Выбрать главу

— Qiwi, je peux te parler ?

Elle s’approchait déjà de lui.

— Un instant, Rhapsa, s’il te plaît.

— Bien sûr.

Les Araignées se retirèrent sur la pointe des pieds, tandis que Zinmin continuait d’assaillir Ali Lin de questions.

Ezr et Qiwi se firent face, à trente centimètres seulement l’un de l’autre.

— Qiwi. Ils ont déFocalisé Trixia il y a environ deux mille secondes.

Elle réagit par un sourire radieux. Il y avait encore chez Qiwi une intensité enfantine. Surmontant toutes les épreuves de l’Exil, elle était demeurée un être humain et ouvert. Elle était à présent au centre de leurs négociations avec les Araignées – l’ingénieur dont elles avaient tenu à s’assurer les services en priorité. Ezr constatait maintenant l’étendue de ses talents, de la dynamique à la négociation pointue en passant par les biosciences. Qiwi représentait très bien l’esprit du Qeng Ho.

— Elle… elle va s’en tirer ?

Qiwi ouvrait de grands yeux, les mains serrées sur la poitrine.

— Oui ! Un peu de désorientation, d’après Anne, mais son esprit et sa personnalité sont intacts, et… et je peux venir la voir dans le courant de la journée.

— Oh, Ezr ! Je suis tellement heureuse pour elle.

Les mains de Qiwi se séparèrent et vinrent se poser sur les épaules d’Ezr. Brusquement, son visage fut très proche et ses lèvres frôlèrent sa joue.

— Je voulais te voir avant de lui parler…

— Oui ?

— Je… je voulais simplement te remercier de m’avoir sauvé la vie, de nous avoir tous sauvés.

Je veux te remercier de m’avoir rendu mon âme.

— Si Trixia et moi pouvons faire quelque chose pour toi…

Et elle était de nouveau à une longueur de bras, avec un sourire un peu étrange.

— Ce sera avec plaisir, Ezr. Mais… tu n’as pas besoin de me remercier. Je suis heureuse que ça se termine bien pour vous.

Ezr n’insista pas. Il se tournait déjà vers les cordes de guidage installées par Ali Lin pour son travail de reconstruction.

— C’est plutôt un heureux commencement, Qiwi. Toutes ces années étaient du temps mort, et finalement… Hé ! Je te parlerai une autre fois !

Il lui fit signe de la main puis empoigna les cordes et se hissa de plus en plus vite vers la sortie de la caverne.

Reynolt avait transformé la salle de groupe des Combles en une salle de réveil. Les zombies étaient libérés dans les lieux mêmes où, Focalisés, ils avaient passé Veille après Veille au service des Subrécargues.

Anne l’intercepta dans le couloir, juste devant la salle.

— Avant d’entrer, n’oubliez pas que…

Vinh était déjà en train de la contourner. Il s’arrêta.

— Vous avez dit qu’elle s’en sortait sans problème.

— Oui. L’affect total est normal. La cognition générale est aussi bonne qu’avant ; Trixia a même conservé ses connaissances spécialisées. Nous allons pratiquer près de trois mille opérations de déFocalisation ; dans toute l’histoire de l’Émergence, aucune équipe n’a jamais procédé à autant de manumissions. Nous commençons à être très bons.

Elle fronça les sourcils, mais ce n’était pas le geste d’impatience de l’époque où elle était Focalisée. C’était de la douleur.

— Je… j’aurais bien voulu refaire les premières opérations. Je crois que je ferais mieux maintenant.

Le retard a donc été pleinement justifié. Mais Ezr voyait cette douleur, et il eut honte de sa joie soudaine. Trixia avait profité de toutes les expériences précédentes. Peut-être s’en serait-elle tirée quand même sans cela. Après tout, Reynolt s’en était très bien sortie. Mais qu’importe, le résultat était là. Et, juste derrière Reynolt, au bout de ce couloir d’un bleu rafraîchissant, se trouvait Trixia Bonsol, princesse enfin sortie de son sommeil. Échappant à Reynolt, il se propulsa dans l’azur.

