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— Qiwi, pense à qui dit ça !

Nau indiqua d’un geste Ezr et Ali Lin. Il prenait un risque énorme ; c’était une manipulation désespérée. Mais ça marchait ! Qiwi se tourna légèrement, le quittant momentanément des yeux. Il glissa la main dans l’armoire et chercha à tâtons une crosse de pistolaser.

— Qiwi, pense à qui dit ça !

Nau indiqua d’un geste Ezr et Ali Lin. Et la pauvre Qiwi se tourna vers eux ! Derrière elle, Ezr vit un sourire passer fugitivement sur le visage de Nau.

— Tu connais Ezr. Il a essayé de tuer ton père à North Paw ; il croyait pouvoir se servir de lui pour arriver jusqu’à moi. S’il avait un couteau, il serait en train de charcuter ton père en ce moment même. Tu sais quel sadique il est. Rappelle-toi comment il t’a battue, et comment je t’ai tenue dans mes bras après.

Ces paroles s’adressaient à Qiwi, mais elles frappèrent Ezr de plein fouet – d’horribles vérités mélangées à des mensonges meurtriers.

Qiwi resta un moment immobile. Mais maintenant, elle serrait les poings ; ses épaules se crispaient sous quelque terrible tension. Et Ezr se dit : Nau va gagner, et c’est à cause de moi. Repoussant la grisaille qui semblait se refermer sur lui de tous les côtés, il fit une dernière tentative :

— Je ne le dis pas pour moi, Qiwi. Mais pour tous les autres. Pour ta mère. S’il te plaît, écoute-moi. Nau te ment depuis quarante ans. Chaque fois que tu apprends la vérité, il te fait un lavage de cerveau. Et le cycle recommence. Et recommence. Et tu ne peux jamais te souvenir.

Qiwi comprit. L’horreur envahissait son visage.

— Cette fois-ci, je vais me souvenir.

Elle se retourna au moment où Nau sortait un objet de l’armoire derrière eux et lui enfonça son coude dans la poitrine. Il y eut comme un bruit de branches cassées ; Nau rebondit contre l’armoire et s’envola vers l’espace libre de la chambre forte. Un pistolaser flottait derrière lui. Nau se jeta sur l’arme, mais elle lui échappa de plusieurs centimètres et il ne pouvait prendre appui que sur de l’air. Qiwi se cala contre le mur, s’étira et cueillit l’arme au vol. Elle la braqua sur la tête du Subrécargue.

Nau culbutait lentement ; il se tortilla pour s’aligner sur Qiwi. Il ouvrit la bouche, la bouche qui avait un mensonge convaincant pour toutes les occasions.

— Qiwi, tu ne peux pas…, commença-t-il.

Puis il dut voir le regard de Qiwi. L’arrogance de Nau, la suave arrogance que Vinh avait observée pendant la moitié de sa vie avait soudain fondu comme neige au soleil. La voix de Nau n’était plus qu’un chuchotement.

— Non, non.

La tête et les épaules de Qiwi tremblaient, mais ses paroles étaient dures comme pierre.

— Je me souviens.

Écartant sa ligne de mire du visage de Nau, elle visa au-dessous de la ceinture… et tira une longue rafale. Le cri de Nau devint un hurlement aigu qui cessa lorsque le trait incandescent le fit tournoyer puis le toucha à la tête.

Soixante-deux

L’obscurité partout, et puis la lumière. Elle flottait vers le haut, vers cette clarté. Qui suis-je ? La réponse arriva rapidement, portée par une vague de terreur. Anne Reynolt.

Souvenirs. Le repli dans les montagnes. Les ultimes jours du jeu de cache-cache. Les envahisseurs balacriens trouvent ses grottes l’une après l’autre. Le traître, démasqué trop tard. Les derniers survivants pris dans une embuscade, attaqués par la voie des airs. Elle, debout au flanc d’une montagne, encerclée par les blindés balacriens. L’atroce odeur de la chair brûlée dans l’air vif du matin.

Mais les ennemis avaient cessé de tirer. Ils l’avaient capturée vivante.

— Anne ?

