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Zinmin Broute pianotait sans relâche sur sa minuscule console pour saisir les paroles d’Ezr dans une langue intermédiaire puis guider la sortie audio. Des sifflements fantomatiques sortirent du haut-parleur de Broute : les pensées d’Ezr telles qu’une Araignée pourrait les exprimer oralement.

Underville attendit un instant puis émit un piaulement aigu. Ezr savait que c’était l’équivalent d’un reniflement méprisant.

Mais cet entretien pourrait, en dernier ressort, être montré à d’autres Araignées. Je ne vais pas vous lâcher comme ça, Underville. Ezr fouilla dans son paquetage et en tira le minuscule écrin de Rita.

— Et ça, qu’est-ce que c’est ? demanda la générale.

Aucune trace de curiosité dans la voix de Broute Underville.

— Un cadeau pour Jau Xin, de la part de sa femme. Un souvenir, au cas où vous ne voudriez pas le libérer.

Underville était perchée à près de deux mètres de lui, mais Ezr ne s’était jusqu’à présent pas rendu compte jusqu’où portaient les membres supérieurs d’une Araignée. Quatre bras noirs jaillirent comme des harpons et lui arrachèrent le coffret des mains. Les bras d’Underville se rétractèrent, présentèrent la boîte à un côté de sa carapace vitreuse, puis à un autre. Ses mains pointues produisaient de menus crissements tandis qu’elle essayait de forcer le couvercle et la serrure à empreinte.

— Elle est codée pour le pouce de Jau Xin. Si vous essayez de l’ouvrir de force, le contenu sera détruit.

— Tant pis.

Mais l’Araignée cessa d’appuyer les bouts effilés de ses mains sur la boîte. Elle la tint encore un moment puis poussa un sifflement aigu et la lança en direction d’Ezr.

Le discordant sifflement continua lorsque Zinmin Broute se mit à traduire.

— Maudits soient vos yeux d’avorton ! cracha Broute d’une voix irritée. Reprenez le cadeau destiné à un assassin. Reprenez Xin et le reste de l’équipage.

— Merci, mon général. Merci.

Ezr bondit pour ramasser le cadeau de Rita.

La voix de l’Araignée se tut brusquement, puis continua sur un mode plus calme, un peu comme des gouttes d’eau qui tombent sur du métal brûlant.

— Et je suppose que vous songez aussi à sauver Ritser Brughel ?

— Pas à le sauver, madame. Au fil des années, Ritser Brughel a probablement tué plus de gens de chez nous qu’il n’en a tué chez vous. Il doit répondre de nombreux crimes.

— Absolument. Mais il est exclu que nous vous remettions cet individu.

Broute le dit d’un ton suffisant, et Ezr devina que c’était là un point sur lequel les Araignées étaient unanimes.

Et c’était peut-être mieux ainsi. Ezr haussa les épaules.

— Très bien. Il vous appartient de le punir.

L’Araignée s’était considérablement calmée, jusqu’à ses mains nourricières.

— Le punir ? Vous avez mal compris. Cette stupide négociation ne nous a laissé qu’un seul humain en état de marche. Toute punition sera nécessairement accessoire. Nous apprenons beaucoup de la dissection des cadavres humains, mais nous avons désespérément besoin d’un sujet expérimental vivant. Quelles sont vos limites physiques ? Comment les créatures de votre race réagissent-elles à des douleurs et des peurs extrêmes ? Nous voulons effectuer des expériences avec des stimuli qui ne figurent pas dans nos bases de données. Je veux que Ritser Brughel vive longtemps, très longtemps.

Ritser Brughel est tout le contraire d’un échantillon représentatif du type humain. Mais ce ne serait peut-être pas très judicieux de le dire ici et maintenant. Au lieu de quoi Ezr se contenta de hocher la tête. Et il vit pour la première fois comment Ritser pourrait trouver un destin à la mesure de ses crimes. Les cauchemars du Vice-Subrécargue arachnophobe dureraient tout le reste de sa vie.

Soixante-cinq

Ezr Vinh retourna en héros sur L1. Il était possible que nul armateur ni associé n’ait jamais été accueilli avec l’enthousiasme qu’il constata sur l’agglomérat. Il ramenait avec lui les premiers prisonniers libérés, dont Jau Xin. Il amenait aussi les premiers nouveaux associés des Qeng Ho : les premières Araignées qui aient jamais volé dans l’espace.

C’est à peine s’il remarqua cet accueil. Il sourit, il parla, et puis quand il aperçut Rita et Jau ensemble, il ressentit une lointaine satisfaction.

La dernière à sortir de la chaloupe était Floria Peres, l’une des victimes de Ritser qu’il conservait dans sa cache cryostatique secrète, inutilisées jusqu’au dernier moment. Même après deux cents Ksec, la femme avait l’air atrocement désorientée, irrécupérable. Lorsque Ezr l’aida à sortir, le silence se fit dans la foule le long de la coursive centrale. Qiwi s’avança. Elle avait demandé à aider les victimes, mais lorsqu’elle s’immobilisa juste devant Floria, elle ouvrit de grands yeux et ses lèvres tremblèrent. Elles se dévisagèrent un moment. Puis Qiwi offrit sa main à Floria et la foule se referma derrière elles.