Derrière lui, Anne l’appela :

— Mais, Ezr… Écoutez, Pham veut vous parler quand vous aurez fini.

— D’accord. D’accord.

Mais il n’écoutait plus vraiment. Il était déjà dans la salle de groupe. Elle était partiellement ouverte, et dix ou quinze sièges étaient encore occupés ; assis en cercle, de petits groupes bavardaient. Des têtes se tournèrent dans sa direction, les yeux remplis d’une curiosité qui aurait été impossible avant. La peur se lisait sur certains visages. Beaucoup avaient l’expression triste et absente d’Hunte Wen après sa déFocalisation. Les Émergents du groupe n’avaient plus personne vers qui se tourner. Ils s’éveillaient à la liberté, mais avec une vie de perdue et à des années-lumière de tout ce qu’ils connaissaient.

Ezr sourit pour cacher son embarras en passant devant eux. Ça s’est bien terminé pour Trixia et moi, mais il faudrait aider ces égarés.

Le côté opposé de la salle avait été divisé en cabines individuelles. Ezr voleta devant les portes ouvertes, s’arrêtant devant celles fermées juste le temps de lire le nom des patients sur l’étiquette. Et finalement… TRIXIA BONSOL. Sa folle course était soudain arrivée au but, et il s’aperçut qu’il avait encore sa tenue de travail et que ses cheveux partaient dans tous les sens. Tel un vulgaire zombie, il avait négligé tout ce qui n’était pas au centre de son attention.

Il ramena ses cheveux en arrière du mieux qu’il put… et tapa sur le mince plastique de la cloison privative.

— Entrez.

— Bonjour, Trixia.

Elle flottait dans un hamac guère différent d’un lit ordinaire. L’instrumentation médicale formait comme une brume légère autour de sa tête. Aucune importance. Ezr s’y attendait. Anne avait commencé à instrumenter les patients, utilisant les données pour guider la déFocalisation, et, ensuite, pour guetter l’apparition d’attaques et d’infections.

Difficile dans ces conditions de serrer quelqu’un dans ses bras aussi complètement qu’il l’aurait voulu. Il flotta tout près, examinant le visage de Trixia au point de s’y perdre. Trixia le regarda elle aussi, mais sans l’éviter, sans se plaindre impatiemment qu’il lui bloquait son flux de données, directement dans les yeux. Un mince sourire tremblait sur ses lèvres.

— Ezr.

Puis elle fut dans ses bras, et ses mains l’étreignirent à leur tour. Ses lèvres étaient douces et chaudes. Il la tint un moment contre lui, l’encerclant tendrement au milieu de son hamac. Puis il éloigna sa tête en contournant soigneusement le matériel médical.

— J’ai pensé tant de fois que nous ne nous retrouverions jamais, dit-il. Tu te souviens de toutes les fois où je suis resté assis avec toi dans ta fichue petite cellule ?

Des années de notre vie, littéralement.

— Oui. Tu as souffert bien plus que moi. Pour moi, c’était une sorte de rêve, et le temps était une matière insaisissable. Tout ce qui était en dehors de la Focalisation était flou. J’entendais bien tes paroles, mais elles ne semblaient jamais avoir la moindre importance.

La main de Trixia remonta vers son cou et le caressa doucement – un geste du temps de leur intimité passée.

Ezr sourit. Nous parlons. Vraiment. Finalement.

— Et maintenant, tu es revenue, et tu peux vivre à nouveau. J’ai tellement de projets. J’ai eu des années pour y réfléchir – à ce que nous pourrions peut-être faire si Nau pouvait être anéanti et que tu puisses être sauvée. Après tous ces massacres, la mission se révèle bien plus payante que ce que nous avions imaginé.

Un trésor à la mesure des risques. Mais les risques avaient été pris, les sacrifices avaient été faits, et maintenant…