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Soixante-quatre

La Commanderie des Terres était à deux cents Ksec de là. Ils remontèrent la longue route encaissée à bord des véhicules des Araignées. D’irréels souvenirs flottaient dans l’esprit d’Ezr. De nombreux édifices étaient neufs, mais j’étais ici avant que tout commence. À l’époque, la ville était incompréhensible. À présent, l’information resplendissait de partout. Zinmin Broute bondissait d’une fenêtre à l’autre, débordant d’enthousiasme, et nommait tout ce qu’il voyait. Ils passèrent devant la bibliothèque qu’Ezr avait pillée avec Benny Wen, le Musée de la Ténèbre et le groupe de statues au début de l’Allée Royale – la « Conclusion de l’Accord » par Gokna. Zinmin pouvait fournir des explications sur chacune des figures entrelacées.

Mais aujourd’hui, ils n’étaient plus des fantômes hantant le sommeil d’autrui. Aujourd’hui, la ville était brillamment éclairée, et lorsqu’ils descendirent finalement dans la partie souterraine, ils eurent une brutale impression d’insolite, aussi brutale que les visions de cauchemar arachnophobes de Ritser Brughel. Les escaliers étaient aussi raides que des échelles, et les pièces ordinaires étaient si basses de plafond qu’Ezr et Zinmin devaient s’accroupir pour aller d’un endroit à un autre. Malgré les drogues ancestrales et des millénaires de génie génétique, la traction non mitigée de la pesanteur planétaire était un handicap constant qui troublait leurs pensées. Ils étaient logés dans ce que Zinmin disait être des appartements royaux, des pièces au sol velu et au plafond assez haut pour qu’ils puissent se tenir debout. Les négociations commencèrent le lendemain.

Les Araignées qu’ils connaissaient par les traductions étaient presque toutes absentes. Belga Underville, Elno Coldhaven – ces noms-là, Ezr les avait entendus, mais ils étaient toujours restés en marge. Ces gens n’avaient pas participé à la contre-écoute de Sherkaner Underhill. Ils devaient toutefois consulter Victory Lighthill. À maintes reprises pendant les négociations, Underville se retirait pour tenir des conversations sifflantes avec des interlocuteurs invisibles.

Au bout de deux jours, Ezr comprit que certains de ces interlocuteurs étaient très éloignés : Trixia ? De retour dans ses appartements, Ezr appela L1. Bien entendu, la liaison était contrôlée par les Araignées. Ezr n’en avait cure.

— Tu m’avais dit que Trixia était en cours de déFocalisation.

La pause lui sembla bien plus longue que dix secondes. Tout à coup, Ezr ne voulut plus attendre les excuses et les prétextes.

— Écoute, nom de Dieu ! Tu avais promis qu’elle serait en déFocalisation. Tôt ou tard, tu seras obligé de t’arrêter de te servir d’elle !

Puis il entendit la voix de Pham.

— Je sais, Ezr. Le problème, c’est que les Araignées ont insisté pour qu’elle soit disponible, encore Focalisée. Si nous refusons, ça fiche tout par terre… et Trixia refuse de coopérer avec nous pour la déFocalisation. Nous serions obligés de la forcer à s’y soumettre.

— Je m’en fiche ! Elle ne leur appartient pas plus qu’à Tomas Nau.

La peur lui noua la gorge, et il faillit se mettre à brailler. De l’autre côté de la pièce, Zinmin Broute semblait aussi heureux qu’un zombie pouvait l’être. Assis en tailleur sur le tapis velu, il feuilletait une sorte de livre d’images araignée. Nous nous servons de lui aussi. Nous y sommes obligés, pour un petit moment encore.

— Ezr, c’est seulement pour une courte période. Anne en est catastrophée elle aussi, mais c’est la seule communication sûre que les Araignées puissent avoir avec nous. Ils font presque confiance aux Focalisés. Nous pouvons dire et affirmer quoi que ce soit, c’est avec les zombies qu’ils en discutent. Nous n’avons aucune chance de récupérer les gens de la Main sans cette confiance. Nous n’avons aucune chance de défaire l’œuvre de Nau sans cela.