La voix était douce, pleine de sollicitude. La voix d’un tortionnaire qui soigne l’ambiance avant de monter d’un cran dans l’horreur.

— Anne ?

Elle ouvrit les yeux. Un volumineux matériel de torture balacrien l’entourait, juste à la périphérie de son champ de vision. Exactement l’horreur à laquelle elle s’attendait, sauf qu’ils étaient en apesanteur. Ils possèdent nos villes depuis quinze ans. Pourquoi m’emmener dans l’espace ?

Son interrogateur émergea du néant. Cheveux noirs, teint balacrien typique, visage ni-vieux-ni-jeune. Ce devait être un Subrécargue de haut rang. Mais il portait une bizarre veste fractille, comme aucun Subrécargue n’en avait jamais porté, pour autant qu’elle s’en souvienne. Une expression de fausse anxiété était plaquée sur son visage. Un imbécile ; il en rajoute. Il déposa un bouquet de fleurs blanches et douces sur ses genoux, comme un cadeau. Elles exhalaient l’odeur des étés chauds à jamais révolus. Il doit y avoir un moyen de mourir. Il doit y avoir un moyen de mourir. Ses bras étaient attachés, évidemment. Mais s’il s’approchait assez près, elle avait encore ses dents. Peut-être que, si c’était vraiment un imbécile…

Il tendit le bras et lui toucha doucement l’épaule. Anne se tordit et mordit la main baladeuse du Subrécargue. Il se dégagea, abandonnant un sillage de minuscules gouttes rouges flottant dans l’air entre eux deux. Mais il n’était pas bête au point de la tuer sur-le-champ. Au lieu de quoi, il jeta un regard féroce à quelqu’un d’invisible derrière la batterie d’instruments.

— Trud ! Qu’est-ce que tu lui as fait, nom de Dieu !

Elle entendit une voix geignarde qui lui était familière sans qu’elle puisse la reconnaître.

— Pham, tu étais prévenu ! Je t’ai bien dit que c’était une procédure difficile. Sans elle pour contrôler, on ne peut pas être sûrs…

L’interlocuteur apparut. C’était un petit bonhomme énervé en uniforme de tech balacrien. Il ouvrit de grands yeux lorsqu’il vit le sang flotter dans l’air. Il posa sur Anne un regard plein de crainte. Satisfaisant pour elle, peut-être, mais inexplicable.

— Al et moi, on ne peut pas en faire plus. On aurait dû attendre que Bil sorte de… Regarde ! Peut-être que c’est seulement un trou de mémoire temporaire.

L’autre – l’ancien – se mit en colère, mais il semblait avoir peur lui aussi.

— Je voulais une déFocalisation, pas un putain de lavage de cerveau !

Le petit bonhomme, Trud… Trud Silipan, battit en retraite.

— T’inquiète pas. Je suis sûr qu’elle va s’en sortir. Je te jure qu’on n’a pas touché les structures mémorielles.

Il lui lança encore un regard inquiet.

— Peut-être que… je ne sais pas, moi, mais peut-être que la déFocalisation a marché impec et qu’on assiste maintenant à une sorte d’autorépression.

Il s’approcha un peu plus, toujours hors de portée de ses mains et de ses dents, et lui adressa un pâle sourire.

— Chef ! Vous vous souvenez de moi ? Trud Silipan ? Nous avons travaillé ensemble pendant des années de Veille, et, avant ça, sur Balacrea, sous les ordres d’Alan Nau. Vous ne vous souvenez de rien ?

Anne considéra le visage rond, le sourire faiblard. Alan Nau. Tomas Nau. Oh… mon Dieu ! Elle venait de se réveiller dans un cauchemar qui ne s’était jamais terminé. Les fosses de torture, et puis la Focalisation, et puis toute une vie passée à être l’Ennemi.

Le visage de Silipan était devenu flou.

— Regarde, Pham ! dit-il soudain d’un ton joyeux. Elle pleure. Elle se souvient, alors !

Oui. De tout.

Mais Pham Nuwen était encore plus furieux qu’avant.

— Sors d’ici, Trud. Sors d’ici. Vu ?

— C’est facile à vérifier. On peut lui…