Ezr les regarda partir, mais son esprit était ailleurs : Anne Reynolt avait commencé la déFocalisation de Trixia une Ksec après qu’il eut quitté Arachnia. Tout au long des deux cents Ksec qu’avait duré le retour sur l’agglomérat, Pham l’avait régulièrement tenu au courant des progrès de l’opération. Cette fois, plus question de revenir en arrière. Trixia avait dépassé le stade de la préparation. Le virus avait d’abord été mis en phase de quiescence, ensuite Trixia avait été placée en coma artificiel. À partir de là, le mode de libération des neurotoxines avait lentement évolué.

— Anne a déjà fait ça des centaines de fois, Ezr, dit Pham. Elle dit que ça se passe bien. Trixia devrait sortir de clinique quelques Ksec seulement après ton retour ici.

Finis les délais. Trixia allait enfin être libre.

Deux jours plus tard, la nouvelle arriva. Trixia est prête.

Ezr rendit visite à Qiwi avant d’aller à la clinique de déFocalisation. Qiwi travaillait avec son père à la reconstruction du Parc. La plupart des arbres étaient morts, mais Ali Lin pensait pouvoir les ranimer. Même déFocalisé, il avait des idées merveilleuses pour le Parc. À présent, l’homme pouvait aussi aimer sa fille. Trixia sera comme cela, aussi libre qu’avant le cauchemar.

Qiwi parlait aux Araignées lorsque Ezr descendit le chemin qui traversait la forêt dévastée. Des chatons tournoyaient très haut dans le ciel, leur curiosité luttant avec l’arachnophobie.

— Pour le lac, nous voulons faire quelque chose de nouveau, libérer la forme, créer une écologie autonome.

Les Araignées étaient un peu plus grandes que Qiwi. En microgravité, ce n’était plus des créatures aplaties et basses sur pattes. La tension naturelle de leurs membres produisait une version araignée de la position humaine accroupie que favorisait une pesanteur nulle ; leurs bras et pattes fortement étirés sous le corps les rendaient grandes et minces. C’était la plus petite – Rhapsa Lighthill, probablement – qui parlait. Sa voix sifflante était presque musicale comparée à celle de Belga Underville.

— Nous vous observerons, mais je doute que beaucoup d’entre nous veuillent vivre ici. Nous voulons essayer de construire nos temp’s nous-mêmes.

Broute Zinmin traduisait sur le ton de la conversation enjouée. Peut-être était-il le dernier traducteur encore Focalisé.

Qiwi sourit à l’Araignée.

— Oui, je suis drôlement curieuse de voir ce que vous allez finalement faire. Je…

Elle leva les yeux et vit Ezr.

— Qiwi, je peux te parler ?

Elle s’approchait déjà de lui.

— Un instant, Rhapsa, s’il te plaît.

— Bien sûr.

Les Araignées se retirèrent sur la pointe des pieds, tandis que Zinmin continuait d’assaillir Ali Lin de questions.

Ezr et Qiwi se firent face, à trente centimètres seulement l’un de l’autre.

— Qiwi. Ils ont déFocalisé Trixia il y a environ deux mille secondes.

Elle réagit par un sourire radieux. Il y avait encore chez Qiwi une intensité enfantine. Surmontant toutes les épreuves de l’Exil, elle était demeurée un être humain et ouvert. Elle était à présent au centre de leurs négociations avec les Araignées – l’ingénieur dont elles avaient tenu à s’assurer les services en priorité. Ezr constatait maintenant l’étendue de ses talents, de la dynamique à la négociation pointue en passant par les biosciences. Qiwi représentait très bien l’esprit du Qeng Ho.

— Elle… elle va s’en tirer ?

Qiwi ouvrait de grands yeux, les mains serrées sur la poitrine.

— Oui ! Un peu de désorientation, d’après Anne, mais son esprit et sa personnalité sont intacts, et… et je peux venir la voir dans le courant de la journée.

— Oh, Ezr ! Je suis tellement heureuse pour elle.

Les mains de Qiwi se séparèrent et vinrent se poser sur les épaules d’Ezr. Brusquement, son visage fut très proche et ses lèvres frôlèrent sa joue.

— Je voulais te voir avant de lui parler…

— Oui ?

— Je… je voulais simplement te remercier de m’avoir sauvé la vie, de nous avoir tous sauvés.

Je veux te remercier de m’avoir rendu mon âme.

— Si Trixia et moi pouvons faire quelque chose pour toi…

Et elle était de nouveau à une longueur de bras, avec un sourire un peu étrange.

— Ce sera avec plaisir, Ezr. Mais… tu n’as pas besoin de me remercier. Je suis heureuse que ça se termine bien pour vous.

Ezr n’insista pas. Il se tournait déjà vers les cordes de guidage installées par Ali Lin pour son travail de reconstruction.

— C’est plutôt un heureux commencement, Qiwi. Toutes ces années étaient du temps mort, et finalement… Hé ! Je te parlerai une autre fois !

Il lui fit signe de la main puis empoigna les cordes et se hissa de plus en plus vite vers la sortie de la caverne.