoire aux lasers.

— Excusez-moi, mais je n’ai pas le temps de discuter. Écartez-vous d’Ali, s’il vous plaît.

Il parlait d’une voix douce, sans les quitter des yeux. Sa main gauche se releva pour ouvrir l’armoire. Peut-être que cette manière tranquille agirait sur Vinh et qu’il pourrait le tuer proprement.

— Tomas !

Qiwi se tenait au-dessus d’eux, à l’entrée de l’espace libre de la chambre forte.

Un instant, Nau resta muet de saisissement. Elle saignait du nez. Sa robe en dentelle était déchirée et maculée. Mais elle était en vie. Le dispositif d’éjection a dû se bloquer en même temps que l’écoutille de la navette. Avec la navette encore en place, le système de sécurité du sas ne s’était pas réinitialisé… et, d’une manière ou d’une autre, Qiwi avait fini par entrer à la force du poignet.

— Nous étions coincés, Tomas. Il y a dû y avoir un problème quelconque avec le sas.

— Oh, oui ! dit Nau avec une angoisse parfaitement sincère. Il s’est refermé tout seul et j’ai entendu siffler les purgeurs. Je… je te croyais morte.

Qiwi descendit du plafond, guidant le corps de Rei Ciret jusqu’à une banquette en crampofeutre. Le garde était peut-être vivant, mais il n’était manifestement d’aucune utilité en cet instant.

— Je… je suis désolée, Tomas. Je n’ai pas réussi à sauver Marli.

Elle traversa la pièce pour le serrer dans ses bras, mais il y avait dans son geste une certaine hésitation.

— À qui tu parlais ?

C’est alors qu’elle aperçut Vinh et Ali.

— Ezr ?

Pour une fois, la chance était de son côté : Vinh était parfait, la veste maculée comme un tablier de boucher – avec le sang d’Ali Lin. Derrière Vinh, on entendait toujours le claquement des servos dans le parc détruit. Le Fourgueur parlait d’une voix rauque, haletante.

— Nous avons pris le contrôle de L1, Qiwi. À part deux ou trois nervis de Nau, nous n’avons blessé personne…

Et le corps ensanglanté du père de Qiwi reposait dans ses bras !

— Nau se sert de toi comme il l’a toujours fait. Sauf que, cette fois, il va tous nous tuer. Regarde autour de toi ! Il va atomiser le temp’.

— Je…

Mais Qiwi regarda quand même autour d’elle, et Nau n’aima pas ce qu’il vit dans ses yeux.

— Qiwi, dit-il, regarde-moi. Nous sommes en présence du même groupe qui était derrière Jimmy Diem.

— C’est toi qui as assassiné Jimmy ! cria Vinh.

Qiwi essuya son nez ensanglanté sur la fine étoffe blanche de sa manche. Un instant, elle eut l’air très jeune et très désemparée, aussi désemparée que le jour où Nau se l’était appropriée pour la première fois. Elle cala son pied dans un arrêtoir mural et se tourna vers lui. Songeuse. D’une manière ou d’une autre, il fallait qu’il gagne du temps, rien qu’une poignée de secondes.