Rita et Jau. L’écrin à serrure tactile était posé sur son paquetage. Bizarre. Les Araignées n’avaient pas exigé de l’inspecter, comme ses autres effets, d’ailleurs. Ezr céda.

— D’accord. Mais, après cette réunion, plus personne ne possédera qui que ce soit. Autrement, j’arrête tout et les négociations tombent à l’eau.

Il coupa la communication sans attendre une éventuelle réponse. Après tout, l’autre pouvait lui dire ce qu’il voulait, ça lui était égal.

Presque chaque jour, ils descendaient la pente tortueuse qui les conduisait à la même salle de conférence sinistre. Zinmin prétendait qu’il s’agissait du bureau personnel du chef des Renseignements, une « pièce bien éclairée, avec des niches en mezzanine et des perchoirs isolés ». Il y avait des niches, en effet, de sombres cheminées cannelées avec des repaires cachés au sommet. La vidéo sur les murs était un étalage permanent d’absurdités. Zinmin et lui devaient traverser un sol de pierre froide pour s’asseoir sur des fourrures empilées. Quatre ou cinq Araignées étaient habituellement présentes, dont, presque toujours, Underville ou Coldhaven.

Mais les négociations se passaient bien. Avec les zombies pour appuyer ses déclarations, les Araignées semblaient croire ce qu’Ezr avait à dire. Elles semblaient comprendre à quel point la situation pourrait s’améliorer avec rien qu’un peu de coopération. Les Araignées pourraient certainement être présentes sur l’agglomérat. Le transfert de technologie vers Arachnia se ferait sans restrictions, en échange du libre accès des humains à la planète. Ultérieurement, l’agglomérat et le temp’ seraient transférés sur une orbite haute autour d’Arachnia et la construction en commun de chantiers spatiaux serait envisagée.

Passer des Ksec chaque jour à siéger avec les Araignées était une expérience éprouvante. L’esprit humain n’était pas conçu pour trouver pareilles créatures sympathiques. Elles semblaient ne pas avoir d’yeux, seulement des carapaces de cristal plus performantes que toute vision humaine. On ne pouvait jamais savoir ce qu’elles regardaient. Leurs mains nourricières étaient constamment en mouvement, chargées de significations qu’Ezr commençait seulement à comprendre. Et quand elles gesticulaient avec leurs bras principaux, le mouvement abrupt et agressif évoquait une créature en train d’attaquer. L’air avait une odeur âcre de renfermé, accentuée lorsque des Araignées supplémentaires encombraient la pièce. Et, la prochaine fois, on amènera nos propres toilettes. Ezr avait les jambes arquées à force de s’adapter aux commodités locales.

Zinmin se chargeait de la plupart des traductions interactives. Mais Trixia et les autres étaient à l’écoute, et, parfois, lorsqu’une extrême précision était requise, c’était par sa voix que s’exprimaient Underville ou Coldhaven ; Underville la flic implacable, Coldhaven le sémillant jeune général. La voix de Trixia, les âmes des autres.

La nuit, il y avait des rêves, souvent moins déplaisants que la réalité qu’il affrontait le jour. Les pires étaient ceux qu’il pouvait comprendre. Trixia lui apparaissait, sa voix et ses pensées oscillant entre la jeune femme qu’il avait jadis connue et les esprits non humains qui la possédaient à présent. Parfois, son visage se changeait insensiblement en une carapace vitreuse pendant qu’elle parlait, et lorsqu’il l’interrogeait sur ce changement, elle disait toujours qu’il s’imaginait des choses. C’était une Trixia qui resterait à jamais Focalisée, ensorcelée, perdue. Qiwi figurait dans de nombreux rêves, tantôt sous sa forme de gamine insupportable, tantôt telle qu’elle était lorsqu’elle avait tué Tomas Nau. Ils bavardaient, et, parfois, elle lui donnait des conseils. Dans ses rêves, ils étaient toujours sensés… et à son réveil, il ne se souvenait jamais des détails.